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10ème congrès de la Fédération des enseignants documentalistes de l’Education Nationale (FADBEN)

Plusieurs lignes-forces m’ont particulièrement marquée lors de ces trois jours de réflexions intensives : tout d’abord un questionnement autour de l’EMI (éducation aux médias et à l’information) et de la convergence de plusieurs domaines d’interventions au sein de notre spécialité ; l’importance d’une temporalité longue, permettant de prendre du recul sur les outils utilisés en y portant un regard critique, mais aussi sur notre domaine, l’information-documentation ; enfin, la nécessité de tenir compte des pratiques informelles des élèves, par exemple via une pédagogie dans laquelle l’élève est en activité, au cœur d’une réelle progression des apprentissages des élèves.

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Un contexte de convergence

«Information-documentation», «culture de l’information», «Éducation aux médias et à l’information (EMI)»… Les appellations sont nombreuses et n’induisent pas toutes les mêmes savoirs et compétences, ce qui ne facilite pas la compréhension de notre domaine d’enseignement, comme l’ont montré plusieurs intervenants lors du congrès. Ainsi, l’EMI apparaît comme une nouveauté mais sous-tend diverses interprétations.

La cartographie des acteurs de l’EMI présentée par les chercheurs Elisabeth Schneider, Alexandre Serres et Angèle Stadler[[« L’EMI en partage : cartographie des acteurs et de leur stratégie » – Elisabeth SCHNEIDER, Alexandre SERRES, Angèle STALDER. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès : http://www.congres2015.fadben.asso.fr/Pre-actes-du-congres.html, consulté le 08/11/2015.]] le montre bien, tentant de définir à qui appartient l’EMI. Pour les professeurs documentalistes qui se sont emparés de cette nouvelle «éducation à», il s’agit d’un enseignement de l’information-documentation et des médias, sans grande nouveauté par rapport à ce qui se fait déjà.

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Mais pour l’institution, l’EMI se réduirait surtout à l’information journalistique, occultant ainsi les deux autres facettes de l’information parmi les trois traditions épistémiques autour de l’information (information knowledge : information scientifique et technique, documentaire et vulgarisation / information news : journalistique, médiatique / information data : données informatiques). Par ailleurs, cette nouvelle acception efface totalement la notion de documentation, notion qui, comme le souligne Olivier Le Deuff, maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication (SIC)[[« Vers de nouveaux maîtres de l’hyperdocumentation » – Olivier LE DEUFF. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]], ne serait pas si ringarde, et serait même en avance sur son temps, faisant partie de nos pratiques quotidiennes. En fait, le risque, en réduisant l’EMI à l’information journalistique et aux médias, c’est celui d’une formation à court terme ayant pour objectif de mettre en garde les élèves contre certains sites ou certaines pratiques, plutôt que d’acquérir une réelle culture informationnelle.

Le retour à une temporalité longue

Au contraire, Bernard Miège[[« Sur quelques apports récents de la recherche à la connaissance de l’information ». – Bernard MIEGE. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]] nous a éclairé, dès le début du congrès, sur ce qu’apporte la recherche en SIC : selon lui, elle permet d’une part de «se mettre à distance de toute une série de notions-écrans» («société de l’information», «numérique»), et d’autre part, d’inscrire les phénomènes de l’information-communication dans la longue durée. C’est en effet ce que préconisent de nombreux intervenants, afin de permettre aux élèves d’avoir un regard critique sur ces phénomènes, dans lesquels ils sont souvent plongés sans aucun recul.

Il est donc important de ne pas exclure certaines notions ou certains outils, qui peuvent paraître «poussiéreux» mais qui sont pourtant au cœur de nos pratiques informationnelles. Ainsi, Marion Carbillet et Marie-Astrid Médevielle nous ont présenté un projet sur les archives et l’écriture autour du Centenaire de la Première guerre mondiale[[« Archives et écriture info-documentaire : exemples de productions autour du centenaire de la Première guerre mondiale en collège et lycée » – Marion CARBILLET, Marie-Astrid MEDEVIELLE. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]] : ce qu’ont retenu les élèves, c’est la notion de redocumentarisation, et la réflexion autour des transformations «subies» par le document. Les deux professeures documentalistes s’interrogent sur ce que l’on doit transmettre de la culture imprimée, bagage qui peut permettre de comprendre la culture numérique. Il y a un transfert entre l’imprimé et le numérique qui est au cœur de notre métier.

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Autre outil peu glamour, le thésaurus : Vassilia Margaria-Pena[[Recherche et évaluation de l’information : De l’interrogation d’un outil de recherche au document de collecte, quels contenus enseigner, quels parcours de formation ? – Vassilia MARGARIA-PENA, Noël UGUEN. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]], professeure documentaliste, explique qu’il s’agit pourtant d’une aide non négligeable pour formaliser son besoin d’information et construire des requêtes pertinentes, sources de difficultés pour les élèves selon son enquête, et préconise son utilisation, qui selon elle gagnerait à retrouver toute sa place aux côtés d’autres technologies intellectuelles. Par ailleurs, Muriel Frisch[[Didactique de l’Information-Documentation, des modèles, des concepts et un prototype de matrice curriculaire dynamique – Muriel FRISCH. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]], maître de conférence en Sciences de l’éducation, invite à utiliser les potentialités des outils et tenir compte des pratiques innovantes en observant et analysant leurs apports, intérêts et limites en didactique de l’information-documentation pour les pratiques des élèves.

Les pratiques informelles de l’élève comme point de départ de ses apprentissages

Lors de sa conférence de clôture, Anne Cordier[[« Le professeur documentaliste face au défi des convergences » – Anne CORDIER. Texte complet disponible en ligne : http://www.congres2015.fadben.asso.fr/Le-professeur-documentaliste-face.html, consulté le 08/11/2015.]] pointe la nécessité d’une convergence entre les pratiques des adolescents et les apprentissages info-documentaires. Pour la maîtresse de conférence, il ne s’agit pas d’être démagogue, mais de donner du sens social aux apprentissages, comme le préconise Muriel Frisch, qui propose de s’interroger sur ce qu’apportent les pratiques sociales au niveau des apprentissages, et d’analyser parallèlement ce qui migre de l’école vers la société.
Ainsi, Elisabeth Schneider[[« Didactiser la culture des jeunes ? Pour une approche socio-critique ; le cas de Twitter et Facebook » – Elisabeth SCHNEIDER.]] invite à construire une grammaire de la communication sur les réseaux sociaux en ligne avec l’exemple de Twitter et Facebook, en analysant les choix éditoriaux de ces interfaces (comment ces choix contraignent ou facilitent leurs activités, est-ce que cela joue sur leur sociabilité, comment fonctionnent la recommandation, la popularité, le partage ?) : selon la chercheuse, quand on forme les élèves aux usages du numérique, on leur apprend à utiliser l’outil (c’est la phase d’instrumentalisation), mais on ne passe pas à l’étape suivante, pourtant essentielle, selon laquelle le sujet s’approprie l’objet jusqu’à l’intégrer dans ses usages (phase d’instrumentation)[[NIJIMBERE Claver. Approche instrumentale et didactiques : apports de Pierre Rabardel. In Adjectif analyses [en ligne], 2013. Disponible sur : http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article202]].

Pour Olivier Le Deuff, il s’agit de « dépasser l’outil et les usages simplistes, [d’]être capable d’accéder à une majorité technique et citoyenne ». Une des pistes pour y parvenir serait selon lui de didactiser, démystifier l’algorithme en leur faisant prendre conscience que derrière, des choix de classements sont opérés.
Partir des pratiques ordinaires des élèves, c’est aussi ce que propose Noël Uguen[[Recherche et évaluation de l’information : De l’interrogation d’un outil de recherche au document de collecte, quels contenus enseigner, quels parcours de formation ? – Vassilia MARGARIA-PENA, Noël UGUEN. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]] dans son travail sur le document de collecte comme outil pour les élèves permettant de questionner l’évaluation de l’information lors d’une recherche. Ces pratiques informelles doivent nécessairement être dépassée, comme le souligne Anne Cordier, «pour atteindre un nouveau stade de développement de pratiques et de compétences cognitives».


Pour la légitimation et la formalisation d’un curriculum et d’une progression

Le congrès fut l’occasion de réfléchir à la formalisation d’un curriculum, à travers les interventions de Sophie Bocquet ou de Muriel Frisch. Il semble en effet nécessaire de développer des progressions pour formaliser un réel apprentissage, sur des temps longs. Seulement, plusieurs intervenants l’ont évoqué, le cadre opératoire de mise en œuvre d’un enseignement en information-documentation est loin d’être idéal. Ainsi, les dernières interventions ont fourni des éléments de comparaison en nous présentant les démarches pédagogiques et leur mise en œuvre à l’international[[Enseigner-apprendre l’information-documentation : regards sur l’international – Magali BON, Valérie GLASS, Danielle MARTINOD, Martine ERNOULT. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]], l’identité singulière des professeurs documentalistes de l’enseignement agricole[[Ancrage disciplinaire en information-documentation et spécialisation documentaire technique et professionnelle : l’identité singulière des professeurs documentalistes de l’enseignement agricole – Isabelle COUTURIER. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès. ]], ou encore les spécificités de l’enseignement privé[[Situations et pratiques professionnelles des professeurs documentalistes de l’enseignement privé, quelles spécificités ? – Emmanuelle MAUGARD, Mathilde SCHMIDT. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès. ]]. Emmanuelle Maugard et Mathilde Schmidt déplorent dans cette intervention le recrutement de personnels externes à la Documentation, quand les professeurs documentalistes sont parallèlement affectés sur plusieurs établissements. Ce manque d’équilibre et d’harmonisation est selon elles un frein à la formation des élèves.

Au sortir de toutes ces conférences, de nombreuses pistes se sont ouvertes… et de nombreuses incertitudes et remises en question sont apparues. Ces interrogations, certes essentielles dans la construction de notre enseignement, comme l’ont souligné Marion Carbillet, Anne Cordier, Marie Nallathamby et Hélène Mulot lors de leur intervention[[Le professeur documentaliste, « chef d’orchestre » de situations d’enseignement-apprentissage en EMI : L’incertitude comme ligne-force de notre enseignement – Marion CARBILLET, Anne CORDIER, Hélène MULOT, Marie NALLATHAMBY. Présentation disponible sur les pré-actes du congrès.]], pourraient être atténuées si l’institution permettait de mettre en place un réel cadre pour ces apprentissages, profitant à tous les élèves, de chaque niveau, dans chaque établissement. Malgré tout, la générosité dans les propos d’Anne Cordier lors de sa conférence de clôture, mais aussi des membres de l’ADBEN du Limousin et du Bureau national de la FADBEN, m’ont permis d’entrevoir l’avenir de la profession avec optimisme.

Lætitia Caplet-Durand
Professeure documentaliste au collège Jean Jaurès à Saint-Ouen (93)

(Bibliographie ci-après en annexe)

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Par Denis Tuchais