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Plaidoyer pour une éducation physique et sportive à la maternelle

Alors que la maternelle devrait être le lieu de la prise en compte du développement moteur des enfants, il y a en réalité peu de place, dans les programmes et sur le terrain, pour une véritable réflexion sur les enjeux psychomoteurs qui y sont à l’œuvre.

Aujourd’hui, l’école apparaît comme un lieu d’épanouissement personnel où les expériences vécues sont susceptibles de jouer un rôle dans le développement personnel de l’élève, sa qualité de vie globale et ses trajectoires de vie. De nombreuses expérimentations touchant à l’amélioration de ce bien-être sembleraient montrer que celle-ci passerait par une place plus importante donnée au corps.

L’école maternelle, spécificité française, fait régulièrement l’objet d’études, de considérations tant scientifiques que politiques, mais ces dernières restent immanquablement ciblées sur des objectifs langagiers, de socialisation… L’aspect moteur est bien peu pris en compte. Pourtant, comme le rappelle Béatrice Foucteau, l’éducation corporelle à l’école maternelle est la base et le ciment de tous les apprentissages. « Apprendre son corps pour apprendre » résume l’importance et les finalités de l’activité motrice du jeune enfant1. »

Un constat institutionnel

Force est de constater qu’acquérir des bases motrices solides ne constitue toujours pas un intérêt national. En mettant l’accent sur la classe de CP, le ministère oublie que cette tranche d’âge constitue une des dernières années pour acquérir les savoirs fondamentaux inhérents au développement moteur. Cet âge d’or scolaire qui s’étend de la PS au CP devrait attirer davantage notre attention tant les enjeux moteurs y sont cruciaux. « Lire, écrire, compter et se mouvoir » constitueraient donc un quatuor de savoirs fondamentaux.

Il existe un vrai paradoxe en maternelle. Le Ministère définit un temps d’activités motrices quotidien (de 30 à 45 minutes), élabore un document d’accompagnement de plus de 110 pages à l’intention des enseignants mais peine à définir ce qui relève d’un socle solide d’acquisitions. On peut aussi constater que le terme EPS n’apparait pas dans les textes au cycle 1. L’enseignement de l’éducation physique à l’école maternelle est régi par les programmes 2015 et se rapporte au domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique ».

Cette apparente distance prise avec l’EPS de l’élémentaire et du secondaire ne relève pas pour autant d’une véritable distanciation. Si le terme « performance » apparait entre guillemets, le législateur insiste sur le tâtonnement, l’expérimentation, l’exploration, donc sur le « mode opératoire », et définit quelques objectifs comme « explorer leurs possibilités physiques, élargir et affiner leurs habiletés motrices, maîtriser de nouveaux équilibres, construire leur latéralité, l’image orientée de leur propre corps et à mieux se situer dans l’espace et dans le temps. » Le champ est tellement large qu’il permet aux enseignants de rattacher (et/ou justifier) les séquences pédagogiques à une conformité aux textes. Ici se dévoile à peine un nouveau paradoxe qui consiste à marquer la différence entre le domaine et la discipline sans être en mesure de l’objectiver avec précision.

Un constat de terrain

L’enseignement de la motricité pose initialement le problème d’une gestion de corps dont l’expression première est l’action. Les exigences de silence, la volonté de montrer, d’expliquer et de faire verbaliser réduisent trop souvent le temps d’apprentissage à quelques minutes, et le temps de récréation aux véritables temps d’apprentissage moteur. Les inclinations enfantines pour l’agitation sont ainsi contrôlées et les corps « domestiqués ». L’enfant redevient un élève-tronc qui limite la contribution du corps à des activités statiques par une situation assise récurrente. Au corps immobile s’ajoute ce que l’on pourrait qualifier de « plan d’occupation des sols ». Les « parcours » installés en début de semaine ou les installations fixes constituent des incontournables qui inscrivent les séances de motricité dans une occupation spatiale peu pensée au regard des apprentissages visés.

Les exigences professionnelles reposent trop souvent sur une concordance directe avec les formules des programmes. Ainsi à l’attendu de fin de cycle « lancer de différentes façons, dans des espaces et avec des matériels variés, dans un but précis » correspond la mise en place d’ateliers, variant la nature du lancer et son projectile. A cela s’ajoute un travail sur le respect des règles sécuritaires et organisationnelles. Mais quid des prérequis nécessaires au lancer et des réflexions prospectives en termes de transformations motrices et de construction du schéma corporel (dissociation segmentaire notamment)? Il en va de même pour l’attendu « se déplacer avec aisance dans des environnements variés, naturels ou aménagés » qui se résume à des parcours, plus ou moins évolutifs, mais où les notions d’équilibration, d’appuis podaux sont ignorées dans leurs conceptions biomécanique et proprioceptive. L’action (« faire ») prime comme primera dans les cycles à venir le geste technique sportif. Pas de « pourquoi » et encore moins de « pour quoi ».

Changement de paradigme

Concernant le développement moteur, il existe une unité fonctionnelle sur laquelle peut s’appuyer la discipline. Elle ne correspond pas avec l’unicité de l’individu. Des fondamentaux sont définis depuis longtemps en termes de répertoire de synergies, de programmes moteurs généralisés, de schèmes sensori-moteurs, sur lesquels se fondent la motricité humaine et se construisent plus tard les spécificités sportives, professionnelles ou quotidiennes. L’équilibration, les locomotions, les projections et réceptions d’objets ainsi que les manipulations de ces derniers constituent des unités motrices fondamentales sur lesquelles devraient s’appuyer les programmes.

Danser par exemple nécessite un équilibre et des formes de locomotion variées avec ou sans manipulation d’objets. La danse est un moyen permettant de développer comme de combiner ces unités motrices. Elle fait appel à l’imaginaire de l’enfant et construit la relation à l’autre. Ce sont les ressources sollicitées, les coordinations mises en jeu qui sont, elles, beaucoup plus intéressantes pour le pédagogue. Lancer loin en termes de performance, lancer au plus près du centre de la cible donne du sens à l’acte et à sa symbolisation culturelle mais ce qui importe surtout c’est d’être capable de choisir la bonne organisation motrice pour chaque type de lancer et d’en maitriser les fondamentaux car cette maitrise n’est que la partie émergée donc visible d’un iceberg de sensorialité.

« Équiper » l’élève d’un point de vue moteur apparait comme un enjeu fondamental du cycle 1 afin d’éviter que ce dernier ne « voit ses possibilités d’homme considérablement réduites par l’entrave que représente un corps maladroit2. »

Des pistes

Nous revendiquons une éducation physique de base, telle que conçue par Jean Le Boulch « centrée sur le développement des aptitudes fondamentales psychomotrices et des facteurs d’exécution3. » Cette éducation physique de base se doit en premier lieu d’être évaluée. Dans le document d’accompagnement cité précédemment, seules trois pages sont accordées à l’évaluation4 (sur 110). On peut y lire : « Évaluer à l’école maternelle, dans le domaine “Agir, s’exprimer, comprendre au travers de l’activité physique”, c’est savoir mettre en valeur les compétences des enfants, leurs essais et leurs réussites pour eux-mêmes et pour leurs parents (…) Il (l’enseignant) porte son attention sur l’engagement de l’enfant dans la situation, sur ses capacités à entrer dans l’action ou à affronter une situation nouvelle car les différences interindividuelles sont très fortes à cet âge. » La motricité se réduit à un simple engagement moteur et la conduite motrice est perçue comme un simple comportement moteur. Le « faire » prime donc ici sur le « comment faire ». Au mieux vise-t-on un « laisser faire », quand il s’apparente à de l’autonomisation.

Il existe de nombreux registres d’indicateurs s’appuyant sur les niveaux de développement des enfants ou sur leurs performances motrices liées aux maturations des mouvements fondamentaux5 sur lesquels les évaluations peuvent s’appuyer. Cette maîtrise corporelle basée sur l’équilibre, l’inhibition (contrôle de l’empêchement, de l’arrêt, du freinage, d’un ou de tous les mouvements), la proprioception, l’adaptation (gestuelle, lors des déplacements, à l’espace) devrait permettre à l’élève d’évoluer dans la perception et dans la maîtrise du temps et de l’espace.

L’EPS et le sport reposent sur une base psychomotrice importante. Il faut en effet un minimum de connaissance de son corps, de l’espace et d’adaptation au temps pour aborder toute activité sportive ou autre. Les séances de motricité ont pour but d’éduquer l’élève, et d’arriver à une qualité du mouvement. Cet enjeu s’inscrit dans un curriculum scolaire et personnel donc prospectif. La maternelle constitue ainsi un temps incontournable pour le développement moteur, pour la prise de conscience de soi, de son corps et pour la prise de conscience de son environnement spatio-temporel et des possibilités de s’y adapter. Il faut donc redéfinir l’importance de la discipline dans le curriculum à travers les connaissances liées au corps, mécanique et physiologique, en interaction avec l’intellect et l’affect, au sein d’un environnement matériel et humain multiple et complexe.

Depuis trop longtemps, le citoyen lucide, autonome, socialement éduqué à pris le pas sur le citoyen physiquement éduqué. Le citoyen à former est pourtant un être psycho-socio-moteur. Il s’agit donc désormais, de ce point de vue, de trouver un nouvel équilibre entre la personne et le citoyen. Le chantier est immense, car sociétal, et il permettra peut-être que cessent cette « non-assistance à personne en développement » ainsi que cette « non-assistance à personne en charge de ce développement ».

Fabrice Delsahut
maitre de conférences en STAPS, HDR, ESPE Sorbonne Université
Emmanuel Lefèvre
professeur agrégé d’EPS, ESPE Sorbonne Université

Lire aussi :

« Apprendre ensemble en EPS », Par Olivier Dupin

« Éduquer à la citoyenneté en EPS, quelques analyses critiques et réflexions », Jean-François Loudcher, Julien Hoff


Sur notre librairie :

N°574 – Ce qui s’apprend en EPS

Dossier coordonné par Sabine Coste et Jacky Wattebled

Mal reconnue, bien qu’obligatoire à tous les niveaux, l’EPS contribue à l’acquisition du socle commun, donne accès à des pratiques motrices et à la culture physique, sportive et artistique, tient une place de choix dans l’entretien de la santé et du bienêtre, contribue à l’égalité entre les filles et les garçons et à l’inclusion.


Notes
  1. Foucteau Béatrice, « Une éducation par et pour le corps », EPS, n° 346, Mars-Avril 2011, p.16.
  2. Jean Le Boulch, cité par Gilbert Andrieu, L’Éducation physique au XXe siècle : une histoire des pratiques, éd. Librairie du sport, 1990.
  3. Jean Le Boulch, « Entretien avec Jean Le Boulch » in Revue EPS1 n° 19, 1984.
  4. « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique. Créer une dynamique d’apprentissage », Ressources maternelle, septembre 2015, p. 16-18.
  5. Marc Francotte, Éduquer par le mouvement, De Boeck, 1999, p.74.
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