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« Dans mon château »… Silence on tourne !

Un château en carton sert de point de départ à l’écriture d’histoires par des élèves de cours élémentaire. Après un aller-retour entre écrit et oral, ils seront filmés racontant l’histoire qu’ils ont imaginée.

Ils se tiennent debout dans le grand château en carton construit pour ce travail d’écriture, qui s’appuie sur une réalisation vidéo destinée à être partagée avec les autres enfants de la classe, de l’école, et les familles. Ils sont là, attentifs, prêts à mettre en scène et à faire vivre, dans un très court métrage, l’histoire qu’ils ont imaginée. Ils jettent un dernier regard à leur texte et ils se lancent : « Dans mon château, je reçois mes amis, je leur offre le thé, on parle de longues heures au salon. » Ou encore : « Dans mon château, je conduis mon train et je dis bonjour aux voyageurs. Tut, tut ! Dans mon château ! »

Que ce soit pour passer à l’écrit, pour mettre en scène ou filmer leur travail, nul ne manque à l’appel. Cependant, chacun va à son rythme, et ceux qui sont plus à l’aise pour trouver des idées n’hésitent pas à se lancer, à présenter leur travail une première fois, essayer, entendre et écouter les retours des autres élèves, les conseils donnés, etc. On les voit installés à deux ou trois et rayer chacun dans leur cahier de brouillon ce qui « ne va pas » et, réécrire, recommencer, avancer patiemment dans leur texte. C’est un travail qui mènera à une réalisation individuelle mais le collectif est là, la coopération entre les élèves participe à permettre à chacun d’avancer à son rythme.

Inventivité, créativité, initiative

Ils n’ont que 7 ou 8 ans, ils sont en CE1 ou en CE2, ils n’ont pas une grande expérience de l’écrit et pourtant, ils s’engagent, s’appuient sur l’oral pour écouter ce qu’ils disent et pour écrire. Dans la classe, après un travail régulier mené dans le cadre de différents chantiers d’écriture, on entend beaucoup moins les élèves dire qu’ils n’ont pas d’idées, qu’ils ne savent pas quoi dire ni qu’ils ne savent pas écrire les phrases ou les mots. Et ainsi, on peut plus aisément, se laisser surprendre par leur inventivité, leur créativité, leurs initiatives1 pour écrire et devenir des ambassadeurs de l’écrit.

Dans ce travail avec les élèves, j’essaie de faire vivre au sein de la classe une pratique de l’écriture en favorisant les interactions entre les élèves, en m’appuyant sur l’expression orale, l’improvisation ou le dessin2. Ce que je retiens de ce travail, c’est également la façon dont nous accueillons ensemble avec les élèves les initiatives, les projets d’écriture pour leur permettre d’investir plus aisément le monde de l’écrit.

L’usage de la vidéo ou du numérique m’a permis de faire évoluer ma pratique tout en me rendant compte que la maitrise des outils utilisés n’était pas insurmontable et que, bien souvent, cela m’avait permis de m’ouvrir à des partenariats et de m’engager à mon tour dans un travail collaboratif ouvrant à d’autres initiatives ou projets d’écriture avec mes élèves.

L’importance du partage

Ce que je retiens également du travail « dans mon château », avec la réalisation d’une vidéo partagée avec les familles, c’est l’importance, pour favoriser l’entrée des élèves dans le monde de l’écrit, de nous appuyer sur la communication de ce qui a été produit, réalisé par les enfants. Nul doute que le fait de partager ce travail, leur travail, est un puissant levier pour développer les compétences des élèves dans le domaine de la maitrise de la langue, mais aussi, cela permet de les rendre fiers, de leur donner confiance en eux, tout en leur donnant envie de poursuivre, d’écrire à nouveau et de donner du sens aux apprentissages.

Découvrir avec mes élèves, dans ce contexte d’écriture, « qu’on a utilisé même en CE1 » le passé composé, qu’on a su trouver le mot que l’on cherchait absolument pour décrire la robe que l’on portait dans son château pour recevoir ses amis, m’a peut-être permis en tant qu’enseignant de penser autrement ma pratique de l’écrit et aidé à m’interroger sur mes élèves qui écrivent, sur leur entrée dans l’écrit et peut-être aussi sur leur rapport à l’écrit. De même, la question d’une pratique de l’écrit prenant appui sur le langage oral m’a amené à réfléchir et à m’appuyer sur le lien oral/écrit comme un levier facilitateur du passage à l’écrit tout en explicitant le plus justement possible les conditions de mise en œuvre du langage écrit.

De nouveaux mots

Il est difficile pour des enfants de 7 ou 8 ans de planifier leur travail d’écriture, mais le fait de leur permettre d’identifier le projet, son but, et d’associer à ce travail d’écriture un projet de communication les aide sans doute à s’approprier petit à petit les attendus voire les exigences de l’écrit. De même, la mise en mots en convoque souvent de nouveaux, et je dis aussi par moments à mes élèves : « Faites-vous confiance et vous verrez, les idées viennent en écrivant. Prenez le temps de les faire venir ! » Ce temps de passage à l’écrit est un temps qui se construit ensemble patiemment et qui offre souvent pour les élèves des temps d’étonnement, de découvertes, de partage. Il me semble que ces moments de vie de classe font partie des leviers concrets pour favoriser l’entrée dans l’écrit des élèves.

Je vois aussi que, dans ce cheminement pour écrire et s’exprimer, les élèves prennent conscience que les activités langagières ne constituent pas une simple transcription d’idées mais qu’elles contribuent à la construction de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être. De ce point de vue, cela nous permet de nous interroger et sans doute de comprendre que les problèmes que rencontrent les élèves avec le langage ne sont pas seulement des problèmes techniques relevant d’une mauvaise maitrise de la langue orale ou écrite, mais que cela implique d’autres dimensions voire d’autres conditions : s’engager à penser, voire penser avec d’autres, coopérer et même partager ce que l’on a écrit.

Le rôle de l’enseignant durant ce travail n’est pas réduit à un rôle d’organisateur ou d’observateur, notre place dans les interactions est décisive. Cela permet aux élèves de résoudre les problèmes d’écriture qu’ils rencontrent afin de créer les conditions favorables à une dynamique individuelle et collective pour qu’ils puissent s’engager et avoir envie d’écrire. Il me semble, au travers de ce travail, que c’est aussi parce que les élèves se sentent compris et soutenus qu’ils sont en meilleure position pour s’investir dans les apprentissages et le passage à l’écrit.

Et maintenant, on improvise !

Pour essayer d’aider au mieux mes élèves aux prises avec le processus d’écriture, j’essaye depuis de nombreuses années de trouver différentes entrées et outils, leur permettant de mobiliser le langage dans toutes ses dimensions. Une des entrées que j’utilise assez régulièrement est d’associer l’usage d’objets et de personnages sur lesquels les élèves vont pouvoir s’appuyer pour écrire leur histoire, construire leur récit, tout en les manipulant. Rien de bien révolutionnaire ni spécialement innovant en soi, mais s’appuyer sur ce genre d’éléments de médiation m’apparait être un levier favorisant leur engagement dans la pratique de l’écrit en classe.

Nous réalisons, au terme de ce travail, des vidéos qui sont partagées ensuite au sein de la classe, de l’école et avec les familles. Il ne suffit cependant pas de poser là des figurines devant soi et de raconter tout en improvisant. « Ce serait trop simple ! », comme l’a dit un jour un élève de la classe, qui a en même temps parlé de son expérience de lecteur pour évoquer l’intérêt de l’histoire pour ceux pour qui on l’écrit et pour ceux à qui on la raconte. Cela participe des petits pas qui font avancer individuellement et collectivement les élèves dans leur travail d’écriture.

En prolongement de ce travail, confronter fréquemment les élèves à des œuvres susceptibles de nourrir leur imagination participe à leur construction d’une culture littéraire partagée et qui, de cycle en cycle, fait son chemin.

Un continuum d’oral et d’écrit

Dans ce travail, oral et écrit sont envisagés comme un continuum. Ne pas chercher à les opposer permet aux élèves de prendre en compte les caractéristiques propres de l’écrit. Outre la dimension orale de la compétence langagière développée, je propose à mes élèves de prendre en compte de manière plus systématique l’écrit dans son rapport à l’oral. L’appui sur des temps de questionnement, d’interaction entre les élèves et de guidage par l’enseignant est fondamental pour mener à bien ce travail et pour permettre aux élèves de se sentir compétents.

Pour que les élèves puissent mener à son terme leur projet d’écriture, je prends en charge les échanges verbaux par lesquels passe aussi l’aide à la construction des savoirs des élèves. Ce que j’observe lors de ce guidage, c’est que de plus en plus, ce sont les élèves qui questionnent la tâche orale et écrite à accomplir. Leurs questions sont en ce sens de plus en plus pertinentes. Cependant, le travail de reformulation par l’adulte participe à guider l’enfant lors de son passage à l’écrit et ses apprentissages.

C’est peut-être un temps de travail avec les élèves qu’il faut savoir prendre, dans la mesure où ce travail associe deux objectifs importants du cycle 2 que sont l’acquisition du langage oral et la maitrise de la langue écrite.

Je me rends compte aussi que je m’engage de plus en plus pour ce travail avec mes élèves dans une médiation culturelle, de façon qu’ils puissent aussi se construire tout en explorant le monde dans lequel nous vivons. S’appuyer sur la médiation culturelle permet me semble-t-il de mettre à la portée de tous les élèves cet apprentissage complexe de la maitrise orale ou écrite de la langue et pour qu’ils puissent aussi lui donner du sens et donner en prolongement du sens à leur travail.

Luc Taralle
Professeur des écoles à Château-d’Olonne (Vendée)

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Notes
  1. Voir Luc Taralle, « Les petits livres », Cahiers pédagogiques n° 567, « Enseigner l’attention », février 2021.
  2. Voir Luc Taralle, « Se rattacher au monde pour comprendre », Cahiers pédagogiques n°565, « Lire, comprendre », décembre 2020.