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Les littératures numériques pour donner du pouvoir sur le monde : une interview des coordonnateurs

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Comment en êtes-vous arrivés au titre «Littérature et numérique» et que recouvre-t-il  ?

Un premier titre insistait sur les pratiques de lecture et d’écriture qui sont au cœur du numéro : « Lire et écrire avec la littérature numérique ». La lecture et l’écriture numériques sont des faits sociaux avérés. Il suffit de voir l’évolution des comportements dans le métro : de nombreux lecteurs lisent désormais sur leur smartphone. La lecture numérique s’est très largement démocratisée. L’écriture numérique est plus répandue encore. Les écrivains utilisent tous les outils numériques, du simple traitement de texte (exigé désormais par les éditeurs pour rendre les manuscrits) à des logiciels plus complexes d’aide à la rédaction. Les échanges entre lecteurs et auteurs sont facilités (commentaires de blogs, échanges sur les réseaux sociaux, etc.).
L’école, à commencer par les programmes, a pris acte de cette évolution. Reste peut-être à donner à cette écriture et cette lecture scolarisée, une littérature, une pratique culturelle à médiatiser pour sa richesse et les questionnements qu’elle entraine.
C’est donc sur la littérature qu’insiste le titre finalement choisi. Nous avons tenté de définir la littérature numérique grâce à plusieurs articles de chercheurs et d’en montrer la variété en proposant une anthologie à destination des classes répartie sur l’ensemble du numéro. La littérature nativement numérique est au sens strict une littérature conçue avec un dispositif numérique, qui ne peut se lire qu’avec un dispositif numérique. Mais déjà avec la littérature numérisée, c’est à dire la littérature conçue pour une lecture sur papier et numérisée pour être mise à disposition sur un appareil de lecture, on peut observer des phénomènes de modification, d’enrichissements typographiques, sonores, visuels ou par liens hypertexte qui vont pousser l’élève à s’interroger sur les fonctions de ce supplément numérique.

Comment avez vous travaillé pour l’élaboration de ce dossier, aviez-vous chacun des domaines de prédilection ? d’expertise ? Avez-vous utilisé des outils collaboratifs en ligne ?

Nous avons beaucoup utilisé les réseaux sociaux (en particulier Twitter) pour entrer en contact avec les auteurs et leur proposer de rendre compte de leurs pratiques. Pour certains, nous n’avons d’ailleurs jamais eu d’autres contacts que virtuels. Pour d’autres, nous nous sommes rendus dans les établissements pour les rencontrer avec leurs élèves (voir l’article proposé sur le site des cahiers).
Des réunions de travail « en présence » restent cependant nécessaires pour construire et faire évoluer un projet. Ne serait-ce que pour mieux connaitre et tirer parti de l’expérience du partenaire de travail : Yaël Boublil dans la connaissance de la littérature numérique et la mise en œuvre, en classe et en formation, de démarches autour de celle-ci ; Jacques Crinon du côté de recherches sur les supports numérisés et l’écriture sur les écrans. Mais nous avons bien sûr aussi utilisé une plateforme collaborative qui nous a permis de partager et de revoir ensemble les articles au fur et à mesure que les auteurs nous les envoyaient.

À l’exemple de la littérature au cœur de ce dossier, pensez-vous que l’on peut parler aujourd’hui de culture numérique ?

Oui, aussi bien dans la société, nous venons de le dire, qu’à l’école. Des usages des formes numériques de la littérature ont déjà fait leur entrée dans les mœurs pédagogiques. Sans sombrer dans le panorama exhaustif de toutes les activités possibles pour tous les genres littéraires et dans tous les domaines de l’enseignement du français, on pourra d’ailleurs voir dans le dossier que l’étude de la littérature numérique peut permettre de travailler du poème au spectacle de théâtre, du roman au manuel scolaire, l’oral, la lecture, la langue et l’écriture. Et cela dès la maternelle.
Quant aux enseignants de Lettres du second degré, ils savent échapper aux représentations stéréotypées dans lesquels on voudrait les enfermer : ils ne sont pas hostiles par principe au numérique, surtout quand il s’insère dans une culture littéraire et artistique réflexive, comme dans les exemples que nous présentons au fil du dossier. Le numérique ne tue pas le livre, il le donne à voir et à étudier autrement…

En quoi le développement des outils et des usages du numérique modifie-t-il la façon d’écrire et de lire aujourd’hui ? La modifiera-t-il demain ?

Il n’y a pas une, mais des littératures numériques. Si nous devions en retenir une caractéristique majeure, ce serait son aptitude à interroger son propre support. L’écrit d’écran a une valeur heuristique, comme l’analyse bien Serge Bouchardon. La littérature numérique permet d’interroger à la fois le numérique et la littérature : par exemple la programmation des effets textuels, la réflexion sur les possibles narratifs, la génération automatique de textes sont autant de questions que la littérature numérique éclaire. Si je prends la notion d’auteur par exemple, en examinant des œuvres numériques je peux travailler sur de nombreuses questions. Quelle fin alternative l’auteur aurait-il pu me proposer ? Qu’est-ce qu’un auteur quand un programme informatique peut me donner l’illusion qu’un auteur existe ? Qu’est-ce qu’un auteur qui n’a plus besoin d’éditeur pour rendre son texte disponible ? Qui peut solliciter la participation de son lecteur au financement et à l’écriture même de son texte ? Que devient un livre lorsqu’il est numérisé ? Qu’est-ce qu’un livre quand il est nativement numérique ? Autant de questions que nous évoquons dans le dossier.

Le colloque Ecritech 7 explorera en mai prochain « ce que le numérique et les écrans changent à l’écrit, puis se penchera sur l’enseignement de l’écriture avec le numérique/de l’écriture numérique pour enfin questionner ce qu’est écrire le monde et s’engager dans le monde à l’ère du numérique ». Le dossier que vous avez coordonné apporte-t-il lui aussi des éléments de réponse à toutes ces questions ?

En effet les thèmes de cette manifestation recoupent ceux du dossier « Littérature et numérique » et nous partageons le projet de donner à nos élèves du pouvoir sur un monde en mutation. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si plusieurs des contributeurs de notre dossier interviendront aussi dans le colloque !