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Itinéraire dans les territoires de la diversité

Ses études d’histoire le mènent vers l’étude de la culture hors des sentiers normés, en s’intéressant, pour son mémoire de maîtrise, aux objets culturels présents dans les foyers où la lecture semblait a priori absente, dans le Trièves du XVIIIe siècle. Lorsqu’il devient enseignant, cette question des pratiques culturelles, des apprentissages informels, souvent situés dans l’angle mort institutionnel, reste dans son esprit.

Mais, dans un premier temps, il apprend son métier à Laon (Aisne) en tant que TZR (titulaire sur zone de remplacement). « C’est un moment décisif, une période formatrice où l’on pratique les essais-erreurs. » Il se forme, fait des rencontres qui vont le marquer durablement, notamment avec Jean-Michel Zakhartchouk ou Dominique Natanson, grâce à qui il découvre la pédagogie institutionnelle.

En 2003, après quatre ans de remplacements, il intègre un collège de La Chapelle-Saint-Luc, dans la banlieue de Troyes (Aube). Il arrive au moment du débat national sur l’avenir de l’école (présidé par Claude Thélot), avec des temps de concertation organisés dans les établissements. « On a pris cela au sérieux collectivement. On a conçu un projet, « collège autrement », chacun amenant ce qui l’anime : l’interdisciplinaire, l’évaluation, les compétences en lien avec le socle commun, la pédagogie institutionnelle avec la mise en place des conseils d’élèves. » L’initiative est soutenue et facilitée par la principale. Régis Guyon a raconté ce projet dans les colonnes des Cahiers pédagogiques, dans lesquels il écrit de plus en plus régulièrement.

Des élèves allophones

Il raconte aussi la diversité qu’il découvre dans un lieu où la tradition d’accueil fait se côtoyer une quarantaine de nationalités. De nombreux élèves allophones sont scolarisés, la plupart accueillis avec leur famille dans les trois Cada (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) de l’agglomération troyenne. À cette époque, ils viennent surtout du Caucase et des Balkans chassés par les guerres, Tchétchènes ou Kosovars, et au premier rang des Roms.

Dans ce qu’il observe en classe, des savoirs non scolaires qui jaillissent de temps à autre, du rapport à l’école singulier, il voit le fil rouge se tendre avec ses interrogations d’étudiant sur les pratiques culturelles informelles. Il cherche des réponses du côté pédagogique, se forme avec le Casnav (Centre académique pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs). Mais, pour comprendre les forces et les difficultés de ces élèves, il ressent le besoin « d’aller au-delà de la frontière de l’école pour cerner les enjeux qui dépassent l’école mais se retrouvent dans l’école ».

Il se souvient de cet élève de 3e, mûr et déterminé, qui s’investissait uniquement dans certaines matières, délaissant les autres. À force d’exclusions de cours, d’entretiens avec la direction ou la vie scolaire, son investissement variable a trouvé une explication fondamentalement utilitaire : il avait développé une stratégie lui permettant d’acquérir les outils nécessaires pour mener à bien son projet, celui de créer son entreprise de recyclage, ce qu’il a fait quelques années plus tard.

Au-delà de l’anecdote, ce sont les parcours, le rapport à la langue, aux langues qui éveillent l’intérêt de l’enseignant. « J’ai réalisé qu’à l’école tout est affaire de langue et de langage, y compris en mathématiques où la compréhension des consignes est fondamentale. J’ai regardé comment l’histoire-géographie était enseignée du point de vue de la langue. »

Accueillir les voyageurs

Après dix années d’enseignement, il rejoint le Casnav de l’académie de Reims et explore encore un peu plus la question des apprentissages, des parcours et de la scolarisation. Il intervient en formation sur des thèmes liés à la sociologie ou à l’ethnologie, sur la valorisation des compétences acquises de façon informelle, etc. Il contribue au pilotage pédagogique des classes d’accueil, devenues depuis UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) pour veiller à l’articulation avec les classes ordinaires, à la mise en place de dispositifs favorisant les étayages nécessaires à entrer dans le métier d’élève, dans l’école française.

« Les classes d’accueil ont des missions spécifiques avec un double risque : celui de la rupture si l’élève est en dehors de la classe ordinaire trop longtemps, celui de ne pas comprendre les notions indispensables s’il reste dedans. » Or, plus le bagage scolaire est solide, plus l’inclusion sera réussie, plus vite l’élève deviendra un collégien comme les autres. Le chemin à parcourir ne dépend pas seulement du niveau mais également, et surtout, de l’itinéraire familial et scolaire.

En précisant cela, il pense aux élèves issus de familles du voyage, aux idées reçues, aux images d’Épinal qui oublient que les voyageurs ont presque tous un point d’ancrage, un lieu où ils reviennent, auxquels ils sont attachés. « Je me suis beaucoup documenté sur le mode d’habitat, sur les signaux faibles de cette façon d’habiter dont la lecture permet de comprendre aussi ce qui se joue à l’école. » Il raconte la fermeture d’une école spécifique pour les élèves voyageurs et du dialogue rassurant qu’il a fallu établir pour que les familles scolarisent leurs enfants dans une école ordinaire, les convaincre qu’ils seraient là-bas accueillis, inclus. D’ailleurs des enfants du voyage y apprenaient déjà.

Dans le choix des familles entre une scolarisation entre soi ou l’école inclusive, se jouent aussi des trajectoires de vie nouées ou dénouées par des approches et des histoires différentes. « Il faut décoder les relations, gérer des choses qui n’ont apparemment rien à voir avec l’école. » Son intérêt pour la question de la scolarisation des enfants voyageurs, s’est traduit par la coordination, avec Michaël Rigolot du dossier numérique « À l’école avec les élèves roms, tsiganes et voyageurs » pour les Cahiers pédagogiques.

Diversité des regards

Il effectue une veille régulière, la partage et ,de mutualisation en mutualisation, construit un réseau. On lui propose de piloter le service VEI (Ville-École-Intégration) du CNDP (Centre national de documentation pédagogique, devenu Réseau Canopé en 2016). Il accepte, et devient du même coup rédacteur en chef de la revue Diversité et concilie ainsi sa prédilection pour le thème de l’inclusion et son goût pour l’exploration de questions (vives) pour l’école à travers des projets éditoriaux.

La première année, il découvre et apprend sur le vif son nouveau travail. Il participe à la transformation du CNDP et des structures régionales, les CRDP, en réseau Canopé. Le service VEI déménage à Chasseneuil-du-Poitou (Vienne) pour devenir la Délégation éducation et société (DES), voit ses effectifs et ses missions se recomposer.

La revue, elle, conserve sa ligne « regarder l’école depuis l’angle du territoire ». Chaque numéro invite des interlocuteurs, tant du côté éducation que du côté territoires. Chaque thème est visité sur ses multiples facettes avec des auteurs venus d’horizons différents. Le comité de rédaction reflète cette diversité avec des chercheurs, des praticiens, des représentants d’associations et de territoires.

Couverture du numéro 199 de Diversité, à paraître

Couverture du numéro 199 de Diversité, à paraître


Pour le prochain numéro, par exemple, sur la mixité sociale, il a proposé à Nicolas Mathieu, prix Goncourt pour Leurs enfants après eux, et Benoit Coquard, sociologue, auteur de Ceux qui restent, de dialoguer sur la vie des jeunes des petites villes rurales de l’Est de la France. Dans le numéro consacré aux émotions, il sollicite la sociologue Eva Illouz qui a écrit sur l’ « happycratie », et cette injonction au bienêtre et au bonheur. Ces regards différents provoquent de belles rencontres autour d’éclairages complémentaires, venus d’horizons divers.

Le service produit également des ressources en réponse à une commande institutionnelle, comme les sites ministériels de l’éducation prioritaire ou du climat scolaire, tout comme des dossiers en ligne, produit en lien avec le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire puis Centre national d’étude des systèmes scolaires), la Ligue de l’enseignement et l’émission « Rue des Écoles » de Louise Touret sur France Culture. Il a aussi participé à l’organisation de la Journée nationale de la réussite éducative avec le cabinet de George-Pau Langevin, alors secrétaire d’État à la Réussite éducative.

«À travers ces dix dernières années, la revue a été ma boussole, mon point d’ancrage le plus fort.» Il retrouve là encore ce lien entre la recherche et l’activité qui se concrétise, en veille, en ressources disponibles et accessibles. Ce rôle « d’interface », il le mène depuis le début de son itinéraire, et aujourd’hui à l’Institut français de l’éducation (IFÉ), où les mots rythment ses explorations dans une démarche de « marginal sécant, à la fois en périphérie des institutions et à l’intersection de différents univers. Ce n’est pas toujours une position confortable, mais elle offre un espace d’ouverture assez inédit et propice à la création de nouvelles dynamiques, de nouveaux objets. »

Monique Royer

La revue Diversité


Photo de Didier Faure