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Apprendre à choisir sa tactique en badminton

Comment résoudre une double difficulté particulièrement prégnante en éducation prioritaire : développer des compétences, maintenir les élèves dans les activités d’apprentissage ?

L’acquisition de compétence pour les élèves en éducation prioritaire ne va pas de soi, vu leurs nombreux décrochages de la tâche scolaire et leur problème de socialisation. L’enjeu de cet article est de présenter une situation complexe opérationnelle pour l’acquisition de compétences des programmes d’EPS et du socle commun, tout en étant adaptée aux caractéristiques de ces élèves.

Dans un premier temps, une recherche a été effectuée auprès des élèves d’une classe d’un collège en éducation prioritaire, afin de comprendre ce qui les faisait décrocher et raccrocher. Dans un deuxième temps, à partir des résultats de cette recherche et des compétences du socle commun et des programmes, les enseignants ont élaboré une situation en badminton. Dans un troisième temps, la situation a été testée sur le terrain.

Le protocole de la recherche s’est fait en deux étapes : des enregistrements audiovisuels de quatre élèves lors de deux cycles d’EPS, suivis  d’entretiens compréhensifs vidéo ; puis l’analyse des données, en identifiant les éléments récurrents faisant décrocher ou raccrocher les élèves.

Les principaux résultats montrent que les élèves décrochent lorsqu’ils perçoivent :

  • l’absence prolongée de l’enseignant dans leur environnement proche ;
  • qu’il n’y a rien à faire ;
  • le manque de jeux ;
  • la présence de camarades voulant jouer ;
  • peu d’intérêt à la situation dont ils ne comprennent pas le sens ;
  • la situation comme trop difficile après des échecs répétés.

En revanche, les élèves ont tendance à raccrocher de manière récurrente vers la tâche attendue par l’enseignant lorsqu’ils perçoivent :

  • des relations sociales ;
  • la présence d’aspects ludiques ;
  • la présence de compétitions, de défis ;
  • les interventions de l’enseignant.

À partir de ces constats, les enseignants ont adapté une situation d’apprentissage de référence pour leur projet d’EPS, qui maintiendrait leurs élèves de 3e dans l’activité, tout en répondant aux exigences des programmes. Les quatre compétences visées pour le cycle de badminton sont :

  • la compétence attendue niveau 2, « rechercher le gain d’une rencontre en construisant le point, dès la mise en jeu du volant et en jouant intentionnellement sur la continuité ou la rupture par l’utilisation de coups et trajectoires variées; gérer collectivement un tournoi et aider un partenaire à prendre en compte son jeu pour gagner la rencontre » ;
  • la compétence méthodologique et sociale « se mettre en projet » ;
  • les compétences « sociales et civiques » du socle commun.
Situation complexe de référence. Badminton 3e

Principes organisateurs et règles

  • sous forme de matchs (pour répondre à la logique de l’activité et pour maintenir engagés les élèves par la compétition, le défi) ;
  • équipe de deux (pour permettre le développement de compétences sociales et pour répondre au besoin de relations sociales des élèves) ;
  • équipe de deux de niveau inter-homogène et intra-hétérogène, par exemple le premier avec le dernier (pour que toutes les rencontres soient équilibrées et que les élèves ne décrochent pas face à une difficulté trop grande. Les leadeurs seront séparés pour éviter la multiplication d’activités transgressives.) ;
  • matches en ronde italienne en 25 points : le joueur le moins fort d’une équipe joue contre son homologue de l’autre équipe jusqu’à 10 points, puis les deuxièmes joueurs continuent le match en conservant le score jusqu’à 20 points et ils finissent par un double jusqu’à 25 points (pour donner un aspect ludique et pour donner du sens au coaching « chaque point que marque mon partenaire est important pour le gain final de la rencontre ») ;
  • le partenaire coach donne des conseils lorsqu’il ne joue pas (pour obliger le dialogue et éviter que l’élève non joueur ait une pratique transgressive pensant qu’il n’y a rien à faire) ;
  • temps mort à 5 (pour permettre au coach d’intervenir afin de réguler la stratégie adoptée) ;
  • équipes stables (pour donner des contenus au coaching grâce à la connaissance de leurs points forts et points faibles et ceux de leur partenaire) ;
  • deux services comme au tennis (pour favoriser la prise de risque et pour éviter l’échec répété, source de décrochage) ;
  • cinq services, chacun du même côté (pour stabiliser le contexte et forcer l’élaboration de stratégies à partir du service, tout en favorisant la réussite) ;
  • grand terrain comprenant les lignes de double (pour donner du sens au jeu sur l’espace) ;
  • début de la rencontre par poules, puis tableaux à repêchages auto-gérés par les élèves (pour que les élèves soient acteurs de leurs apprentissages et pour qu’ils comprennent la logique des différents matchs) ;
  • poser un plot correspondant à son projet pour chaque match (pour que l’élève choisisse et visualise une stratégie simple lui permettant de gagner) :

– ​plot rouge : stratégie amorti-dégagement d’attaque ;

– plot bleu : jeu latéral droite-gauche ;

– plot vert : jeu rapide (trajectoires tendues, smashes).

Cette situation est considérée comme complexe, car elle ne se réduit pas à la somme des items qui la composent ; les élèves doivent construire les liens entre leurs connaissances, leurs capacités et leur attitude pour réussir. Par exemple pour être compétent, il ne suffit pas que l’élève maitrise la capacité « être capable de smasher » s’il smashe quelle que soit la situation. Il est nécessaire qu’il connaisse à quel moment, dans quelle situation, face à quel adversaire il peut smasher. La réponse attendue est complexe, car elle n’est pas unique, chaque élève peut trouver sa propre solution aux problèmes posés dans la situation complexe. Un élève compétent choisira un projet tactique simple en fonction :

  • de ses capacités ;
  • de sa connaissance des moments opportuns pour rompre l’échange ;
  • de son attitude d’enquête sur son adversaire pour connaitre ses points forts et ses points faibles.

Pour reprendre l’exemple précédent, l’élève compétent mettra en relation sa capacité « être capable de smasher », avec sa connaissance de l’adversaire, « un joueur peu puissant ne parvenant pas à jouer long du fond du terrain », pour appliquer une stratégie « smasher sur un volant favorable après avoir envoyé un volant au fond du terrain côté revers ».

La situation a été validée sur le terrain par un test probant avec une classe de troisième. L’engagement des élèves s’est fait avec un nombre limité de décrochages, et les compétences visées ont été acquises par tous les élèves, sauf deux. D’abord les élèves décrochent moins, car la situation correspond à leurs préoccupations tout en donnant du sens à leurs apprentissages (je coache mon partenaire pour pouvoir remporter la rencontre). Ensuite, ils acquièrent des compétences spécifiques à l’EPS, par la mise en place de stratégies (plots, coaching, temps morts), tout en stabilisant au maximum le contexte d’apprentissage (équipes stables, cinq services consécutifs). Enfin, les élèves développent les compétences sociales et civiques du socle commun, en communiquant et en collaborant pour réussir (coach, ronde italienne).

Pour autant, la simple immersion dans la situation n’est pas suffisante, la magie de la tâche n’existe pas : l’intervention de l’enseignant est fondamentale dans la démarche d’apprentissage. Sa présence, ses conseils, ses relances font de lui un guide majeur dans l’acquisition des compétences. D’autres recherches ont ainsi montré l’importance de la tolérance par l’enseignant de certains décrochages. En tolérant certaines transgressions jugées mineures, l’enseignant se laisse du temps pour intervenir sur les contenus d’apprentissage en lien avec les compétences, et cela focalise l’attention des élèves sur ce qu’il y a à apprendre et non sur les déviances.

Olivier Vors
Professeur d’EPS en collège à Ronchin (Nord)
Marina Dansoko-Hosselet
Professeure d’EPS en collège à Ronchin (Nord)