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Du roman médiéval au film d’animation

Cela fait trois ans de suite que nous étudions Perceval ou Le Conte du Graal en classe de 5e. Pour casser la routine de nos cours et aborder le même ouvrage d’un point de vue différent, avec un objectif final différent, nous recherchons régulièrement de nouvelles idées. C’est un surcroit de travail, certes, mais c’est aussi la richesse de notre métier.

Lorsque l’on fait des modifications, on se base très souvent sur nos expériences passées, le ressenti des élèves de l’année précédente, leurs idées… Pour Perceval, les cinquièmes de l’an dernier voulaient être davantage acteurs dans la lecture et la compréhension, car cet ouvrage reste avant tout un roman de chevalerie parsemé d’actions.

Outre cette volonté de modifier notre séquence, le contexte sanitaire et les règles imposées en interne comme l’absence de voyages scolaires, mais aussi la fermeture des cinémas et des musées, nous ont contraints à imaginer des projets intraniveaux. Le projet de stop motion (réalisation d’un film à partir d’objets inanimés, retraçant l’histoire), qui nous semblait fédérateur mais aussi abordable par chaque élève, quels que soient son niveau et ses compétences, rentrait dans ce cadre. Il nous a permis de réunir trois classes de 5e.

Lorsque nous avons présenté cette idée aux élèves – avant même qu’ils abordent la lecture du livre, pour qu’ils puissent adapter la lecture à cette finalité –, nous avons eu ce type de réflexion enthousiaste : « C’est super de transformer une histoire écrite en film, ça donne envie de la lire! »

SÉQUENCES PRÉPARATOIRES

Le projet a débuté par la lecture individuelle de l’œuvre intégrale Perceval ou le Conte du Graal puis s’est poursuivie par son analyse en classe dans le thème « Agir sur le monde : héros/héroïnes et héroïsme » (la séquence précédente, « Héros : mode d’emploi », avait permis d’élaborer une « définition » du héros à travers les siècles). Perceval est un roman de chevalerie abordable pour des élèves de cinquième, il n’est pas trop long, et l’adaptation par Anne-Marie Cadot Colin propose un vocabulaire plus accessible pour nos élèves que la version originale de Chrétien de Troyes. Le découpage en dix-neuf chapitres permet aux élèves de s’y retrouver, d’organiser leur lecture et leur prise de notes éventuelle. Enfin, ce roman a l’avantage de présenter la notion d’« anti-héros » et d’aborder tous les aspects du roman de chevalerie au Moyen Âge en alliant humour et aventures.

Par groupe de quatre, les élèves doivent raconter en images un chapitre du roman.

Par groupe de quatre, les élèves doivent raconter en images un chapitre du roman.

Cette séquence s’est étalée sur cinq semaines et contenait une alternance entre des temps d’analyse (amour courtois, scènes de combat, la figure de chevalier, roman d’éducation, le merveilleux, le côté épique) et des séances de langue (origine des mots, étymologie, discours direct, voix active et voix passive). Elle a été programmée au mois de janvier, le début de l’année ayant permis de créer une dynamique au sein de chaque classe, des habitudes de travail collectives pour éviter les exclusions, conditions indispensables à la réussite de ce projet. Nous avons attribué un chapitre par groupe de quatre élèves. Ce sont eux-mêmes qui ont choisi leur groupe pour une meilleure cohésion, confiance et pour favoriser leur autonomie.

Au regard de l’ampleur de cette expérience inédite, un petit groupe d’enseignants (des collègues volontaires, notamment des enseignants d’histoire, des enseignants aguerris au numérique et les professeurs principaux des classes concernées) a été mobilisé, permettant de valoriser plusieurs compétences pour les élèves : le travail de groupe, l’autonomie, la créativité et l’utilisation d’outils numériques.

MOTEUR !

Concrètement, nous avons procédé par étapes.

L’histoire. Nous avons imposé aléatoirement un chapitre à chaque groupe. À la maison, chaque élève devait résumer le chapitre attribué sur son cahier de brouillon : principales actions, personnages et lieux. La mise en commun s’est faite au cours suivant, en autonomie, par groupe. Nous passions à travers les groupes vérifier la compréhension des informations. Certains élèves rencontrant des difficultés de compréhension ont bénéficié de l’explication orale de leurs camarades. Cela a permis aux élèves plus à l’aise avec la compréhension de texte de verbaliser ce qu’ils avaient compris. La réécriture en groupe du résumé de leur chapitre s’est donc faite rapidement, avec une consigne majeure : lecture du résumé de deux minutes maximum par chapitre. Puis, nous avons vérifié et validé le texte de chaque groupe.

Le matériel. Les élèves ont d’abord collecté de nombreux objets personnels : figurines, notamment PlaymobilMD, décor fabriqué « maison » (un château fort fabriqué en palettes, une table en KaplaMD…), ou photos personnelles (la forêt…). Suite à cette collecte, il a fallu sélectionner les figurines qui joueraient les personnages récurrents dans l’histoire. Ce fut l’occasion pour les élèves de se confronter aux choix de leurs camarades et de les argumenter. Par exemple, certains objets étaient beaucoup trop modernes pour apparaitre dans un court-métrage médiéval.

Les élèves ont récolté des objets personnels (photos, objets, figurines) pour constituer les décors.

Les élèves ont récolté des objets personnels (photos, objets, figurines) pour constituer les décors.

Le tournage. Les élèves, munis d’une tablette, ont reconstitué en images l’histoire de leur partie, en prenant environ 200 photos par chapitre pour aboutir au projet final : le stop motion. Cette technique d’animation permet aux objets réels et immobiles de créer l’illusion de leurs déplacements. Les personnages prennent vie grâce à un montage en accéléré des photos mises bout à bout. Entre chaque cliché, des élèves déplaçaient les personnages pour matérialiser le mouvement. Toutes les scènes ont été rassemblées pour donner naissance à un court-métrage de 24 minutes relatant l’histoire du chevalier Perceval.

Les bruitages. Les bruitages, quant à eux, ont été réalisés de plusieurs façons : certains élèves ont enregistré de vrais bruits de chevaux. D’autres ont enregistré leurs propres pas ou encore fait avec les moyens du bord, par exemple en utilisant des règles en fer pour imiter l’entrechoquement des épées.

Le montage. L’enregistrement a ensuite été réalisé avec l’application gratuite « Stop Motion Studio », téléchargeable sur Android. Chaque groupe avait une tablette à disposition pour cela. Le travail s’effectuait de nouveau en autonomie et dans une salle différente pour chaque groupe (afin d’éviter tout bruit parasite). Pour le côté technique, les élèves ont bénéficié d’explications de leurs professeurs qui s’étaient familiarisés avec l’outil téléchargé au préalable. Des tutoriels étaient également présents sur Internet pour guider les élèves. Chaque groupe d’élèves a eu quatre heures pour réaliser l’ensemble des étapes : résumé, voix off, prise des photos, etc.

UN BILAN CONSTRUCTIF

Après le visionnage de l’intégralité du stop motion en classe, un bilan réflexif a été réalisé ; les élèves ont pu ainsi s’exprimer sur cette expérience : « Les professeurs nous ont laissés travailler en autonomie, c’était un vrai défi d’être à la hauteur de tous les autres groupes », « C’était parfois difficile de se mettre d’accord avec nos copains, je voulais que mes idées soient retenues mais ce n’était pas toujours le cas », « C’est difficile de caler parfaitement sa voix aux photos, parfois elle allait trop vite, parfois on n’avait pas assez de photos, donc plusieurs essais étaient nécessaires. »

Si quelques points critiques ou à améliorer ont surgi – images floues, fluctuation du volume et du débit des voix, cadrage qui bouge –, beaucoup de points positifs sont ressortis : autonomie appréciée des élèves, l’aboutissement d’un film avec autant d’élèves impliqués, aspect uniforme global malgré la multiplicité de groupes, histoire compréhensible. Certains parents, après le visionnage du court-métrage, ont lu le livre et ont dit à leur enfant qu’il avait de la chance, car à leur époque les projets n’étaient pas aussi créatifs et variés.

Ce projet, relayé par les deux journaux locaux (Le Courrier de l’Ouest et La Nouvelle République), sur la page Facebook et sur le site du collège, a tellement reçu l’enthousiasme des élèves que nous réfléchissons déjà à renouveler des projets similaires l’an prochain.

Stéphanie Millet et Sophie Servant
Professeures de français au collège Notre-Dame de Bressuire (Deux-Sèvres)