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Coopérer pour apprendre son métier

Le dernier weekend des vacances pour les enseignants sonne comme un entredeux, un prélude à la rentrée, entre plaisir de retrouver sa classe et crainte de ne pas avoir peaufiné sa préparation. Samedi dernier, nous avons rencontré Stéphanie Fontdecaba, professeure des écoles dans un village des Hautes Corbières, qui nous raconte son école et son parcours né sous le signe de la coopération.

Stéphanie Fontdecaba enseigne dans une classe à cinq niveaux, de la toute petite section au CP, dans un décor naturel magnifique, celui du village de Paziols dans l’Aude, tout près des Pyrénées Orientales. Elle prépare sa deuxième rentrée dans cette école où elle a choisi de fonctionner sur un mode coopératif. Ce choix s’est forgé au fil des années d’expérience pour répondre à la question : dans une classe où les âges et les niveaux sont différents, comment permettre à chacun d’apprendre, de progresser tout en gardant une cohésion de groupe ? « J’aime enseigner en classe multiâges, cela laisse plus de temps aux profs et permet aux enfants d’aller à leur rythme », nous dit elle.

L’an passé, elle a posé les bases de la classe coopérative avec ses institutions, ses conseils, ses métiers, ses « quoi de neuf » et des ateliers échelonnés pour apprendre le lire-écrire autour du texte libre. Les élèves ont utilisé des tablettes et tweeté pour communiquer avec les parents. « Les ateliers sont aussi un apprentissage de la patience, c’est beau de voir comment les plus grands prennent soin des plus petits », raconte Stéphanie. Avec les métiers, elle confie des tâches aux élèves qui se sentent responsabilisés. Son approche est teintée du souci de prendre en compte l’hétérogénéité sociale, culturelle dans une classe rurale où les différences peuvent écorner l’apprentissage.

 

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Avant Paziols, il y a eu un long chemin pendant lequel l’enseignante a forgé sa méthode. Devenue professeure des écoles en liste complémentaire, elle s’est retrouvée dans une classe nouvelle, vide où elle a du tout construire. A l’IUFM ensuite, elle a partagé avec ses nouveaux collègues, un même constat : celui de ne recevoir dans sa formation aucune réponse concrète aux questions qu’ils se posaient. « Ces deux premières années ont été le terreau dans lequel j’ai planté mes racines professionnelles » nous dit-elle.

Ses réponses, elle les recherche depuis en dehors de l’institution. Nommée après son année en IUFM dans une classe multiâges, elle se tourne vers l’Ageem prend contact avec des blogueurs (http://www.ecolepubliquesaintdidiersousriverie.com/ ; http://maternailes.net/) qui témoignent de leurs pratiques professionnelles. Elle échange avec Sylvain Connac après la lecture d’un de ses ouvrages. En bref, elle construit sa formation professionnelle en s’enrichissant des conseils et de l’expérience des autres. « J’ai avancé avec eux et me suis nourrie de ce qu’ils m’ont apporté » nous dit-elle. L’émergence de Twitter constitue pour elle « un nouvel envol de (sa) vie de prof » avec une communauté de personnes qui se posent des questions similaires, partagent leurs recherches et rompent un isolement parfois quotidien.

 

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Rapidement, dans ses premières années d’enseignement, Stéphanie Fontdecaba repère les journées d’été du CRAP-Cahiers Pédagogiques et s’y inscrit, trouvant là un moyen de se former au contact des autres. Elle participe au forum des enseignants innovants. Elle apprécie également les actions et les réflexions de l’ICEM-Freinet. Pour apprendre, progresser, peaufiner sa pédagogie et chercher constamment, le milieu associatif et les liens des réseaux comblent la discrétion de l’Institution en la matière. Ce qu’elle apprend, ce qu’elle trouve auprès des autres, elle l’applique auprès de ses élèves, dans son école à deux classes multiniveaux.

L’an passé, des parents signalent le harcèlement dont leur enfant fait l’objet de la part de CM. Ce témoignage conduit les deux enseignantes à s’intéresser de plus près à ces petits gestes, petites manifestations qui cumulées se transforment en véritable violence. Elles s’appuient sur le dossier d’Eduscol sur le harcèlement pour construire ensemble un atelier « petits citoyens » destiné aux élèves du CP au CM2. Rapidement, des progrès sont constatés dans la vie de classe et d’école. S’exprimer, parler de ce que l’on ressent, écouter d’autres enfants qui vivent la même chose, constater que l’anodin peut-être grave, les langues se délient et les consciences s’ouvrent. Cette expérience partagée est rare dans le parcours de Stéphanie.

Dans les échanges avec d’autres enseignants qui pratiquent la classe coopérative, ressort souvent la sensation d’isolement due à leurs pratiques pédagogiques. Pendant un an remplaçante, elle a vu dans les écoles des différences d’engagement, de pédagogie, des défaillances de l’accompagnement institutionnel qui laissent peu de place aux possibilités de se démarquer, de chercher, de mettre en place des projets ambitieux.

Pourtant, entre numérique et développement des pratiques collaboratives, entre temps d’expression et prise d’autonomie, les compétences transversales mises en œuvre séduisent de plus en plus de parents. Paradoxalement, la pédagogie Freinet est pleine de modernité. « Nous recevons de plus en plus de demandes de la part de parents qui envisagent même un déménagement pour inscrire leur enfant dans des classes publiques différentes. » La classe Freinet déroute aussi. : dans un poste précédent, une maman a déversé un flot de violences verbales qui a profondément déstabilisé l’enseignante. « J’ai compris par la suite que ce que je proposais, la parole laissée aux enfants, l’autonomie et la responsabilisation n’étaient pas un modèle éducatif partagé par toutes les famille. »

 

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Pourtant, l’envie de construire ensemble est chez elle une constante. Et elle a vu dans la réforme des rythmes scolaires la possibilité de réfléchir avec tous les acteurs de l’éducation à ce qui pouvait être mis en place pour que la vie quotidienne à l’école respecte mieux les besoins des enfants. Hélas, les échanges organisés par la communauté de communes ont tourné vite aux oppositions d’opinion où les préoccupations des adultes ont prédominé.

À Paziols, les nouveaux rythmes se mettent en place plus calmement avec la création d’un centre de loisirs employant des personnels communaux. Ceux qui n’avaient pas le BAFA se sont formés. Dans ce village où il y a peu d’enfants, l’école tient une place importante comme un bien commun précieux dont on subodore les incidences fructueuses. Et puis, point non négligeable, le conseil municipal compte plusieurs parents d’élèves. « Je n’ai pas à me battre pour obtenir des moyens », se félicite Stéphanie Fontdecaba.

À la veille de la rentrée, l’enseignante constate ce qu’elle n’a pas eu le temps de peaufiner. Mais entre l’appui local et le réseau forgé au fil des temps, elle sait que ses questions trouveront en écho des réponses qui lui permettront encore et toujours d’avancer. Alors les inquiétudes se taisent un peu.

Monique Royer