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L’éducation en partage

Après vingt cinq ans de chemin professionnel dans des établissements divers en tant qu’enseignante en espagnol, Anne Sabatini concrétise son envie d’autre chose, d’ailleurs, en se portant candidate pour un poste à responsabilité nationale aux CEMEA. Sa sensibilité à l’éducation populaire est née, a crû, dans le sillage du mouvement pour le planning familial dans lequel elle a milité, par sa sensibilité aussi à l’école ouverte et coopérative défendue par l’ICEM-Pédagogie Freinet ou encore du GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle).

Présidente du planning familial du Gers, elle se forme aux méthodes d’écoute pour mieux comprendre. Elle poursuit avec un Master 2 sur les rapports sociaux de sexe à l’université de Toulouse en bénéficiant d’un congé formation. «On prend conscience de l’effet systémique de la domination. Même si j’étais déjà sensibilisée à la question, je me suis rendu compte combien, en tant qu’enseignante, je contribuais à un fonctionnement qui génère des inégalités.» Elle retourne en classe avec cette prise de conscience en tête, sans parvenir à changer en profondeur ses pratiques, confrontée à la fois à l’ampleur de la tâche et au risque d’empêcher la spontanéité fondamentale des échanges en classe si son attention se focalise sur les mots, sur les postures dénotant les inégalités de genre. Elle se retrouve confrontée à un fossé entre les connaissances, les théories acquises et une marge de manœuvre excluant une conceptualisation pourtant nécessaire.

Étincelles

Et c’est avec cette quête du nécessaire qu’elle arrive aux CEMEA, «un monde très riche avec des formations liées à l’animation mais aussi auprès des enseignants et des jeunes, où j’ai fait la découverte de ce qui touche au travail social et à la santé mentale». Elle explore le lien entre la pédagogie institutionnelle et la psychothérapie institutionnelle, y trouve des éléments éclairants sur les pratiques en classe. «Je suis rentrée à l’Éducation nationale avec une approche “classique”. Ensuite j’ai lu, j’ai croisé des mouvements pédagogiques, mais là, c’était une explosion d’étincelles venant de plein d’endroits. Je souhaite à tous les enseignants de vivre cela.»

Ces étincelles, ces éclairages sont le résultat d’un travail d’équipe pour une éducation perçue dans sa globalité où chacun apporte sa vision des choses : «La pluridisciplinarité oblige à l’ouverture d’esprit nécessaire pour se comprendre et avoir un paysage commun pour agir.» L’animation se fait en réseau, partout sur le territoire, en métropole et aux outremers.

A l’origine, les CEMEA ont été créés par des enseignants pour prendre en charge des activités lors des congés payés. Les premières activités sont liées aux colonies de vacances, à la formation des animateurs et à la gestion des centres, puis celles-ci se sont élargies au champ du travail social, des politiques de la ville, des politiques jeunesse, aux dimensions européennes, à la culture, aux médias et au numérique… .

Une école ouverte

Le lien avec l’école était fort et perdure encore avec des enseignants détachés mais aussi beaucoup d’actions au sein des écoles pendant et hors temps scolaire. «Le projet, c’est une école ouverte sur son environnement, un lien fort avec les parents, les élèves au centre de nos préoccupations. L’esprit de la réforme du collège nous va bien, avec la pédagogie de la transversalité, de l’interdisciplinarité, de l’inter-catégoriel.»

Associer la communauté éducative dans son ensemble, en intégrant l’infirmière scolaire, les conseillers principaux d’éducation, les personnels de direction, les personnels de service, les parents, est d’importance lorsqu’il s’agit d’œuvrer sur les questions de citoyenneté, de mieux vivre ensemble au sein de l’école mais aussi sur l’ensemble des apprentissages. Quant aux méthodes pédagogiques privilégiées, elles vont voir du côté des besoins des jeunes plutôt que dans la transmission disciplinaire, avec en tête la spécificité des publics adolescents. Le partenariat est recherché au sein de l’établissement pour que les adultes prennent le relais, fassent vivre l’initiative au-delà de l’intervention.

«Nous faisons beaucoup de formations de délégués mais ce qui nous intéresse aussi c’est de co-construire. Là, on est au cœur de l’éducation. On part de ce que sont les jeunes, on tient compte du contexte, des enjeux, de l’environnement, dans l’idée d’une école dans le quartier et pas “de quartier”.» Inspirée par les valeurs de l’éducation nouvelle, la méthode prône l’autonomie, l’émancipation.

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Anne Sabatini donne comme exemple, une initiative dans un collège de Rhône-Alpes pour la mise en place de la médiation par les pairs. La réflexion a été menée avec un CPE, le principal et des enseignants volontaires. Pendant deux ans, le projet s’est construit, a été évalué, réajusté, puis lorsqu’il s’est solidifié, les CEMEA se sont retirés. «Lorsque la démarche est acceptée, les effets bénéfiques sont visibles pour tous, en particulier sur le travail d’équipe.»

Le travail en équipe à la base de tout

L’équipe semble la base de tout avec des éléments moteurs qui s’investissent, entraînent, avec un chef d’établissement qui porte le projet. Elle se confronte à des difficultés matérielles ou de moyens, des emplois du temps contraints, des injonctions contraires. Le manque de souplesse du système peut générer des renoncements, des désillusions, des pertes de motivation.

L’éducation s’affranchit des murs de l’école et les thèmes ne manquent pas pour l’investir dans toute sa diversité. Les départements des CEMEA et leurs revues, VEN-Vers l’éducation nouvelle, Cahiers de l’animation, VST-Vie sociale et traitements apportent un regard pluridisciplinaire. «Je peux lire et voir ce que mes collègues écrivent sur des sujets comme celui des mineurs migrants isolés par exemple. J’ai une approche éducative que j’enrichis avec un regard plus global.»

Cette approche plurielle est celle qu’elle souhaiterait voir présente dans le système éducatif, une façon d’envisager la relation pédagogique en ne prenant pas en compte uniquement les élèves mais aussi les enfants, les jeunes avec «les valises plus ou moins pleines dont ils ne peuvent se débarrasser». Et elle rajoute : «Comme nous, nous ne pouvons pas nous débarrasser de nos soucis en entrant en classe. Nous sommes des individus qui arrivons avec notre histoire.» Or, dans la formation initiale des enseignants, cet aspect est quasiment absent, celui qui a trait à la psychologie de l’enfant, de l’adolescent.

Former ensemble les acteurs

Plus largement, elle préconise dans les Espé des temps de formation communs aux différents acteurs de l’éducation dans et hors temps scolaire, incluant les animateurs pour envisager ensemble ce qui est transversal. Elle envisage les projets éducatifs territoriaux (PEDT) comme des temps de co-construction associant les élus, les parents d’élèves, les enseignants, les associations, pour une éducation partagée et ouverte. Elle n’est pas seule à le faire, ni les CEMEA. L’idée est débattue et défendue au sein du CAPE, le Collectif des associations partenaires de l’École (qui regroupe des associations complémentaires de l’enseignement public et des mouvements pédagogiques laïques). Là aussi, elle goûte le croisement des regards, l’éducation vue sous différents prismes et les concordances pour voir enfin émerger une école ouverte et émancipatrice.

Monique Royer

Le site des CEMEA