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Un projet ambitieux, une réussite totale !

En apprenant le 30 septembre 2014 que mon projet était retenu par le CNES, je me suis tout de suite imaginé flotter dans les airs, comme dans une super production Hollywoodienne !

Huit mois plus tard, je réalisais un vol parabolique de 3h au dessus de l’Atlantique dont près de 15 min en apesanteur ! Le rêve de tout scientifique et de tout pédagogue… Car pour ceux qui ont oublié leurs cours de sciences, il faut savoir qu’on peut simuler beaucoup de choses sur Terre, mais impossible d’annuler la gravité sur un laps de temps aussi long!

Réaliser un tel projet se révéla être une expérience fantastique à plusieurs égards car à l’heure du lancement tant controversé des EPI en collège, une telle aventure est exactement la synthèse de toutes les innovations pédagogiques actuelles, à savoir :

  • réussir à susciter ambition scolaire et curiosité chez les élèves;
  • côtoyer le monde de la recherche et de l’aéronautique;
  • acquérir des données pédagogiquement extraordinaires;
  • développer des compétences transverses.

Bien entendu, ce travail réalisé tout au long de l’année scolaire se poursuivra encore en classe de Terminale et servira de tremplin à certains pour leur parcours Post Bac.

La genèse

Un des faits qui m’ a le plus marqué lors de la conception du projet était l’accueil que me réservaient mes différents interlocuteurs! Que cela soit pour une demande de partenariat, une aide technique ou matérielle, ou un simple renseignement dans un magasin, je constatais à chaque fois le même enthousiasme à pouvoir être associé à un tel projet.

Je pense à postériori que cela provient de la notoriété du partenaire principal, le CNES, et du rêve que suscite le monde spatial. En me rendant il y a peu sur mon lieu de vacances dans une boutique spécialisée en informatique (avec une pomme!), le gérant a absolument voulu que je lui montre une vidéo du vol, et l’a passée à tous les clients présents sur écran géant!

Des portes se sont ouvertes

Et tout au long de cette année, diverses portes se sont ouvertes sur simple présentation de ce projet : le musée des Arts et Métiers et le Palais de la Découverte à Paris, des médias, des services rectoraux. J’ai même été reçu par le Recteur de mon Académie qui a félicité mon engagement au service de l’Éducation Nationale!

Et c’est pour l’enseignant que je suis un premier bénéfice de cette expérience : la constitution d’un carnet d’adresse qui permet de concevoir des expériences sans avoir à « bricoler » dans son garage! Car il ne faut pas se leurrer : réaliser des expériences scientifiques nécessitent un matériel souvent onéreux, donc des crédits que souvent les établissements n’ont pas les moyens ou la volonté de fournir, ou des contacts qui permettent le prêt ou le don de ce type de matériel. Et c’est bien là le cœur du problème des futurs projets au sein des établissements scolaires : l’accès des enseignants à ces réseaux de professionnels qui veulent dynamiser l’image de leurs produits ou partager des expériences pédagogiques innovantes.

Car me constituer ce réseau a constitué un véritable travail que j’ai pu certes partager avec mes élèves (rédactions de mail pour des demandes de partenariat, rédactions d’articles et exposés pour la presse locale) mais qui demande une implication très chronophage. D’où ma volonté de vouloir partager tous les fruits de ce projet, des résultats au carnet d’adresse : que tous les lecteurs de cet article n’hésitent pas à me contacter s’ils ont besoin d’aide pour la réalisation de leur propre projet.

Au bout de 4 mois, j’ai ainsi réussi à obtenir le prêt du matériel auprès de la société Jeulin, spécialiste en matériel scientifique et pédagogique, obtenu de l’aide technique auprès de professionnels de la vidéo et fait réaliser des articles par mes élèves dans les Cahiers Pédagogiques! Et au bout d’un an, le prêt s’est transformé en don et l’académie a investi du matériel pour m’aider à exploiter les données obtenues…

L’impact sur les élèves

Sélectionner une dizaine d’élèves parmi une classe de Première Bac Pro me semblait une tâche aisée au premier abord. Malheureusement, ce ne fut pas aussi simple! En effet, les contraintes étaient déjà nombreuses : des élèves sérieux et motivés, aux connaissances scientifiques établies, quelques majeurs pour réaliser le vol…
Certains volontaires du début ont préféré renoncer à quelques semaines du but, soit par crainte d’être confronté à la nouveauté, soit par complexe vis à vis du monde scientifique que nous allions côtoyer… Une autre explication pourrait être le financement de ce projet : assuré à 90% par le CNES (le reste à la charge de mon établissement), pour un budget d’environ 30000€, les participants n’ont rien eu à débourser pour un séjour de 5 jours à Bordeaux. La gratuité n’est pas malheureusement forcément synonyme de sérieux et d’assiduité.

Quelques exemples marquants me reviennent ainsi en mémoire : en cherchant des remplaçants quelques semaines avant le vol, un élève a refusé de venir car un départ le dimanche le priverait de sa partie de pêche hebdomadaire, un autre avait peur d’une attaque terroriste sur l’aéroport de Mérignac! Et malheureusement, deux élèves nous ont fait faux bond le jour du départ, privant deux éventuels remplaçants d’une expérience unique…

Huit élèves très motivés du LP Freyssinet accompagnés de deux enseignants, Hervé Demoisson en EPS et moi même, sommes donc partis du 17 au 21 mai 2015 pour réaliser un projet extraordinaire : découvrir un monde complètement différent et réaliser des expériences scientifiques dans des conditions extraterrestres !

D’abord des complexes

Ce groupe ainsi constitué a d’abord souffert d’un complexe d’infériorité par rapport aux autres élèves présents ou aux personnes rencontrées. J’ai ainsi pu me rendre compte combien un élève de Bac Pro se sentait déclassé par rapport à un élève de Terminale S, alors que ce dernier n’y connaît souvent rien en mécanique automobile par exemple ! La hiérarchie des compétences est déjà prégnante à l’école, alors qu’elles sont seulement différentes et ne devraient pas refléter une catégorisation professionnelle ou sociale. Voilà peut être une piste de réflexion à étudier sur la place de l’Éducation nationale dans une société libérale et compétitive.

Ainsi, en début de séjour, mes élèves ne pensaient pas avoir leur place dans une telle expérience. Et c’est là que le professionnalisme du CNES, par le biais de Jean-Michel Martinuzzi, responsable du pôle Jeune dans cette noble institution a été efficient : grâce à son travail et à quelques aides de ma part, ils ont réussi à présenter les expériences réalisées en amphithéâtre devant un parterre de scientifiques de renom ! Chose inimaginable quelques jours auparavant !

Une fois cette première épreuve accomplie, les briefings suivants les ont vu intervenir avec un aplomb surprenant pour des jeunes en formation, et les félicitations d’éminentes personnalités comme Jean-François Clervoy, astronaute français responsable de Novespace, ou Herve Stevenin, entraîneur des astronautes européens, ont bien aidé.

Aisance et pertinence

Une fois leurs appréhensions disparues, ils ont pu profiter pleinement des différentes visites de sites industriels ou technologiques organisées par le CNES. J’ai ainsi apprécié le fait que mes élèves questionnent avec aisance et pertinence des techniciens de maintenance aéronautique, des pilotes, le responsable de l’entraînement des astronautes européens, ou différents directeurs de recherche rencontrés lors du séjour.

Et c’est là je pense la grande satisfaction de ce projet : avoir donné à mes élèves une telle estime et confiance en soi qu’ils en arrivent à dialoguer librement avec ces personnes. Et qu’au regard de leurs parcours, le rêve de travailler dans un environnement si fantastique n’est pas impossible!

Car si la poursuite d’études après un Bac Pro est souvent non envisagée – ce type de formation ayant pour but l’entrée dans la vie active après la Terminale – de telles rencontres ont motivées tous les participants.

A la fin de cette année scolaire, un élève s’est déjà renseigné pour intégrer un BTS en maintenance aéronautique, et les autres envisagent tous de poursuivre après leur Bac Pro. Charge à l’équipe d’enseignement de cette année d’entretenir cette motivation et de les pousser vers l’excellence.

Expérimentation en apesanteur à bord de l'Airbus A310 0g

Expérimentation en apesanteur à bord de l’Airbus A310 0g

Utilisation des résultats

Pouvoir utiliser en classe des résultats bien réels obtenus dans des circonstances extraordinaires est une incroyable opportunité, d’où la nécessité de créer des séquences de cours innovantes et dynamiques. Je m’attelle à cette tâche depuis notre retour en concevant des outils intégrant les résultats acquis à bord de l’avion.

Les quasi 800 mesures de pression obtenues me permettent de concevoir des séquences interactives incluant des extraits de vidéo de vol et des applications avec un tableur en statistiques.

Les différentes trajectoires obtenues avec l’expérience de balistique donnent la possibilité d’envisager de façon dynamique le passage de la fonction linéaire à la fonction du second degré en mathématiques, et vu le nombre important de lancers, une étude statistique des résultats sera aussi effectuée pour permettre de retrouver la valeur de la gravité.

Mur de partage

Les possibilités et les manières d’utiliser de telles données sont donc très variées. C’est pourquoi, grâce aux deux partenaires principaux, à savoir l’entreprise Jeulin pour le matériel et l’Académie Nancy-Metz pour le soutien technique, je prépare actuellement un mur de partage pédagogique où seront présenté le projet, les résultats ainsi que les implications pédagogiques.

Ainsi, chaque enseignant pourra soit se servir des séquences de cours produites, soit utiliser les résultats bruts des expériences pour concevoir lui-même ses propres séances. Charge à lui de les redéposer ensuite sur le mur pour que son travail soit aussi mis en partage. Je travaille actuellement avec Pascal Faure, Délégué académique au numérique et Claude Nass, Conseiller académique en recherche-développement, innovation et expérimentation pour concevoir un tel outil participatif et innovant, avec une diffusion la plus large possible.

Dans l’optique d’une expansion de la pédagogie du projet dans les écoles, je désire montrer une façon d’exploiter des données et de les partager. Et à l’heure où cette pratique va devoir devenir omniprésente en classe, développer des projets ambitieux et innovants, en partenariat avec des acteurs extérieurs me semble le meilleur moyen de faire apprécier cette pratique pédagogique à tous les acteurs de l’Éducation Nationale, élèves et enseignants compris.

Stéphane Béringue
Professeur de maths-sciences au LP Freyssinet de Verdun

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Premier épisode
Deuxième épisode
Troisième épisode