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Éducation prioritaire, il est urgent de ne plus mentir !

Dans un colloque sur le bilan de l’éducation prioritaire, j’interpelle une des personnes qui communique avec force tableaux et diagrammes :

« La Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (sic ! la DEPP) peut-elle dire combien coutent annuellement à Montpellier un élève de collège en éducation prioritaire (à Las Cazes devenu Simone-Veil par exemple) et un élève de centre-ville (à Joffre), en y incluant toutes les dépenses, y compris les salaires ?

— Nous ne savons pas le faire. »

Je fais part de mon hypothèse selon laquelle l’élève de Joffre bénéficie d’une somme annuelle largement supérieure, en raison des écarts de salaire des personnels entre début et fin de carrière, propice à une affectation en centre-ville. La personne admet que c’est probablement vrai.

À qui sont réservées les heures les mieux rémunérées de notre système éducatif ? Aux élèves des classes préparatoires aux grandes écoles. Et combien sont-elles payées ? Ces colles peuvent atteindre 74,08 € de l’heure de face-à-face avec filles et garçons qui ne proviennent que rarement de l’éducation prioritaire !

Cette hypocrisie généralisée sur l’affectation réelle des financements repose sur le double oubli de l’effet maitre (la plénitude de la compétence est atteinte dans la quinzième année de carrière, selon Michael Huberman : combien d’enseignants ont alors profité des bonifications pour quitter l’éducation prioritaire ?) et de l’effet établissement (les mères de Las Cazes ont manifesté l’an dernier et cette année pour introduire de la mixité dans ce collège).

Enfin, j’ai toujours été frappé par le traitement macrosociologique ou macroéconomique de ces études : les investissements auraient été vains, voire contreproductifs (interprétation du dernier rapport du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire), mais aussi d’une étude plus ancienne de l’Insee). Or, la quasi-totalité des moyens attribués l’est sous forme d’une indemnité perçue par tous les personnels. Elle n’est pas liée à une action, mais à une présence géographique. Le récent décret qui modifie le service des enseignants attribue un bonus en temps aux ZEPistes, sans qu’ils aient à rendre compte de l’usage qu’ils en font.

Alors, que reste-t-il aux équipes qui essaient de faire réussir tous les élèves pour mener des projets spécifiques ? Des bouts de ficelle avec lesquels elles se débrouillent pour acheter quelques ordinateurs et impliquer des assistants d’éducation.

Il est temps d’arrêter de donner toujours plus à ceux qui ont plus. Il est grand temps d’attribuer aux équipes les moyens requis par leurs projets : locaux réaménagés, formation, accompagnement et temps collectif, effectifs diminués de moitié pour les 5 % qui sont actuellement classés en REP+ (réseau prioritaire renforcé) et mixité sociale dans les écoles et établissements, mais aussi dans les classes ! Il est plus que temps enfin d’arrêter de mentir sur les moyens supplémentaires qui seraient attribués à l’éducation prioritaire, alors qu’ils ne sont pas au rendez-vous !

Richard Étienne
Coordonnateur de la recherche « Faire réussir tous les élèves de 6e » au collège Pons de Perpignan.