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Comment former les futurs professeurs des écoles aux mathématiques ?

Le point de vue de la Copirelem (Commission permanente des IREM – instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques – pour l’enseignement élémentaire) sur l’état actuel de la formation initiale et sur les projets de réforme proposés par le Conseil supérieur des programmes (CSP).

Comme l’ensemble de notre société, la Copirelem s’interroge sur son école, ce que l’on en attend, les objectifs qu’on lui fixe, les priorités qu’on lui donne. Elle conduit depuis cinquante ans une réflexion sur l’enseignement des mathématiques à l’école et sur la formation des enseignants, en s’appuyant sur un réseau d’une pluralité d’acteurs : professeurs des écoles, formateurs et chercheurs.

Tout au long de ces années, elle s’est attachée à être un interlocuteur constructif des institutions. Elle a toujours été attentive aux propositions d’évolutions et de changements, en s’attachant à les accueillir sans à priori, mais en les analysant avec vigilance et exigence, avec une conviction : la formation au métier d’enseignant est une question fondamentale pour l’avenir d’une école au service de la réussite de tous les élèves.

Les réformes successives de la formation mises en place en France ces dernières années ont resserré cette formation sur deux années tout en multipliant ses finalités : préparation au concours, préparation à l’exercice professionnel, construction de la polyvalence et initiation à la recherche. Ces finalités se rapportent à des domaines différents et chacune d’elles exige un engagement intellectuel spécifique. Leur cumul rend les conditions actuelles d’entrée dans le métier particulièrement difficiles.

Une pression importante sur les étudiants

Suite à deux années de mise en œuvre de la dernière réforme1, de nombreux formateurs nous ont exprimé leurs difficultés ressenties aujourd’hui dans la formation initiale en mathématiques des futurs professeurs des écoles. Les épreuves actuelles du concours font peser une pression importante sur les étudiants et les formateurs ; c’est en particulier le cas pour certains contenus mathématiques qui sont au programme de l’écrit et qui ne sont pas directement liés à l’enseignement des mathématiques à l’école primaire.

Ainsi, dans certains instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), le choix a été fait de consacrer un volume horaire significatif à la préparation de l’épreuve écrite du concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE) ; des étudiants se sentent alors souvent démunis quand ils doivent conduire des séances de mathématiques en stage.

Dans d’autres Inspé, le choix a été fait de se centrer sur la formation au métier et la préparation à l’oral, conformément aux enjeux du Master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (master MEEF) ; certains étudiants manifestent alors leur inquiétude par rapport à l’écrit, se tournent parfois vers des organismes privés de préparation au concours, et se montrent finalement peu engagés dans la formation au métier (y compris dans des académies où la pression pour l’admissibilité n’est pas très forte).

Dans un cas comme dans l’autre, les collègues expriment la sensation qu’un certain nombre d’étudiants en formation adoptent principalement encore une posture d’élève, sans réussir à se projeter comme futur enseignant. Certaines de ces difficultés liées à la multiplicité des objectifs de l’année de M2 sont d’ailleurs identifiées dans l’avis du Conseil supérieur des programmes (CSP) dans son avis publié le 3 mars 2023.

Une nouvelle réforme inévitable

Une réforme durable est évidemment préférable à des changements incessants. En effet, chaque nouvelle réforme a un cout humain énorme dans les Inspé et l’instabilité permanente génère une situation de stress importante pour l’ensemble du personnel. Pourtant, le constat des difficultés liées à la réforme actuelle nous conduit à penser qu’il ne sera pas possible d’échapper à une nouvelle réforme.

Pour ces raisons, et à l’heure où des réformes de la formation initiale des professeurs des écoles (aussi bien en licence qu’en master) sont à nouveau d’actualité, la Copirelem a souhaité rappeler quelques principes qui lui paraissent essentiels pour envisager une formation initiale en mathématiques des futurs professeurs des écoles solide, consistante et sereine.

Les savoirs mathématiques à maitriser par les professeurs des écoles doivent leur permettre d’enseigner les mathématiques à l’école, c’est-à-dire de faire acquérir aux élèves les principaux éléments de mathématiques qui leur permettront d’être autonomes dans leur vie quotidienne, de développer une pensée rationnelle, d’entrer dans une culture commune, de construire des outils de compréhension scientifique du monde.

Enseigner les mathématiques aux enfants

Contrairement à une opinion largement répandue, pour enseigner les mathématiques à un certain niveau, il ne suffit pas de maitriser les connaissances mathématiques du niveau immédiatement supérieur. La formation des futurs enseignants en mathématiques doit donc être totalement organisée et orientée par la finalité d’enseigner les mathématiques aux enfants de l’école : les contenus mathématiques doivent être revisités, approfondis, enrichis, consolidés et restructurés dans la perspective de leur enseignement et de leur apprentissage par les élèves.

C’est, pour les professeurs des écoles en formation, un nouvel apprentissage des mathématiques qui ne peut se faire qu’en étroite relation avec des champs de connaissances didactiques, historiques, épistémologiques et psychologiques. Il nous parait donc essentiel d’associer ce qui est traditionnellement appelé les mathématiques notionnelles ou disciplinaires à la didactique de la discipline, y compris au début de la formation initiale, et donc en particulier dès la licence.

Quatre grands objectifs

Plus précisément, pour la Copirelem, la formation en mathématiques des professeurs des écoles doit être structurée autour de quatre grands objectifs à poursuivre de façon simultanée : dominer les notions à enseigner, comprendre et s’approprier les programmes, savoir élaborer et mettre en œuvre des séquences et des séances à partir de ressources, et savoir analyser et hiérarchiser les procédures des élèves.

En outre, toute formation initiale doit viser un niveau suffisant de compétences professionnelles pour assurer un enseignement efficace. Dans une perspective de développement professionnel des enseignants, ces compétences doivent nécessairement évoluer et se perfectionner tout au long de la carrière de l’enseignant grâce à la formation continue. Ainsi, toute formation initiale doit être pensée tant sur le plan des contenus que des dispositifs dans la perspective d’une articulation avec une formation continue instituée et valorisante.

Des éléments essentiels

Avant de formuler notre réaction par rapport aux propositions faites par le CSP, nous rappelons enfin des éléments qui nous semblent essentiels à examiner lors de la réflexion préalable à la mise en place d’une nouvelle réforme, et qui nous ont guidés pour élaborer notre réaction.

La préparation au concours. La nature et la place du concours de recrutement influent largement sur l’organisation et le contenu de la formation. Actuellement, l’impact du concours est tel que le caractère professionnalisant de la formation et l’initiation à la recherche s’effacent, pour les étudiants, devant la priorité donnée à la préparation à ce concours. L’épreuve écrite de mathématiques du concours actuelle permet d’évaluer prioritairement la maitrise des savoirs mathématiques du collège en n’accordant qu’une part très réduite à la question essentielle de la maitrise des connaissances mathématiques nécessaires au professeur pour l’enseignement des mathématiques à l’école.

La préparation à l’exercice professionnel. Les savoirs professionnels tels que la construction de séances au sein d’une séquence d’apprentissage, l’organisation et la conduite de la classe, la connaissance des mécanismes d’apprentissage, la compréhension des programmes, la capacité à exercer sa liberté pédagogique, la nature de l’aide à apporter aux élèves sont pris en charge au sein du master mais ne peuvent s’enraciner sans une mise en relation forte et fréquente avec une pratique réelle du métier.

Une véritable intégration des savoirs professionnels pour le métier d’enseignant ne peut se concevoir que dans le cadre d’un dispositif permettant d’articuler pleinement apports théoriques et expérimentations sur le terrain, dispositif mis en œuvre sur une longue durée. Ce dispositif par alternance doit être organisé indépendamment des besoins de remplacement sur des terrains de stages réservés permettant une prise de responsabilité progressive et sereine des étudiants et ménageant régulièrement des temps d’observation dans différentes classes dans les trois cycles de l’école.

La polyvalence. Elle s’exprime tant dans la diversité des disciplines à enseigner que dans celle des publics d’élèves. Il s’agit d’abord pour l’étudiant d’acquérir simultanément des connaissances académiques suffisantes dans des disciplines autres que sa discipline de formation première et de s’approprier des savoirs spécifiques à l’enseignement de ces disciplines pour être en mesure de les enseigner de manière sereine à l’école primaire. En outre, le master enseignement doit aussi permettre aux futurs enseignants d’acquérir les compétences pour enseigner ces contenus à un public varié de la petite section de maternelle au CM2, composé d’élèves issus de tous les milieux et présentant divers profils, en collaboration avec des partenaires variés.

L’initiation à la recherche. Elle doit avoir, pour l’étudiant, principalement deux finalités : d’une part, entrer dans une culture commune en s’appropriant des travaux issus de la recherche, d’autre part construire une posture réflexive lui permettant d’analyser et d’enrichir sa pratique notamment en précisant son questionnement en lien avec ses premières expériences d’enseignement et en envisageant des alternatives à partir de travaux de recherche accessibles. Cette posture réflexive est un préalable à la capacité de l’enseignant à intégrer dans sa pratique les apports d’une formation continuée tout au long de sa carrière.

Parmi les propositions du CSP, nous avons identifié dans certains scénarios (notamment les scénarios 3 et 4) des propositions compatibles avec les principes énoncés ci-dessus :
• un temps suffisamment long de formation initiale (au minimum trois ans, voire cinq ans avec une entrée dans la formation dès la licence) permettant de développer les quatre objectifs de formation mathématiques énoncés plus haut ;
• une entrée progressive dans le métier avec des stages d’observation puis en responsabilité, permettant de rencontrer les trois cycles d’enseignement ;
• la nature et la place des épreuves du concours pensées pour une évaluation plus proche des besoins pour enseigner les mathématiques, en cohérence avec la progressivité de la formation professionnelle ;
• l’évaluation suffisamment tôt au cours de la formation professionnelle des connaissances disciplinaires nécessaires pour enseigner les mathématiques, via une certification ou l’admissibilité au CRPE, avant l’entrée en master MEEF (par exemple, dès la L2 comme dans le scénario 3, ou la L3 dans le scénario 4).

Par ailleurs, d’autres conditions nous semblent essentielles pour constituer un vivier riche de candidats et renforcer l’attractivité de la formation initiale quelle que soit l’origine sociale :
• une prise en compte de différentes voies d’accès possibles au métier (comme dans le scénario 4), mais en prévoyant ensuite pour les personnes en reconversion une véritable formation professionnelle avec une entrée progressive dans le métier ;
• un statut « d’élève-professeur » permettant un parcours d’études longues rémunérées.

La Copirelem, comme elle le fait depuis cinquante ans, continuera à être force de propositions si une nouvelle réforme devait être mise en place, en insistant sur la nécessité de penser une réforme durable et en soulignant que cela ne peut se faire qu’à la condition de laisser du temps pour une concertation avec les différents acteurs de la formation.

Offrir une formation de qualité aux futurs professeurs des écoles est un choix de société. L’investissement que cela nécessite est important, mais il est essentiel pour améliorer l’efficacité du système éducatif au service de la réussite de tous les élèves et, à terme, pour permettre la construction d’une société plus égalitaire et mieux armée pour relever les défis du futur.

La Copirelem
Le 23 mars 2023

Le site de la Copirelem


Sur notre librairie :

 

N°573 – Les maths, est-ce que ça compte ?

Coordonné par Baptiste Hebben et Claire Lommé

Tous les acteurs de l’enseignement se trouvent confrontés à la question des « bases » ou des « fondamentaux » : pour effectuer des choix dans les programmations, pour remédier aux difficultés d’élèves, pour proposer des évaluations. Quelles sont les mathématiques que l’on doit enseigner aujourd’hui ?


Notes
  1. Loi n°2019-791 du 26 juillet 2019 « pour une école de la confiance ».