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Décrochages scolaires – L’école en difficulté

Dès l’introduction, l’auteure annonce la couleur : elle va montrer comment, bien qu’il ait des causes multiples, le décrochage scolaire s’origine pour une large part dans l’école elle-même. Le sous-titre de son ouvrage, L’école en difficulté, souligne d’ailleurs cette problématique centrale.
Elle va donc examiner successivement la construction sociale du décrochage et sa définition, puis les facteurs familiaux et psychologiques de ce risque, ceux notamment liés à la santé des adolescents en difficulté. Elle terminera par la description des politiques et des dispositifs de lutte et de prévention contre le décrochage, en France, en Amérique du Nord et en Europe.

Les statistiques qui mesurent le décrochage scolaire sont, chez nous comme ailleurs, d’une grande incertitude. En France, en 2005, le CERQ (centre d’études et de recherches sur les qualifications) annonçait 18 % de jeunes qui sortaient sans diplôme du système éducatif, quand l’Éducation nationale n’en comptait que 8 %, soit 60 000 décrocheurs… Car la définition du décrochage ne va pas de soi tant elle recouvre une grande variété de situations. C’est « un processus qui se construit dans la longue durée » et « s’étend de la petite enfance à l’entrée dans l’âge adulte ». Alors, le plus sûr est de voir de l’intérieur du phénomène qui sont ces décrocheurs et de mesurer le poids relatif de ses causes. Quelle est la part des parents, réputés défaillants ou démissionnaires, dans le décrochage des enfants ? Quelle est celle des difficultés matérielles et sociales où sont plongées les familles, celle du manque d’appétence pour les études de certains élèves ? Celle de l’école, enfin, supposée produire l’échec et les retards scolaires et donc le décrochage ?
C. Blaya s’attache à produire d’abord une typologie des élèves à risque. Elle étudie les variables scolaires, personnelles et familiales du comportement décrocheur et les résume ainsi : « Les variables marquant le plus la différence sont par ordre décroissant le climat scolaire, les comportements agressifs, la dépression, le déficit d’attention, la résolution de problèmes dans la famille et le comportement familial ». Elle établira par la suite les liens qui unissent absentéisme, décrochage et délinquance.

L’école du décrochage

Sans nier la responsabilité des déficiences parentales et familiales, celle des troubles psychologiques et physiques des jeunes eux-mêmes, on va voir que l’école est en première ligne pour provoquer le décrochage… Comment s’y prend-elle ?
C’est tout d’abord la qualité du « climat » de l’établissement et de la classe qui influence fortement la scolarité et la qualité des apprentissages : « la relation aux adultes de l’établissement et la clarté des règles sont deux des éléments saillants » pour cette variable.
Un autre élément du climat scolaire réside dans la victimisation des jeunes, agressés au cours d’incidents violents ou de harcèlement de la part d’autres élèves. Les victimes de ces agressions ont du mal à se concentrer sur leur travail et leurs résultats en pâtissent. Ils sont aussi souvent poussés à s’absenter afin d’éviter leurs agresseurs.
Le second facteur du décrochage est l’étiquetage stigmatisant de l’élève dès l’école primaire et tout au long de son parcours. Les échecs scolaires cumulés dès le départ, les redoublements, les orientations imposées dans des dispositifs de mise à l’écart (SEGPA, CIPPA[[Cycle d’insertion professionnelle par alternance.]], etc.) produisent chez le jeune une détérioration de l’estime de soi à partir de laquelle il lui devient impossible de se construire : « Le stigmate de l’échec scolaire conduisant à une assignation institutionnelle en classe de relégation est commun ». L’élève ainsi « labellisé » et stigmatisé est conduit à accepter totalement « l’étiquette imposée par le système et ses acteurs, dans une naturalisation des difficultés qui est bien une forme incorporée de la domination par la violence symbolique[[Cf. P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, 1997.]] ».
Une autre cause scolaire du décrochage réside dans l’ennui à l’école. Il affecte plus de 70 % des élèves identifiés à risque et est dû à une orientation subie et mal vécue, à des difficultés d’apprentissages, à des relations conflictuelles avec les enseignants et/ou les camarades, parfois même à une précocité non reconnue. Il est bien aussi la cause de la désaffiliation scolaire et de l’abandon, produisant chez l’élève solitude, tristesse, déprime, passivité.
Enfin, un point nodal du climat scolaire réside dans la qualité des relations élèves/enseignants et de leurs interactions au quotidien. Le sentiment de manque de soutien et d’écoute de la part des enseignants, mais aussi le manque de respect, de considération ont des effets très négatifs sur l’accrochage scolaire : « Une attitude bienveillante de la part des enseignants à l’égard de leurs élèves réduit par trois le risque de passer à un niveau supérieur de décrochage chez les élèves. »

Les politiques et les programmes de lutte et prévention du décrochage

Les derniers chapitres de cet ouvrage sont consacrés aux moyens de lutte contre le décrochage qui affecte tous les pays développés. Le Canada, les États-Unis et la plupart des pays européens sont analysés méthodiquement.
Et bien sûr, on trouvera une synthèse très éclairante et actualisée de la politique française de prévention du décrochage. Tous les dispositifs examinés ici sont en lien direct ou très étroit avec l’école et la plupart sont bien connus de nos lecteurs : les MIS (missions générales d’insertion), les RAR (réseaux ambition réussite qui ont remplacé les ZEP), les RASED, les PPRE, les MOREA (modules de repréparation à l’examen par alternance), les dispositifs relais (classes, atelier, internats), les GAIN (groupes d’aide et d’insertion au lycée), les PNC (programmes nouvelles chances), les PRE (projets de réussite éducative), les CLAS (contrat local d’accompagnement scolaire), les cellules de veille et de prévention, etc.
Mais beaucoup de ces trop nombreux dispositifs sont insuffisamment pilotés, jamais ou mal évalués, souvent très temporaires (le temps d’un effet d’annonce, ils font trois petits tours et ils disparaissent…) Ils dispensent parfois le même type de service et souffrent ainsi d’un manque de visibilité pour les familles et les professionnels. Ils manquent de cadrage, de protocoles de mise en œuvre, d’outils pédagogiques adaptés. L’instabilité et la non-pérennisation des équipes pédagogiques et d’établissement, l’absence de toute formation des personnels, la suppression des postes par dizaines de milliers sont un obstacle majeur pour la continuité et la réussite des actions. Enfin, les dérives sécuritaires et répressives de la politique gouvernementale actuelle ne sont pas faites pour améliorer le climat. Pour preuve les internats coercitifs, les ERS (établissements de réinsertion scolaires) qui amènent parfois les jeunes qu’on veut y enfermer à la révolte et au saccage…

Observons pour finir que dans la liste des dix programmes évalués comme efficaces pour prévenir et réduire le décrochage scolaire, pas un seul n’est français…

Raoul Pantanella