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InterClass’, une émission qui s’ouvre aux collégiens

Suite aux attentats, France Inter a ouvert ses ondes dans l’émission InterClass’ à des collégiens issus de REP+. Pour Emmanuelle Daviet, c’est une expérience enrichissante pour les adultes comme pour les enfants. Un moyen pour ces collégiens de développer autant des compétences liées à l’EMI que de lutter contre leurs préjugés.

Suite aux attentats de janvier 2015, la directrice de France Inter a voulu que la radio s’engage dans une mission citoyenne, sans idée précise quant à la mise en œuvre, tandis que nous recevions des demandes d’enseignants pour que des journalistes viennent parler de liberté d’expression en classe, ainsi que nos méthodes de travail. Iannis Roder est venu, à notre demande, à Radio France, et nous a proposé une classe média que j’ai dû créer de toutes pièces, ce qui est exaltant et très motivant.

En pratique, j’ai mis en place des équipes de journalistes et de producteurs, notamment parce qu’à France Inter, ce sont des univers qui ne se connaissent pas vraiment et ne fonctionnent pas forcément de la même manière. Chaque groupe journalistes-producteurs venait environ tous les quinze jours dans les établissements.

Des compétences multiples

En préparant ces émissions, les jeunes ont développé des compétences, entre autres sur la prise de parole. Compétences acquises notamment avec un interlocuteur qu’ils ne connaissent qu’au travers de microtrottoirs très difficiles, car ils ont appris ce que c’est que de se voir repoussé vertement. L’un de nos buts essentiels est qu’ils fassent la différence entre une rumeur et une information validée par des journalistes professionnels, dont c’est le métier, qui sont payés pour ça. Notre but, c’est d’abord qu’ils différencient bien un tweet posté par un inconnu, même s’il est abondamment retweeté, d’un qui viendrait de la rédaction du journal Le Monde. Pour eux, un site complotiste est exactement la même chose que le site du journal Le Parisien. Comme, trop souvent, on n’apprend pas assez aux élèves à différencier et sélectionner les sources, on ne peut pas leur reprocher de ne pas savoir hiérarchiser les sites d’information qu’ils consultent. Donc ils sont totalement perdus dans cette masse d’informations que représente internet. C’est là que je regrette qu’il n’y ait pas l’obligation absolue d’avoir un cours d’éducation aux médias et à l’information dès le plus jeune âge. Développer cet enseignement est un acte démocratique, car ces jeunes sont totalement ouverts à toutes les thèses qu’ils entendent ou qui circulent sur le net ; en général, d’ailleurs, les parents ignorent ce qu’ils vont consulter. Comment, dans ces circonstances, exiger d’eux qu’ils sachent faire la part des choses ? Mais c’est la porte ouverte à toutes les dérives. Cela fragilise la démocratie, car si on croit que le Gouvernement a fomenté les attentats, comment pourrait-on avoir confiance dans la classe politique qui nous gouverne ? Et si les journalistes mentent tous, ce qu’ils croient tous, ils le disent dans les émissions, ils estiment que l’information des canaux officiels est mensongère. Et comme pour eux, la classe politique n’est constituée que d’hommes qui mentent et qui pourrissent le pays, on ne peut pas concevoir une démocratie solide sur des bases aussi fragiles. On est très loin des valeurs de la République et de l’acte de citoyenneté. C’est pour ça que je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas d’obligation absolue de faire de l’éducation aux médias et à la formation dès les plus petites classes. Je lance un appel aux enseignants, lancez-vous dans l’éducation aux médias et à l’information !

du préjugé à l’information

Les enfants ne savaient pas séparer la véritable information de la rumeur au début de l’année et je pense que maintenant, ils ont parfaitement compris la différence.

Pour leur faire comprendre la différence entre une rumeur et une information, durant les vingt premières minutes de chaque séance de travail, je leur demandais de faire un point sur l’actualité. Lors de la première séance, ils ont réagi par ce qu’on appelle un « blanc radiophonique », et au fil des séances, de plus en plus rapidement, les doigts se levaient, puisqu’ils savaient que j’allais poser la question. Ils devaient ensuite contextualiser en définissant l’ensemble de l’information sur la Syrie ou la politique intérieure par exemple. Ils devaient aussi systématiquement citer leurs sources. C’est devenu un jeu pour eux, car ils adorent être valorisés dans cette prise de parole. L’avantage, c’est qu’ils savaient qu’ils ne seraient jamais jugés. Cela leur a offert une liberté de parole absolue. On disséquait aussi des dépêches en travaillant avec la règle des cinq questions. Ensuite nous écoutions un zoom, le type d’émission qu’ils allaient devoir produire, un reportage de quatre minutes trente. Au commencement, ils trouvaient interminable d’écouter sans parler si longtemps, c’était comme un tunnel. Puis, au fil des mois, cela leur semblait passer très vite. Dans l’analyse qu’ils en faisaient, ils devaient trouver non seulement le thème du zoom, mais aussi l’ambiance sonore utilisée, le nombre d’interlocuteurs, etc., en clair, un décryptage complet du document. L’heure suivante était consacrée à la fabrication de leur propre reportage. Cela impliquait de définir l’angle, de chercher des prises de rendez-vous auprès de leurs interlocuteurs qu’ils devaient préalablement définir. Nous les laissions exprimer toutes leurs opinions, mais nous leur demandions d’argumenter. Un préjugé est difficile à argumenter et c’est là que nous avions un levier pour les débusquer.

Lutter contre les déterminismes sociaux

Ils ont tendance à penser que tous les médias mentent. Comme nous leur avons montré comment nous fabriquons des reportages, nous leur avons demandé de nous dire ensuite si nous mentions. Ils ont été obligés de se frotter au réel et c’est ce principe de réalité qui a fait tomber leurs préjugés. InterClass’ c’est aussi ça, un acte de résistance aux déterminismes, à la stigmatisation, à l’enfermement, puisqu’ils doivent sortir de leurs quartiers. Ces jeunes fonctionnent de façon très clanique, et nous leur avons demandé de faire beaucoup d’efforts de ce côté-là. Ils ne se sont pas toujours aperçus de tous les efforts que nous leur demandions.

Cela a aussi créé des liens forts avec ces enfants. Je vais en suivre certains dans leur parcours scolaire. C’est aussi ce que dit Iannis Roder, qui m’a confié n’avoir jamais eu de liens si forts avec ses élèves en dix-huit ans de carrière. Une autre professeure a aimé voir à quel point les élèves avaient changé. Elle a dit : « J’avais l’impression d’avoir des diamants bruts que l’on avait polis. » À Saint-Denis, les professeurs nous ont dit dès décembre que le niveau de la classe avait augmenté. Les élèves m’ont expliqué qu’ils étaient tellement contents d’avoir été choisis pour InterClass’ que mieux travailler au collège était une façon de remercier leurs professeurs qui leur avaient fait confiance.

Le bilan est très satisfaisant, avec de belles rencontres entre générations ; beaucoup de journalistes n’ont pas forcément de contacts avec des adolescents et vice versa, et ce fut pour tous très enrichissant. D’autant que ces adolescents évoluent dans des milieux sociaux défavorisés. Pour les suivre et poursuivre cet échange, nous avons ouvert, parallèlement, vingt-cinq places de stage d’observation en entreprise pour des élèves de 3e, car souvent, ils n’ont pas de réseau et ont des difficultés à trouver un stage dans les domaines qui les intéressent. À la fin de l’année, nous leur remettons un diplôme attestant de leur participation à l’émission.

Emmanuelle Daviet
journaliste, chef du service société à France Inter
propos recueillis par Émilie Kochert
DISPOSITIF
Mediaeducation, des journalistes viennent dans vos classes
Cette plateforme Mediaeducation a été mise en place au printemps 2016 par un groupe de journalistes, dont Sylvie Fagnard. Elle nous a expliqué, lors d’un entretien, que leur but est de mettre plus facilement en relation des journalistes et des enseignants désireux de les recevoir en classe. Ce projet est soutenu par le ministère de la Culture et passera bientôt sous le patronage du ministère de l’Éducation nationale. Il s’agit aussi d’une plateforme proposant des ressources et des actualités liées à l’éducation aux médias. Il ne s’agit nullement d’une concurrence pour le Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information), mais bien d’une proposition conjointe et en total partenariat. Les demandes d’interventions sont gratuites et un lien est prévu avec la Réserve citoyenne (un certain nombre des journalistes inscrits à l’agence sont aussi des bénévoles de la Réserve citoyenne). site : http://mediaeducation.fr/
POUR EN SAVOIR PLUS
https://www.franceinter.fr/emissions/interclassSophie Mazet, Manuel d’autodéfense intellectuelle, éditions Robert Lafont, 2015.