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« La citoyenneté c’est d’abord la capacité et l’envie d’agir »

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Depuis les attentats de janvier 2015, la pression est très forte sur l’école pour former les futurs citoyens, dans une pensée quasi magique. Quels sont pour vous les véritables enjeux de la formation des futurs citoyens à l’école?

Laurent Fillion : Au lendemain des attentats, il était difficile de croire que l’école était la cause (raccourci facile parfois fait trop rapidement) mais normal de la voir comme une partie de la solution. Nous revenaient alors en mémoire des propos parfois entendus dans les débats dont le monde éducatif a le secret :
– « Il faut bannir les mots d’éducation nationale pour ceux d’instruction publique. »
– « Nos enseignements sont parasités par des enseignements annexes inutiles comme l’éducation aux médias, l’apprentissage du débat, les heures de vie de classe, l’éducation à la citoyenneté, l’enseignement moral et civique. »
– « Apprendre le vivre ensemble : encore une mode de bisounours. »
– « Enseigner des compétences sociales et civiques, c’est dangereux. »
– « L’école est un sanctuaire : elle n’a pas à aborder les problèmes extérieurs. »

Au-delà de la commande ministérielle, il y a eu surtout comme une évidence : on ne pouvait se passer d’une réflexion sur l’éducation à la citoyenneté. La pression a donc en effet été très forte, parfois maladroite, en se focalisant sur certaines composantes de la citoyenneté seulement et en oubliant parfois tout ce qui existait déjà.

Plus que les événements tragiques de janvier et novembre 2015, c’est davantage l’abstention croissante et le désintérêt des jeunes pour la chose publique qui auraient dû guider cette volonté. Il faut bien reconnaître que les adultes leur donnent un bien mauvais exemple dans ce domaine. A qui, sinon l’école, confier alors cette mission de donner aux jeunes les clés et l’envie de s’engager ?

Pascal Thomas : Quand un truc ne fonctionne pas ou plus dans la société, tous les regards se tournent vers l’école. Dans les ministères, on dégaine alors une « mesure exceptionnelle » censée résoudre (presque magiquement) le problème. C’est oublier qu’il existe déjà toute une série de dispositifs visant à rendre les jeunes plus citoyens. Sauf que ces dispositifs ne sont quasiment jamais réellement évalués, peu ou pas utilisés et sont, la plupart du temps, mal considérés par les personnels. Il existe de nombreuses instances dans lesquelles les élèves pourraient avoir la parole comme les conseils de classe, les CVL (conseils de la vie lycéenne), les réunions de délégués, par exemple. Mais dans les faits, la place qu’on leur donne est peu importante. Qui prend le temps d’expliciter réellement aux délégués le contenu d’un CA ? Celui du budget pourtant déterminant pour leur vie dans l’établissement est souvent incompréhensible pour les élèves.

Selon moi, la citoyenneté ne peut se construire que si les élèves investissent réellement les champs d’action. Il faut qu’ils soient associés et engagés dans une action pour s’y investir pleinement. J’ai en mémoire ces mots d’un proviseur d’un lycée professionnel roubaisien qui disait : “Quand on donne la parole aux élèves, il ne faut pas s’étonner qu’ils la prennent. Et surtout, si on n’en tient pas compte ou qu’on la nie, il ne faut pas s’étonner qu’ils ne s’engagent pas.” Je suis convaincu que pour former les futurs citoyens, il est absolument nécessaire de les rendre acteurs.

Vous annoncez dans votre avant-propos un double parti-pris, celui d’une éducation à la citoyenneté par la pratique et l’action des élèves, et celui d’une nécessaire contribution de toutes les disciplines. Pourquoi?

Commençons par la fin de la question : si l’on veut que l’éducation à la citoyenneté ne s’arrête pas avec la fin de l’école primaire, il vaut mieux savoir l’intégrer aux disciplines. Les récents « débats » autour de la réforme du collège ont montré combien les enseignants du secondaire étaient très (trop?) attachés à leur(s) discipline(s) d’enseignement, il est donc nécessaire de pointer la contribution de celles-ci dans la formation du citoyen. Celle-ci nécessite du reste la maîtrise de connaissances, de modélisation, de savoir-faire que les disciplines peuvent aborder. Il y a toutefois un vrai risque : on sait que dans notre système éducatif quand on affirme que tout le monde est concerné par un enseignement, au final, souvent, personne ne l’est.

Revenons en maintenant à la nécessaire éducation par la pratique, par l’action. Cette priorité que nous avons voulu donner dans le choix des contributions que nous avons fait est un parti-pris assumé. Nous voulions rappeler qu’au-delà d’ « apprendre à vivre ensemble » (aspect bien présent dans la troisième partie), la citoyenneté c’est d’abord la capacité et l’envie d’agir. Comment l’enseigner, la faire passer plutôt, sans la mettre en œuvre ? Former un citoyen, ce n’est pas seulement lui apprendre à respecter certaines règles et valeurs, c’est aussi et surtout lui donner les moyens de faire vivre ces valeurs notamment au travers d’un engagement. S’engager ça s’apprend. Ça suppose la connaissance d’un cadre et de modèles et la maîtrise de compétences. On voit bien que les pratiques mises en œuvre sur le terrain ont bien évolué dans ce sens. On est bien loin de l’instruction civique des origines.

De nombreuses initiations aux pratiques citoyennes, de premières expériences de démocratie peuvent jalonner aujourd’hui le parcours scolaire d’un élève. Attention toutefois à ce qu’elles ne soient pas un leurre au risque alors d’être contre productives ! Le “parcours citoyen” peut, à ce titre, être un levier pour les équipes.

Que retenez-vous de votre travail sur ce dossier?

Le nombre très conséquent de propositions reçues. Preuve s’il en fallait que la question de la citoyenneté suscite beaucoup d’intérêt.

Nous retenons aussi la grande diversité des pistes mises en œuvre et proposées par les collègues, de la maternelle au lycée. Derrière les injonctions du ministère, il y a surtout une prise de conscience du monde enseignant de ses responsabilités. D’où cette multitude de possibles (et non de modèles) adaptables, transférables dont tout professionnel pourra s’emparer.

Et avez-vous une satisfaction particulière? Un constat, un manque que vous pointeriez?

Pascal Thomas : C’était mon premier dossier en tant que coordonnateur. Je suis déjà très content d’être arrivé au bout ! Il nous manque peut-être encore des témoignages d’intervenants à l’étranger (du nord de l’Europe par exemple). Cela m’a en tout cas donné l’envie de creuser le sujet.

Laurent Fillion : Avoir travaillé avec Pascal Thomas, c’est déjà une satisfaction ! Avoir une ancienne élève devenue prof parmi les contributeurs, c’en est une autre, forcément !

Propos recueillis par Cécile Blanchard