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L’école de la confiance

Aussi loin que remontent ses souvenirs d’écolier du côté de Lodève, l’école a toujours été pour lui un hâvre d’épanouissement. Son envie de devenir enseignant est née très tôt, en CE2, et il se souvient encore du beau cahier Clairefontaine de son instituteur d’alors, Monsieur Ross, et des trésors d’apprentissage qui semblaient s’en échapper. «J’aimerais bien un jour avoir le même...» et cette pensée a tracé le chemin de sa vie professionnelle avec certitude.

Plutôt bon élève, il se renseigne tôt sur le parcours à entreprendre, choisit la faculté d’histoire-géographie, réussit le concours à l’entrée de l’IUFM (Institut universitaire de formation des maitres) et apprend son métier à Carcassonne. Il enseigne d’abord deux ans à Axat, petite ville des Pyrénées audoises, puis arrive à La Gravette, établissement qu’il n’a pas quitté depuis. «Chaque fois que j’ai l’impression de stagner, de m’encroûter, un changement se produit à l’école qui relance de nouveaux projets, un changement de direction, la restructuration de l’école ou la création de la CHAM (Classe à horaires aménagés de musique) il y a dix ans.»

Avec d’autres collègues, il passe le CAFIPEMF pour devenir formateur, enchaîne avec un Master des «Métiers de l’enseignement, l’éducation et la formation – Formation de formateurs». Il créé à l’occasion un outil de français avec Fabienne Sala, celle avec qui il constitue depuis longtemps un binôme professionnel, et qui enseigne dans la classe juste à côté de la sienne. La logique le menait tout droit vers une école d’application mais il préfère rester là où il se sent utile, dans ce réseau d’éducation prioritaire. Il obtient pendant quelques années une décharge pour être maître formateur provisoire et ce voisinage entre l’enseignement auprès d’enfants et la formation d’adultes lui permet d’apprendre encore sur un métier qu’il réfléchit à plusieurs.

Une école intacte

Et puis, il l’aime son école de La Gravette, belle et intacte, sans aucune trace de dégradation, depuis qu’elle a été reconstruite au début des années 2000. Auparavant, elle été constituée de bric et de broc, avec des préfabriqués d’un autre âge, mal isolés. Sans clôture, les habitants du quartier la traversaient pour aller d’un endroit à un autre, s’y installaient parfois pour se mettre à l’abri. Elle n’avait pourtant rien d’accueillant.

Aujourd’hui, elle est un lieu où le passage des grands frères et sœurs, des parents parfois, laisse entrevoir aux élèves le plaisir d’y être et d’y apprendre. «La mémoire collective sur l’école nous sert, c’est un point fixe, un repère dans le quartier. Les ados qui ont fréquenté l’école la respectent car ils y ont passé de bons moments

Spectacle annuel de l'école au théâtre municipal de Carcassonne, accompagné par les classes à horaires aménagés Musique

Spectacle annuel de l’école au théâtre municipal de Carcassonne, accompagné par les classes à horaires aménagés Musique

L’équipe pédagogique est stable, constituée d’un noyau dur d’anciens. Expérimentés comme nouveaux arrivés, tous les enseignants qui interviennent dans les quinze classes, œuvrent dans le même sens, glissent des doses de coopération, chacun à sa manière mais dans la même direction. Le dialogue avec les parents se fait, là encore dans un esprit de confiance. «Tout n’est pas lisible pour eux dans l’école. Pour eux, c’est nous les pro, ils nous confient leurs enfants.» La clé pour lui réside dans les méthodes et outils utilisés permettant d’apaiser par une participation active des élèves à leur propre parcours.

Pédagogie

Ben Aida s’est intéressé très tôt à la pédagogie institutionnelle et à la coopération, dès le début de sa carrière, lorsqu’il s’est rendu compte que lors d’un cours frontal, il ne faisait réellement cours qu’à un quart de sa classe. «On ne peut pas s’occuper que des enfants qui vont bien et compter les points donc faire du tri. Pour que la pédagogie frontale fonctionne, il faut que les élèves soient captifs. Or ici, ils ne maîtrisent pas forcément le métier d’écolier d’emblée.»

Il cherche dans les différents courants de la pédagogie, se défiant des chapelles, trouve d’abord des éléments du côté de la PMEV (Pédagogie de maîtrise à effet vicariant), rejoint ensuite un groupe de pédagogie institutionnelle puis l’ICEM 34-pédagogie Freinet où se retrouvent des enseignants désireux de se co-former à la gestion de classe coopérative. Il y fait la connaissance de Sylvain Connac et de l’expérience menée à l’école Balard du quartier de la Paillade de Montpellier.

Il découvre que les fichiers coopératifs qu’il avait conçus en complément de sa démarche créée avec Fabienne Sala ont un équivalent plus abouti et qu’il est «en train de réinventer l’eau chaude». Alors, il intègre l’équipe d’enseignants qui construit et met à jour PIDAPI (Parcours individualisés des apprentissages en pédagogie institutionnelle). Ils sont une vingtaine à écrire des ressources en mathématiques, français, sciences et histoire-géographie, pour le cycle 2 et le cycle 3, mises à disposition des adhérents leur association et complétées par des outils de manipulation.

Une classe pour les enfants

Dans sa classe de CM1-CM2, les murs sont couverts de textes et d’images rappelant des notions à maîtriser, des pochettes contenant des fiches de travail sont disponibles, à portée des mains d’enfants. Les casiers portent des prénoms illustrant la diversité des origines. Les tables sont disposées en îlots de quatre, invitant au travail de groupe. Les lieux reflètent le foisonnement pédagogique propice à donner à chacun le goût et le plaisir d’apprendre : «Il faut prendre les enfants comme ils sont mais ne pas les laisser où ils sont.»

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Les journées se déroulent avec des temps collectifs pour acquérir les compétences du référentiel et des temps personnalisés où «chacun part d’où il en est». Les élèves possèdent un classeur individuel où sont compilées les feuilles de route avec des grilles classées par couleur, comme au judo. Ils progressent à leur rythme d’un niveau à l’autre pour chaque notion et, dès qu’ils bloquent, ont la possibilité de s’entraîner avec des exercices et des tests auto-corrigés avant d’effectuer l’évaluation pour passer au niveau suivant. L’entraide est préconisée avec des inscriptions pour demander une aide ou en donner dans l’idée que l’on apprend mieux ensemble. «Ils vont à leur rythme et plus encore car on essaie de les pousser hors de leur zone de confort. Nous veillons à ce que les meilleurs ne soient pas freinés et en même temps à faire avancer ceux qui sont les plus faibles

À l’école de la Gravette, les classes sont organisées autant que possible en double-niveau pour laisser le temps aux enfants de s’approprier l’organisation et les outils, éviter les ruptures entre deux années et les jours perdus à se repérer. Tous les ans, un demi-groupe est renouvelé, encadré par les plus anciens. Des temps de décloisonnement sont mis en œuvre pour aller plus loin dans les disciplines et mélanger les classes. Les relations avec le collège sont positives, les enseignants du secondaire connaissent l’accent coopératif de l’école primaire voisine, s’y intéressent.

Les conditions pour apprendre en confiance sont ainsi installées pour viser l’excellence, notion que Ben Aïda oppose à l’élitisme. «On pousse un maximum leurs capacités, on fait confiance à leur capacité d’apprendre sans à priori sur leurs difficultés sociales ou familiales.» Son regret est de ne pouvoir réussir à briser l’idée d’ «incapacité apprise» chez tous les élèves, se heurtant à l’insécurité sociale, celle d’enfants qui dans une extrême précarité ne savent pas où ils seront dans un futur proche, ballottés d’un lieu d’hébergement à l’autre, d’une école à l’autre. Il constate toutefois avec bonheur les beaux souvenirs laissés par son école dans les écoliers désormais adolescents ou adultes qu’il croise dans le quartier de la Conte. Alors, il se dit que la confiance et la coopération ne font certes pas de miracles mais sont des ingrédients hors pair pour l’épanouissement scolaire.

Monique Royer

Le site de Pidapi
Le site de l’ICEM 34