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« Quelles que soient les pédagogies utilisées dans les classes, l’explicitation est de mise. »

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Expliciter, cela ne va-t-il pas de soi pour un enseignant ?

Les professeurs que nous côtoyons dans notre travail de formatrices et ceux avec lesquels nous avons eu le plaisir de travailler dans le cadre de ce dossier trouvent qu’expliciter fait partie intégrante de leur pratique enseignante. Ils sont de plus en plus conscients que les codes culturels de l’école, les manières de faire et d’apprendre ne vont pas de soi, surtout pour les élèves dont la culture familiale est éloignée de la culture scolaire. Il y a des domaines entiers à expliciter, comme l’analyse Patrick Rayou dans ce dossier : le sens de l’école, ce qu’on vient faire à l’école, les manières de penser et de faire de l’école ; expliciter également les savoirs du quotidien et les savoirs scolaires, la « grammaire » de l’école qui peut dissiper les malentendus entre les attentes des enseignants et les attentes des élèves, les procédures, les consignes de travail.

Mais l’explicitation n’est pas réservée au travail de l’enseignant. L’élève doit aussi apprendre à expliciter, ce qu’il comprend ou non des tâches scolaires, des buts qui lui sont souvent assignés, des procédures qu’il utilise pour faire face, soit « déplier la pensée dans l’action » comme le disent Françoise Héraud et Carine Rossand. Aujourd’hui, on attend chez l’élève de plus en plus de réflexivité sur ses manières d’apprendre, de se situer face aux savoirs. Quelles que soient les pédagogies utilisées dans les classes, des plus directives aux plus actives, l’explicitation est de mise.

Laurent Lescouarch nous rend attentifs à l’importance de l’étayage. Il rappelle les principes de Basil Bernstein sur les pédagogies visibles et invisibles qui se jouent en classe, sur le cadrage fort et le cadrage faible, ce dernier rendant plus difficile l’acte d’apprendre ou créant des brouillages de sens chez l’élève. Bruno Robbes insiste sur la nécessité de travailler en profondeur afin d’éviter les malentendus scolaires et cognitifs et faire comprendre aux élèves que les tâches scolaires ne constituent pas des fins en soi, mais des supports d’accès aux savoirs et à ses langages.

Quelle différence entre expliciter et « rabâcher » ? Y a-t-il des risques à expliciter ?

C’est tout à fait normal dans une classe d’avoir des rythmes de compréhension différents de la part des élèves. L’enseignant doit gérer ces différents rythmes de travail et de compréhension. Toute la difficulté est de s’adresser tout autant à celui qui a compris ce qu’il doit faire dans la tâche, et à quel savoirs il est en train de s’atteler, qu’à celui qui s’embarque avec peine dans la tâche et ne comprend toujours pas le sens de ce qu’il fait. C’est pourquoi il semble nécessaire d’analyser les tâches scolaires que l’on donne aux élèves. Il ne s’agit pas seulement de tâches fermées à réponse unique, de tâches d’application ou d’entrainements automatisés (drill), mais de tâches plus complexes, avec plusieurs variables et un travail intense de raisonnement. Et c’est là que la pratique d’explicitation intervient, chez les deux protagonistes : l’enseignant et l’élève. Ce n’est pas seulement l’enseignant « qui rabâche » ou « qui s’époumone » à expliciter, c’est aussi de la responsabilité de l’élève de prendre en charge son travail, étayé et encadré par l’enseignant.

Le risque de « trop expliciter » est bien connu : c’est clairement de donner la réponse ou de la suggérer tellement que l’élève ne fait plus aucun effort cognitif ou de raisonnement. Yves Reuter dit d’ailleurs que l’idée d’un discours totalement explicite relève de l’absurdité, car ce discours serait infini. On ne peut pas tout expliciter d’une manière générique et qui répondrait à tous les besoins des élèves, où serait alors l’apprentissage ? La transparence est un leurre selon Maria-Alice Medioni. Elle ne garantit pas la compréhension, et cela ne décharge pas les élèves de leur responsabilité d’apprendre. D’où la nécessité de travailler et étayer intensément avec l’élève sa compréhension fine des tâches scolaires, des buts, de ses mobiles, etc. D’ailleurs, les enjeux principaux, comme le dit Sylvain Connac, sont de travailler l’enjeu même de l’apprentissage avec les élèves en les mettant en recherche et de leur transmettre toutes les procédures pour accéder au savoir.

Explicitation du professeur et autonomie de l’élève sont-elles antinomiques ?

Non, d’ailleurs, l’élève est convié à expliciter son travail, à son tour, et cela pour des prises de consciences nécessaires à l’apprentissage. Cette réflexivité fait partie du processus long et parfois très difficile de l’apprentissage. Et aussi une réflexivité partagée entre enfants, des manières de faire, d’apprendre et aider les autres à apprendre, en discutant les erreurs, les stratégies. Parfois c’est difficile en situation de voir si « on ne mâche pas » le travail de l’élève, car l’explicitation, si elle n’est pas pensée en amont, peut amener à prendre à notre charge une part trop importante de l’activité. Toute la difficulté est d’identifier l’implicite qui peut empêcher l’élève d’entrer dans l’activité cognitive attendue, mais surtout de prendre conscience du tacite, c’est-à-dire ce qui pour l’enseignant ou l’élève n’est même pas questionné.

Quels sont les points forts de ce dossier ?

Nous avons accueilli dans ce dossier des contributions de chercheurs mais aussi de praticiens à tous les niveaux scolaires. Nous souhaitions montrer que les enjeux d’explicitation se jouent durant toute la scolarité et cela pour que l’école soit plus juste pour tous. La diversité des articles montre à la fois la complexité de cette question et la richesse des approches qu’elles soient théoriques ou expérimentales. Nous espérons que chacun y trouvera des pistes quel que soit son style, son niveau, la discipline enseignée ou le contexte d’exercice.

Propos recueillis par Cécile Blanchard et Natacha Lefauconnier