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Dédramatiser l’erreur plutôt qu’éviter d’affronter la difficulté

Soyons gré au promoteur de la méthode de lutte contre la «constante macabre », de ne pas être dans l’anathème ou le mépris exprimé récemment par un ancien ministre ou par un linguiste auto-promu grand spécialiste des questions éducatives pour toutes les tentatives de changer l’évaluation pour la rendre plus juste et plus efficace. André Antibi interviendra lors de la conférence nationale sur l’évaluation, ce qui montre qu’il est considéré par l’institution comme une personne compétente et influente en la matière et sur le terrain, on peut rencontrer nombre de pédagogues qui se réclament des dispositifs qu’il prône. D’où l’importance donc de débattre avec lui.

Je vais reprendre certaines de ses formulations et les commenter avant de donner un avis global nuancé sur les idées qui sont défendues dans ce texte.

Il me semble très important de préciser le point suivant concernant la suppression éventuelle des notes : la constante macabre n’est pas un problème de notation, mais un problème bien plus profond de culture de l’évaluation. Ce phénomène ne sera pas éradiqué en remplaçant les notes par des lettres, des couleurs…

On peut être choqué de ce que André Antibi attribue aux équipes qui remplacent la notation traditionnelle par d’autres formes d’évaluation l’idée que cela éradiquerait la « constante macabre ». Qui aurait cette pensée naïve ? La suppression non pas tant des notes que des moyennes n’est qu’une des façons de faire émerger une autre culture de l’évaluation. Tous ceux qui ont critiqué le rapport du Conseil supérieur des programmes, quand ils l’ont lu (ce dont je doute, mais je ne parle pas là d’André Antibi) construisent cette fiction commode de solution-miracle qui serait défendue par les « pédagogistes », pour mieux en dénoncer la naïveté ou la bêtise. Un procédé très classique.

Il est donc dangereux et contreproductif de laisser croire que la suppression des notes permettra d’améliorer la situation de l’évaluation en France ! Professeurs, et parents d’élèves aussi d’ailleurs, seraient désorientés, inutilement.

André Antibi combine les deux arguments d’une pensée conservatrice (pour reprendre la typologie de Albert Hirschmann) : la (prétendue) suppression des notes est inutile, ne changerait rien, mais elle est aussi dangereuse (ce qui ne change rien peut-il être vraiment dangereux ?) Mais surtout, n’évoquer que le négatif (« la suppression ») et non le système qui serait à promouvoir et que concrètement des équipes mettent en œuvre, est particulièrement déplaisant et peu honnête.

Il est aussi traumatisant pour un élève d’avoir la lettre ou la couleur « la plus mauvaise » qu’une mauvaise note.

Dit comme cela, oui, bien sûr. Mais d’une part, la relativisation des notes et l’adoption d’autres codes n’a pas pour finalité de ne pas « traumatiser », mais bien d’encourager les progrès. Et d’autre part, on retrouve là un argument largement utilisé par les conservateurs de l’existant, pourtant contredite par la réalité des expériences en cours. Car on oublie alors l’essentiel : la couleur négative peut être une étape, on a droit de recommencer la plupart du temps. Et dans certains cas, lors d’apprentissages plus difficiles, on peut seulement prendre en compte les évaluations positives. Tout s’inscrit dans une dynamique qui va bien au-delà du remplacement d’un code par un autre (même si réduire l’affolante échelle de quarante barreaux, si on compte les demi-points, est déjà un progrès).

André Antibi défend ensuite le système d’évaluation par contrat de confiance (EPCC) qui « permet d’éradiquer la constante macabre. Il incite les élèves à travailler beaucoup plus, en confiance, et il améliore sensiblement leur bienêtre, le climat de confiance entre élèves et professeur, mais aussi entre les parents d’élèves et l’école ».

Qui ici prétend avoir la « solution » ? C’est un point de divergence fort avec André Antibi. Autant l’idée de donner plus de confiance en l’élève, d’augmenter l’explicitation de l’évaluation, de donner des occasions de réussite plus fréquentes et de valoriser le travail et l’effort nous parait juste, ce qui nous a conduit aux Cahiers pédagogiques à être parmi les premiers à publier cet auteur dans nos colonnes, dans les années 90, autant nous refusons de penser qu’il s’agit de « la » solution. De plus, et c’est peut-être le point le plus important, appliqué systématiquement, ce dispositif nous parait en contradiction avec une approche par compétences à laquelle d’ailleurs André Antibi ne croit guère.

En fait, le système repose essentiellement sur le sentiment de réussite de l’élève à qui on balise tout le parcours afin qu’il obtienne la note qu’il « mérite » par son travail. Ce qui exclut de lui faire affronter trop de difficultés, de le confronter à des situations complexes où ce qu’il a déjà fait en classe pourra certes l’aider mais aussi le troubler, car il ne reconnaitra pas forcément ce qu’il a vu avant (changement d’exemples, de situations, décontextualisation). Au professeur de créer dans la classe un climat de confiance qui dédramatise l’erreur, qui permet de recommencer, qui suspend parfois l’évaluation, d’encourager, de pratiquer la coopération et l’entraide entre élèves pour parvenir à un résultat satisfaisant. Les situations-problèmes, les énigmes à résoudre, les défis, tout ce qui « stimule » est aussi important que ce qui rassure, les sources de la motivation étant multiples et diverses. Enfermer les élèves dans la routine du « contrat de confiance », n’est-ce pas jouer le court terme contre le long terme, l’objectif « réussir » contre celui d’« apprendre » et « comprendre ». Notons cependant que cela n’exclut pas d’autres situations plus sécurisantes, où l’élève qui a bien révisé, s’est bien entrainé est heureux de pouvoir réussir, sans qu’il sente le moindre « piège ». Notamment lorsqu’il s’agit de s’approprier des ressources à mobiliser pour les compétences, de s’entrainer, en ayant recours bien entendu aussi au par cœur ou à l’automatisation.

Nous partageons avec André Antibi un plaidoyer pour une école plus bienveillante et pour une évaluation qui fait émerger le positif, son militantisme pour plus d’explicitation et de clarté. Mais pas l’affirmation qu’il s’agit du « bon système », car il n’y a de toutes façons aucune formule magique, aucun programme idéal en pédagogie. L’approche par compétences n’est nullement une religion, elle comporte ses limites, est parfois difficile à pratiquer et demande de la formation. Mais ne la caricaturons pas : elle n’a rien à voir avec l’usine à cases des microobjectifs (rappelons que nous sommes parmi ceux qui ont inventé cette expression, conscients des dérives possibles), elle n’a pas à être appliquée de manière rigoriste et intégriste (les situations complexes toujours inédites par exemple). Le système d’André Antibi peut être un déclencheur pour des équipes qui le mettent en œuvre, mais il convient de ne pas en rester là, sans quoi on aura changé « pour que rien ne change »

Jean-Michel Zakhartchouk