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Prendre soin de l’humain

Elle exerce en Haute-Saône, dans un établissement rural limitrophe d’une ville. Avant, elle partageait son temps avec un collège enclavé, là où les structures de santé et d’écoute psychologique sont rares et où l’assistante sociale ne vient qu’une fois par semaine. « Dans un secteur vraiment rural, on devient une personne centrale pour les élèves en difficulté. On est accaparé par les problèmes sociaux. On sert de médiateur. »

Désormais, elle intervient auprès de 500 collégiens et 500 élèves de la grande section au CM2 des écoles de rattachement contre 2000 auparavant. Elle est seule dans l’établissement à exercer son métier, tisser un réseau s’avère nécessaire pour trouver des relais en interne comme en externe. Son travail est composé d’un éventail de tâches avec des bilans infirmiers pour les grandes sections et les 6e, des entretiens à la demande des collégiens, des actions de prévention et de sensibilisation sur des thèmes aussi variés que les addictions ou le harcèlement, des interventions en secourisme. « On essaie de tout faire en prenant garde de ne pas s’épuiser. Il y a aussi les animations collectives et le travail dans mon bureau. »

Elle veille sur la santé au quotidien, ce qu’elle nomme « bobologie », les blessures dues à des accidents sportifs ou des bagarres dont elle doit évaluer la gravité pour appeler ou non les urgences. Elle écoute beaucoup lors des consultations individuelles spontanées, dans ces moments où les adolescents confient leurs difficultés scolaires, sociales, leur baisse de moral. Elle prend garde que ces rencontres ne deviennent pas un échappatoire pour les collégiens, un moyen de quitter le cours qui leur déplaît.

À chacun ses missions

Alors, elle travaille étroitement avec la conseillère principale d’éducation et les assistants d’éducation. « C’est important pour que chacun reste dans ses missions, comprenne celle de l’autre. Ma mission est spécifique. Les assistants d’éducation sont, eux, les témoins de ce qu’il se passe, ils voient les groupes, repèrent quand un élève est harcelé ou ne va pas bien. » Elle trouve avec l’équipe vie scolaire, le médecin scolaire et l’assistante sociale une collaboration au quotidien qui permet de s’assurer que chaque élève reçoive une écoute. Des intervenants extérieurs viennent faire des animations collectives comme l’ANPAA 70 (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) ou le centre d’information et de consultation en sexualité de Besançon. Elle aime exercer ce métier aux activités variées et intensément humain.

La première semaine du confinement, cette vie pleine de contacts lui a manqué. Ancienne aide-soignante puis infirmière hospitalière, elle savait ce que vivaient ses anciens collègues, se sentait inutile, elle qui, désormais à l’Éducation nationale, ne figurait plus dans les fichiers du ministère de la Santé et ne pouvait spontanément venir aider. Elle a tenté de s’inscrire à la réserve sanitaire, s’est heurtée à un site Internet saturé, elle a contacté le rectorat, sans réponse probante.

Renouer le fil

Son sentiment d’inutilité, sa frustration, elle s’en est ouverte auprès de sa cheffe d’établissement et de la CPE. L’idée de contacter les élèves pour conserver un lien avec eux s’est construite au fil des discussions. « Au début, j’ai proposé mes services via les enseignants mais je n’ai pas eu de remontées. Les gamins étaient perdus et n’osaient pas appeler. Alors, je les ai appelés moi-même. »

À l’autre bout du fil, à chaque fois, elle entend la joie d’être contacté, de renouer le fil de la relation rompu par le confinement, l’énergie retrouvée. Le sujet principal est de voir comment chacun gère la situation, les difficultés. Si besoin, un relai est fait auprès des professeurs. L’appel est renouvelé chaque semaine, dans un rendez-vous qui rythme le quotidien confiné du collégien.

Les parents sont invités à participer, trouvant là, eux aussi, un temps où exprimer leurs inquiétudes et partager des solutions. « Les profs sont très occupés par la préparation et la correction des cours et leurs propres enfants à gérer. Je viens compléter leur travail comme je le fais au collège, sauf que là c’est en télétravail. » Les enseignants apprécient cette fenêtre d’écoute pour des élèves qui ont du mal à se confier à eux. « On travaille tous ensemble, les gamins se sentent moins isolés. » Elle accorde une attention particulière à ceux qui venaient fréquemment la voir à l’infirmerie, à ceux aussi chez qui les enseignants perçoivent des difficultés, élèves comme parents.

Sentiment d’utilité contre inquiétudes

Avec ces appels, elle a retrouvé son sentiment d’utilité, sa place dans le collectif pour intervenir dans le champ de l’individualité. Elle perçoit les familles déboussolées, sidérées par la pandémie, les foyers où trois collégiens se partagent un ordinateur ou même où l’informatique est absente. Elle accompagne aussi sur l’organisation pour « relancer la machine ». Elle rassure, communique sa confiance dans les capacités de chacun pour quitter l’ornière de la certitude de l’échec.

Elle se sent démunie devant la fracture qui se creuse, les inégalités flagrantes. « Il y a des enfants seuls à la maison parce que les parents travaillent. Un élève seul aura du mal à s’y coller. Quand les parents rentrent, il faut qu’ils s’occupent du travail scolaire. Et quand ils sont séparés, c’est encore plus difficile. » L’équipement informatique est aussi un écueil et parfois même la qualité de la connexion est faible. Les foyers les plus éloignés du système scolaire sont souvent les plus démunis.

Des systèmes d’entraide et de tutorat se mettent en place spontanément entre les élèves qui s’appellent, se connectent via les réseaux sociaux et se soutiennent. « Il y a une réelle solidarité entre eux. Il faut faire confiance aux gamins, à leur capacité à être en lien, à s’entraider, à rechercher aussi un soutien dans leur entourage ». Elle craint les conséquences du confinement sur la santé des adolescents : les abus d’écrans, y compris pour les travaux scolaires, et de nourritures peu saines, le manque de pratique sportive qui risque d’augmenter les cas d’obésité et du diabète. « Ça me fait peur, on va avoir du boulot de rattrapage. C’est une vraie bombe à retardement. » Elle aborde le sujet au cours de ses appels téléphoniques pour alerter.

Dans le cadre ordinaire de son travail, comme dans la situation exceptionnelle du confinement, elle n’oublie pas le volet prévention de son travail. Elle voit surtout, dans ce rôle improvisé d’infirmière à distance, un moyen de n’oublier personne et de prendre garde à chacun, de poursuivre le soin de l’humain en équipe.

Monique Royer