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Présenté par Maryse Métra, présidente de l’association, le colloque de l’AGSAS réunissait des personnalités de la psychanalyse et de l’éducation, dont Cécile Delannoy, ancienne rédactrice en chef des Cahiers pédagogiques. Jean-Pierre Klein, avec son humour habituel, donna une réponse rapide et lapidaire à la question posée : « Oui ! ». L’angoisse levée, on allait pouvoir réfléchir à une question qui doit tous nous interpeler : Quelles relations s’établissent entre les enfants – nos élèves – et l’adulte-enseignant quand ils entrent dans sa classe ? Au centre de la réflexion se trouvait le psychisme des acteurs de l’enseignement, parents, enfants, enseignants et adultes de l’école.

Pierre Michard, docteur en psychologie clinique, dans une intervention passionnante malgré une forme un peu décevante, axa son intervention sur la manière dont un enfant pouvait devenir parent de ses propres parents, : voyons-nous, adultes, les efforts de certains enfants pour soutenir l’adulte ? Certains enfants se « parentifient », portent leur famille et ne l’oublient pas quand ils arrivent à l’école ; ils la portent et se trouvent, souvent, en conflit de loyauté en entrant en classe : ils soutiennent la faiblesse parentale, essayent de la réparer et cela les occupe au-delà de ce que l’école peut leur demander. Souvent, même, l’enfant reste le seul lien entre les adultes ; aussi voyons-nous des élèves refusant d’apprendre pour ne pas prendre le risque de la mise à distance intellectuelle des parents, des enfants refuser de venir à l’école non pour la fuir, mais pour rester chez eux, protection dérisoire d’adultes en difficulté.

Toute la thèse énoncée repose sur le fait qu’il est important que les adultes reconnaissent la contribution de l’enfant . « Premier tribunal de l’humanité », celui-ci tente de réparer le monde injuste avec ses parents, les générations s’inversent, bouleversant les repères temporels. Une telle approche nécessite de ne pas disqualifier les parents qui ont besoin de leur enfant qui, en retour, peut avoir honte de parents qui ont besoin de son soutien.

Pas de magie

Évidemment, cette problématique se manifeste souvent dans nos classes d’une façon plus ou moins marquée : une porte de classe, d’école, n’est pas un filtre qui, par magie, sépare deux mondes clos ; l’enfant entre et porte en lui, comme une peau impossible à enlever, son vécu familial, ses douleurs ou sa joie. L’approche contextuelle me paraît valider les dispositifs d’accueil, de « bienvenue », comme des lieux de dépôt d’objets psychiques lourds à porter qui font écran à l’entrée dans l’apprentissage.

En simplifiant un peu, mais pas trop, on peut dire que Claudine Blanchard-Laville s’occupe de l’enfant dans l’adulte-enseignant. Cette chercheuse, dont les ouvrages font référence, a présenté son dispositif d’analyse de la pratique en confrontant deux outils. Le Soutien au Soutien (SauS), développé et porté par les organisateurs du colloque, est centré non sur l’exposant mais sur la situation, sur un autre qui n’est pas là, enfant souvent. Ce dispositif fait le pari que l’exposant, par le dire d’une blessure narcissique, d’une défaite dans son métier, puis par une réflexion groupale, saura se remettre en mouvement et trouver des solutions professionnelles à la situation qui l’envahit. Le retour à l’exposant est reporté à la fin de la méthode. Il se déroule souvent sous la forme d’une question du type : « comment cela s’est-il passé pour vous ? » Le temps du retour sur soi est limité à ce que l’exposant voudra bien en dire, ou ne pas dire. Souvent, ce moment d’introspection se déroule dans le hors-temps de la séance, les jours qui suivent.

Claudine Blanchard-Laville va directement à l’enseignant, dans un « accompagnement clinique groupal ». Ce dispositif prend en compte, comme le SauS, l’inconscient freudien et le psychisme référé à un psychisme divisé par l’inconscient. Mais, à l’encontre du « Soutien au Soutien » qui s’occupe de « l’autre qui n’est pas là », Claudine Blanchard-Laville invite les enseignants à un travail sur eux-mêmes, à interroger leur relation aux autres, élèves, collègues ou hiérarchie, en lien avec l’exploration de leur histoire de vie professionnelle et personnelle. Il s’agit de permettre à l’enseignant d’interroger son investissement personnel, ses conflits psychiques réactualisés dans la relation didactique, sur la scène professionnelle.

Des leviers d’action différents

La discussion a montré, peut-être trop implicitement, que les deux dispositifs du « Soutien au Soutien » et de l’accompagnement clinique groupal ne sont pas identiques. Ils ont, certes, l’un et l’autre une visée transformative, mais ils n’agissent pas de la même manière, sur les mêmes leviers. Ils ne sont pas opposés non plus ; ils sont intimement complémentaires, l’un interpelant l’absent, l’autre interrogeant l’acteur, celui qui expose.

Le colloque fut un moment passionnant, d’écoute et d’échanges riches. Il a montré à nouveau que, parmi les lacunes et les failles d’une formation professionnelle initiale et continue en reconstruction, une connaissance des psychés enfantines et adolescentes mais aussi professionnelles était obligatoire. Il a réaffirmé la nécessité d’un travail personnel sur l’analyse du geste didactique.

Que répondre à l’interrogation placée en exergue de ce beau colloque ? La question reste ouverte, évidemment, peut-être parce qu’elle aussi n’a pas de fin. Mais sans doute faut-il retenir que, toujours, le geste pédagogique doit faire grandir tant l’adulte que l’enfant, tous, qu’ils soient acteurs du présent, ou réminiscence du passé : s’occuper des enfants, s’occuper des adultes !

Jean-Charles Léon
Professeur de musique en collège et animateur de groupes de soutien au soutien en Seine-et-Marne.

Le site de l’AGSAS