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Enseigner, un métier vivant

Professeure de physique chimie depuis 2002, elle est très vite partie enseigner au lycée français de Shanghai pendant un an. A son retour, elle est nommée dans la banlieue lyonnaise puis parisienne, enseigne quatre ans à Paris dans un lycée peu coté puis part à Houston, où elle est recrutée dans un établissement américain comprenant une section française. De son parcours, dans des contextes et auprès de publics variés, elle enrichit l’apprivoisement de son métier.

C’est aux États-Unis, qu’elle se nourrit le plus des différences, dans un lycée au fonctionnement à l’américaine. Pendant trois ans, elle s’immerge dans une culture scolaire où l’enseignement par le jeu, par le « fun », est privilégié. Elle enseigne en français, garde une trace de son approche française qu’elle nourrit aussi de ses échanges avec ses collègues américains, qu’elle module en s’adaptant aux règles, aux coutumes, à ce qui peut sembler du folklore et qui ressort plus d’une vision autre de l’éducation.

Elle accompagne également et forme ses collègues de l’école primaire française pour l’enseignement des sciences. Elle le fait en collaboration avec une professeure états-unienne qui effectue le même accompagnement côté école américaine. « Nous avions parfois du mal à nous comprendre mais nous nous sommes mutuellement enrichies. Nous avons des approches de l’enseignement extrêmement différentes. Les Français reprochent le manque d’approfondissement des Américains car nous sommes plus dans l’abstraction, le concept, mais d’un autre côté, les élèves américains viennent à l’école avec plaisir. Ça m’a questionnée. »

Plaisir d’apprendre

Elle revient en France pour la rentrée 2015 avec l’idée de mélanger les deux approches. Elle se demande comment faire pour créer une atmosphère de travail propre à développer le plaisir d’apprendre chez les élèves, à instaurer une confiance réciproque. Elle sent que l’expérience américaine lui a donné quelques clés. « Il y a une vraie réflexion pédagogique et didactique en France qui doit pas faire oublier qu’on a un métier humain. » Elle est nommée au lycée Edgar-Quinet à Paris, un établissement qui est rarement le premier choix des élèves qui s’y trouvent. Elle s’y sent bien d’emblée, malgré le contraste avec l’expérience qu’elle vient de vivre.

Aux États-Unis, elle avait pris goût à la formation, alors elle s’implique ici encore plus fortement en animant des stages du Plan académique de formation. Elle est formatrice pendant les universités du Centre national d’études spatiales auprès d’enseignants de physique-chimie, de sciences et vie de la terre ou encore d’histoire-géographie. Elle apprécie ces temps où des professeurs viennent travailler ensemble sur des contenus. Dans l’année, dans le cadre académique, ses thèmes privilégiés sont l’évaluation et le développement de l’esprit critique.

Esprit critique

« Avant de former mes collègues sur l’esprit critique en sciences physiques, je m’y suis mise deux ans avant eux. J’ai partagé le thème avec une collègue rencontrée dans un groupe de formateurs. On a préparé la formation ensemble en se disant que le recul que l’on avait pourrait permettre de faire avancer les collègues. » Durant deux jours, la formation porte sur le décryptage de l’information, les biais de communication, le traitement de l’information. Elle regarde du côté de l’art du discours, des techniques de communication utilisées pour convaincre, pour voir ensuite comment produire des activités réalisables en classe. Les scénarios créés peuvent se baser sur l’analyse d’une image de publicité, sur l’animation d’un débat scientifique, sur l’étude de textes.

L’idée est de distiller l’esprit critique par petites touches, par des situations déclenchantes, en évitant que les activités ne deviennent chronophages. « L’analyse critique nécessite des connaissances pour tirer le vrai du faux, pour évaluer, juger. C’est ce qu’il faut faire comprendre aux élèves, que les connaissances sont nécessaires pour être plus forts dans l’analyse, la réflexion. » Elle cite le travail réalisé avec des élèves de Terminale S en analysant trois articles sur la découverte d’une particule élémentaire qui mettrait en cause la théorie d’Einstein, et la façon dont les publications relayaient l’information, avec pour l’une l’emploi du conditionnel et les autres l’affirmation voire l’extrapolation. Elle parle également des chiffres, des graphiques qui, selon la façon dont ils sont présentés, peuvent amener à une analyse totalement erronée. Les supports sont variés pour développer l’esprit critique et en les utilisant régulièrement, sur des temps ne dépassant pas le quart d’heure, ils amènent la construction de compétences en raisonnement, en analyse.

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Groupe d’élèves de Terminale S au cours d’une séance en classe mutuelle.

Une juste évaluation

Elle anime également des formations sur la diversification de l’évaluation en physique-chimie pour rendre cette évaluation la plus juste, la plus objective possible. « Au fil des ans, j’ai découvert que l’évaluation doit être explicite de A à Z, doit être un outil de communication avec les élèves et les parents. » La note était son sujet de mémoire d’IUFM, car elle se sentait peu à l’aise avec l’idée de noter et même avec les conseils de classe. Dans ses formations, elle évacue la question de la note pour s’intéresser au comment évaluer. « Le stress lié à l’évaluation est très spécifique à la France. En travaillant aux USA, j’ai vu qu’on n’avait pas la même approche de l’évaluation ni sur la préparation, ni sur la notation, ni sur le types de questions. En avançant et en échangeant, j’ai compris la nécessité d’expliciter les objectifs. Le contrat est clair, la confiance passe par là. »

Pendant ses formations, elle insiste sur la définition de critères et d’indicateurs de réussite, d’objectifs réalistes. Elle fait analyser les évaluations de travaux pratiques par les stagiaires avec parfois comme constat un nombre trop important de savoir-faire à mettre en œuvre. Elle propose des outils, des grilles, facilite les échanges au sein du groupe, en particulier d’activités. Tous les moyens d’évaluer sont abordés y compris les exposés oraux, les débats.

Elle souligne l’importance d’utiliser les compétences orales nécessaires aussi en sciences où les métiers liés se pratiquent souvent dans un collectif. Il faut alors savoir échanger, mettre en valeur ses idées, argumenter. Et, évaluer par l’oral permet de mettre en valeur des élèves plus éteints sur des compétences calculatoires ou de résolution de problèmes de sciences-physiques. « Aux États-Unis, on arrive toujours à mettre en valeur un talent, les élèves savent où ils sont bons. Dans mon lycée, les élèves ont souvent une mauvaise image scolaire d’eux, avec des réactions épidermiques quand on parle de calcul. Apaiser ça, me tient à cœur, c’est un vrai défi car les élèves en seconde sont formatés par les notes. Et puis, quand ça se passe bien en classe, c’est plus facile de faire son métier. »

Se nourrir en formation

Elle apprécie d’animer des formations car cela nourrit sa façon d’enseigner, lui donne des idées de thèmes nouveaux, d’activités nouvelles. Elle constate l’évolution des élèves, avec des compétences différentes, un niveau d’exigence plus fort dans l’information amenée par l’enseignant du fait de l’émergence du numérique. Elle voit son propre rôle se transformer dans cette relation à l’information, avec la nécessité d’analyser, de synthétiser. Elle pratique un peu la classe inversée, lorsque la leçon n’est pas trop compliquée, réservant les activités complexes aux temps de cours. Elle l’a fait au départ d’une façon qu’elle qualifie de radicale puis a modéré son approche en constatant l’énergie qu’elle réclamait aux élèves comme à elle.

Elle varie les types d’animation, en passant du magistral à la mise en activités variées. « J’aime bien voir mon avancement dans le métier comme la constitution d’une boîte à outils pour répondre à un besoin à un moment donné. Je réfléchis presque au cas par cas sur ce que je veux faire passer et quel outil pour le faire passer au mieux selon la classe, l’état de la classe. » Et au cœur de tout, il y a la confiance, le climat de confiance qui s’instaure par l’explicitation des méthodes, des façons de faire.

Elle communique ses constats, ses techniques, son approche du métier d’enseignante auprès de professeurs stagiaires et de néo-titulaires qu’elle accompagne. Elle échange avec eux sur les questions de fond liées au métier, ses objectifs, les difficultés rencontrées. Elle les accueille dans sa classe et va voir aussi les nouveaux enseignants dans la leur. Elle apprécie ces accompagnements dans l’entrée dans un métier qu’elle goûte pour le renouvellement qu’il impose sans cesse.

Les bons élèves ont les mêmes besoins

Elle enseigne aussi en anglais auprès d’une section européenne dans un autre lycée que le sien, où les élèves sont autres, considérés comme d’un bon niveau. « Je me suis demandée si je serais capable d’enseigner à des bons élèves. Je me suis rendu compte que les besoins étaient les mêmes, avec le même besoin de confiance. J’avais des préjugés qui se sont effacés. Il y a plein de choses à faire en pédagogie avec les bons élèves. »

Au lycée Edgar-Quinet, elle sent la nécessité de mettre en place des projets, de communiquer avec les collègues pour répondre aux besoins de lycéens en manque d’estime scolaire. Aux États-Unis, le travail par projet et en équipe est une obligation, un cadre quasi normé pour enseigner. Elle regarde sa boîte à outils constituée au fil des années, dans des contextes différents, souvent par nécessité, comme un trésor qui n’en finit pas de s’enrichir. Et dans ce mouvement perpétuel de recherches, d’échanges, de créativité, elle puise ce qui donnera à ses élèves, quels qu’ils soient, le plaisir d’apprendre et ce qui nourrit sans cesse son goût d’enseigner.

Monique Royer