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Faut-il avoir peur de la dictée ?

Les ministres passent, la dictée reste toujours une « valeur sûre » sur le marché médiatique et chez les 67 millions d’experts de l’école qui constitue « l’opinion publique ». Un nouvel épisode récent nous le confirme. Pour Sylvie Plane, qui fut vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, ce n’est pas cela qui va permettre de régler le problème réel de l’orthographe des petits Français…

Dans un article paru en 20151, trois chercheuses ont attiré l’attention sur un paradoxe : en 2007, le premier ministre du Québec, et en 2004, le ministre français de l’éducation, François Fillon, avaient proclamé avec force leur volonté de restaurer la dictée, alors que les enquêtes dans les deux pays montraient que la dictée n’avait jamais cessé d’être une pratique fréquente.

La publication récente en France de directives ministérielles concernant à nouveau la dictée invite à regarder de plus près comment fonctionne la mise en vedette de cet exercice.

La dictée, source de malentendus

L’attention portée à la dictée n’a pas faibli depuis les faits relevés par les chercheuses : la dictée a été présentée comme une préoccupation des ministres français de l’éducation en 2012, 2015, 2018, et à nouveau en 2023. Cette récurrence s’explique par l’importance qu’a l’orthographe dans la société française et par le lien indissociable dans l’opinion publique entre dictée et orthographe.

On sait que les erreurs orthographiques discréditent ceux qui les commettent et une étude a même montré que leur présence était perçue comme un signe d’incompétence, voire de manque de sociabilité2. Il est d’ailleurs fréquent que l’on confonde maitrise de l’orthographe et maitrise de la langue.

Un malentendu du même ordre est à l’origine du pouvoir attribué à la dictée : dans les années 1830-1840, la mise en place d’examens pour recruter les fonctionnaires, avec pour épreuve phare la dictée, a forgé le prestige de cet exercice. Depuis lors, les privilèges auxquels donne accès la maitrise d’une orthographe compliquée ont systématiquement entravé les projets de réforme de l’orthographe française.

Un passage obligé

La valeur symbolique de la dictée en fait un passage obligé des discours ministériels et de ceux des médias. Ainsi, en 2015, la tribune dans laquelle la ministre Najat Vallaud-Belkacem présente les nouveaux programmes ne comprend qu’une brève phrase évoquant la dictée, mais la rédaction du Monde lui donne pour titre « Oui aux dictées quotidiennes à l’école ». La formule a du succès, ce qui lui vaudra d’être reprise en 2017 par Jean-Michel Blanquer.

La préconisation de dictées quotidiennes fait son retour en 2023 et sa mention dans un communiqué de presse du ministère lui vaut les gros titres. Le document à l’intention des professionnels a beau ne pas se limiter à la dictée et mentionner « des exercices de toute nature, notamment de dictée brève quotidienne », le projecteur est mis sur la dictée.

La prégnance de la dictée est si puissante que c’est en vain que le ministre Pap Ndiaye tentera, à l’occasion d’un entretien3, de convoquer une approche plus large de l’écriture. Lorsqu’il dit « Il y a donc la question de la dictée, c’est une modalité de l’écriture, mais il y a bien d’autres choses, il y a les cahiers d’écrivain, il y a les rédactions. Écoutez, il faut faire autre chose quand on fait du français que de remplir des phrases à trous et de répondre à des questionnaires. Il faut écrire », la journaliste l’interrompt par : « Et la dictée ! ». Peu importe que les propos du ministre rejoignent ceux des inspecteurs et des didacticiens4 qui signalent les limites d’une pédagogie mécaniste et insistent sur l’engagement dans l’activité rédactionnelle, pour l’opinion publique, représentée et guidée par la journaliste, l’apprentissage de l’écrit est incarné par la dictée.

Les fonctions ambigües de la dictée

La dictée traditionnelle est considérée comme l’instrument majeur de l’apprentissage de l’orthographe, alors qu’elle sert en réalité à vérifier que cet apprentissage a bien eu lieu, qu’il s’agisse d’une dictée de mots ou d’une dictée sous forme de texte. Elle est un outil d’évaluation efficace à condition d’avoir été bâtie de façon à ne mobiliser que des connaissances orthographiques enseignées.

Les tests bâtis par la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance) reposent sur ce principe : depuis 1987, le même texte, qui contient uniquement des mots dont l’orthographe est connue en CM2 ou peut être reconstituée et qui ne fait appel qu’à des règles enseignées à ce niveau de scolarité, sert à évaluer les compétences orthographiques des élèves à la fin de l’école primaire.

Mais la dictée a également été mise au service de la transmission culturelle : l’usage s’est pris de dicter des extraits d’œuvres littéraires choisis pour leurs qualités d’écriture, afin que les élèves rencontrent des tournures et du lexique jugés intéressants.

Malheureusement, ce rôle assigné à la dictée entre en contradiction avec celui d’instrument d’évaluation, puisque les points sur lesquels l’attention des élèves doit s’exercer n’ont pas été calibrés et sont imposés par la singularité du texte à transcrire : la mesure des compétences orthographiques est donc aléatoire. Une recherche5 a même montré que des élèves pouvaient commettre lors de dictées tirées de textes d’auteurs des types d’erreurs qu’ils ne commettent pas dans les rédactions, où ils ont la maitrise du texte à orthographier.

La dictée traditionnelle a également une autre fonction, qui explique l’intérêt que lui portent les ministres et les médias : il s’agit de sa fonction sociale. En effet, la dictée constitue un lien générationnel, en donnant aux familles le sentiment de préserver une tradition instaurée à l’époque mythique où les élèves étaient tous polis et sages et où tout le monde maitrisait l’orthographe, grâce aux dictées.

Plus important encore, la dictée est un exercice qui permet aux familles – et en particulier aux familles qui ont peu fait d’études – d’avoir leur part dans l’instruction que l’école dispense à leurs enfants. C’est un exercice scolaire dont ils comprennent aisément le fonctionnement et la notation, et c’est même le seul que, du moment qu’ils savent lire le français, et quel que soit leur niveau d’étude, ils peuvent faire pratiquer eux-mêmes à leurs enfants, puisqu’ils disposent nécessairement du corrigé.

Il y a dictée et dictée

À côté de la dictée traditionnelle à fonction d’évaluation, il existe des dictées à fonction d’apprentissage dont l’efficacité a été prouvée expérimentalement. À travers leurs variantes, « phrase dictée du jour6 », « dictée zéro faute », « dictée dialoguée », toutes reposent sur un même principe : un court texte présentant des problèmes orthographiques ciblés est dicté et il s’agit d’amener les élèves par la discussion au raisonnement permettant de les résoudre. La confrontation des graphies adoptées, la vérification d’hypothèses, le guidage par l’enseignant conduisent les élèves vers le raisonnement orthographique.

Ces dictées reposent sur un protocole précis et requièrent une certaine expertise. Comme le signale le nom « phrase dictée du jour », elles exigent répétition et ritualisation, d’où la recommandation par le ministère de la quotidienneté. Reste que cette condition est plus facile à remplir à l’école élémentaire qu’au collège où les élèves n’ont pas nécessairement cours de français tous les jours.

Le communiqué de presse du ministère évoquait l’idée de faire intervenir des professeurs des écoles en 6e, dans la perspective de la liaison école-collège, mais, outre la question de la disponibilité des professeurs des écoles, qui n’a pas été envisagée, il n’est pas sûr que la dissociation des apprentissages relevant du français entre plusieurs intervenants soit fructueuse si des conditions de coopération ne sont pas mises en place.

Sylvie Plane
Professeure émérite en sciences du langage à Sorbonne Université

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Notes
  1. Danièle Cogis, Carole Fisher, Marie Nadeau. « Quand la dictée devient un dispositif d’apprentissage », Glottopol n° 26, 2015 , p. 69-91.
  2. Christèle Martin-Lacroux « La prise en compte des fautes d’orthographe dans les dossiers de candidature par les recruteurs : une étude empirique par la méthode des protocoles verbaux », GRH n° 14, 2015 , p.73-97.
  3. Dans la « Matinale » de France Inter, le 2 février 2023.
  4. Voir Élisabeth Bautier, Contribution à la réflexion sur les nouveaux programmes du cycle 2 et du cycle 3 de l’école primaire, novembre 2014 : https://eduscol.education.fr/document/16258/download.
  5. Agnès Furman. L’orthographe des verbes dans les dictées et les rédactions des collégiens, thèse de doctorat sous la direction de Sylvie Plane, Sorbonne Université, 2022.
  6. Catherine Brissaud et Danièle Cogis, Comment en enseigner l’orthographe aujourd’hui, Hatier, 2011.