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Y a-t-il de « bonnes pratiques » ?

Vous avez participé à une évaluation de certains programmes autour de l’apprentissage de la lecture (PARLER et ROLL) ou plutôt de leur début de généralisation sur une plus grande échelle, et vous montrez que les résultats ne sont pas forcément à la hauteur de ce qu’en espéraient leurs initiateurs, même si vous essayé d’établir un tableau comparatif entre avantages et risques. Pouvez-nous en dire plus sur votre évaluation ?

Viviane Bouysse : Quelques mots pour commencer sur les deux « programmes » en question :
– le premier est aujourd’hui un projet Lecture ; il est issu du programme P.A.R.L.E.R. (Parler, Apprendre, Réfléchir, Lire Ensemble pour Réussir) dont Michel Zorman avait été l’initiateur dans l’académie de Grenoble. Le projet actuel comporte bien des différences avec le modèle initial, différences que le rapport de l’IGEN précise. L’expérimentation actuelle constitue en effet une implantation dans un nombre de classes important pour évaluation. Le projet concerne actuellement le cycle 2 ;
– le second est en place depuis plus longtemps ; il s’agit du Réseau des Observatoires Locaux de la Lecture (R.O.L.L.) créé par Alain Bentolila. Il se déploie du cycle 2 au collège ; il ne prétend pas donner aux maîtres qui choisissent de s’en saisir tous les éléments de leur pédagogie de la lecture et, encore moins, du français. Les évaluations restent internes au ROLL.

Les deux dispositifs sont très différents à tous égards : par leur nature, leur ambition, la forme de l’accompagnement des maîtres, les modalités d’évaluation.
Sur l’efficacité du premier, l’expérimentation étant en cours, il faut attendre ; les résultats concernant la grande section sont encourageants. Quant à celle du ROLL, les progrès des élèves qui en bénéficient, mis en évidence par les « pilotes » à partir des évaluations conduites en classe dont le dispositif assure le traitement, ne peuvent être rapportés aux seuls effets de l’opération qui est une composante d’une pédagogie plus globale mais il serait faux de conclure que le ROLL n’y a pas une part. Tous ceux qui connaissent le métier d’enseignant et la dynamique d’une classe ne peuvent être étonnés de ces éléments, d’autant que l’investissement des professeurs impliqués dans les deux dispositifs n’est pas neutre.

Viviane Bouysse - Photo de L'école aujourd'hui

Viviane Bouysse – Photo de L’école aujourd’hui

Par ailleurs, car c’est aussi une retombée de ces opérations à prendre en compte, il est difficile d’évaluer les effets sur ces professeurs de leur participation ; il n’y a pas d’évaluation initiale précise permettant de prendre la mesure d’une évolution. Mais, s’ils sont manifestement inégaux, ces effets ne sont pas à négliger : acquis en matière de cadres théoriques de la lecture et de la pédagogie de la lecture et acquis en matière de gestion différenciée de la classe.

Au-delà de ces deux dispositifs, votre étude ne montre-t-elle pas les limites d’une approche fondée sur des « bonnes pratiques » ou « bonnes méthodes » qu’il suffirait ensuite de reproduire ? En même temps, il est bon que des pratiques s’appuient sur des résultats de recherches. Comment mettre de côté les effets positifs liés à l’engagement des acteurs dans une expérimentation (le fameux « effet Hawthorne ») qui n’ont rien à voir avec le contenu de cette expérimentation ?
Je crois qu’il n’est guère possible d’éliminer le fameux effet Hawthorne que vous rappelez. Mais appliqué à notre sujet, il ne doit pas jouer de la même façon dans les deux opérations : au sein du ROLL, les enseignants n’ont pas la conscience d’être évalués (ils ne le sont d’ailleurs pas, ce n’est absolument pas l’objectif) alors que dans le projet Lecture issu de PARLER, ils sont pleinement concernés par l’évaluation effectuée, même si elle n’est pas l’évaluation de leur seul travail puisqu’ils sont au service d’un protocole précis qui leur est fourni.
Quant aux « bonnes pratiques », il y a à mes yeux une difficulté dans le raisonnement usuel à leur propos : des « pratiques » sont-elles reproductibles, en éducation ?  Je ne le crois pas car, outre le charisme propre à chaque individu, la charge de travail qu’il peut fournir, sa conception de son rôle d’éducateur-didacticien, sa connaissance et sa compréhension fines des objets d’étude sont pleinement engagées dans ses pratiques. L’obligation où il se trouve de réagir en permanence à la réalité de ses élèves suppose une réactivité en situation qui ne peut être « codifiée », et qui est une composante des pratiques.

Disant cela, je ne réfute pas du tout l’idée selon laquelle il y a des pratiques meilleures que d’autres mais il me semble qu’il faudrait être à la fois plus modeste et plus rigoureux, et identifier précisément ce que l’on pourrait appeler, de manière métaphorique, les « principes actifs » des bonnes pratiques et les distinguer d’autres éléments qui composent ces pratiques. Ce sont les « principes actifs » qui doivent être compris des enseignants et respectés dans la réappropriation des « bonnes pratiques ». Pour donner un exemple, si l’on s’en tient aux débuts de l’apprentissage de la lecture (de sa « technique » car il y a eu, je l’espère, une longue acculturation aux textes avant cette phase), le travail sur le code peut se faire selon des voies différentes, qui privilégient plutôt l’approche analytique ou l’approche synthétique, qui font plus ou moins de place à l’écriture-codage (pour la distinguer de l’écriture-graphisme). Ces éléments-là doivent-ils être considérés comme des principes actifs ou des adjuvants, pour continuer avec la métaphore ? Des nombreuses observations que j’ai pu effectuer dans des classes de cycle 2, je retire la conviction que l’on peut être efficace par des voies différentes mais que le travail systématique et structuré du code est un principe déterminant de la réussite. La recherche en cours sur la lecture dans le cadre de l’IFÉ me semble prometteuse pour nous éclairer sur ces aspects.

Si les pratiques enseignantes doivent s’adosser aux données de la recherche (si on refuse cette idée, qu’en est-il alors de la professionnalisation aujourd’hui ?), elles ne peuvent être prescrites de manière « fermée ».
Qu’est-ce qui pourrait être fait en matière d’évaluation afin de pouvoir mieux connaitre les effets d’une expérimentation ?

Qu’est-ce qu’une expérimentation ? Aujourd’hui, ce terme est utilisé pour qualifier des situations bien différentes. Si l’on se place dans le cas où l’expérimentation est évaluée, je pense que des règles usuelles dans la recherche sont très difficiles à appliquer voire exclues pour des raisons éthiques (double aveugle, randomisation). Cela ne signifie pas que la recherche est condamnée à manquer de rigueur. La constitution des échantillons, le choix des objets même de l’évaluation des acquis des élèves, le choix des outils et des modalités de cette évaluation (par exemple, l’administration des épreuves par les maîtres impliqués eux-mêmes ou par un tiers externe à la classe), les traitements des données, tout cela suppose une grande vigilance méthodologique et déontologique.

Il me semble manquer une composante dans les pratiques habituelles : une réelle « documentation » de l’action, c’est-à-dire une sorte de récit de l’action réelle observée par des personnes formées à cette observation. Il faut pouvoir rapporter les effets aux pratiques réelles. Tous ceux qui sont souvent dans les classes savent que l’enseignant ne fait pas toujours exactement ce qu’il croit faire. Dans le cas des deux dispositifs qui faisaient l’objet du rapport qui nous vaut cet échange, il est manifeste que leurs pratiques réelles sont très différentes.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk


NDLR : Appel à contribution :
Réussir l’apprentissage de la lecture, de la maternelle à l’âge adulte
Coordonné par Jacques Crinon


489_une-600.jpg Faire du français sans exclure
Revue n°489 – avril 2011
Quelles pratiques, dans le cours de français, mais aussi dans d’autres disciplines, de la maternelle au lycée, pour faire progresser tous les élèves ? Pour que chacun prenne la parole, à l’oral ou à l’écrit ? Pour que chacun s’approprie la langue et la littérature pour apprendre, envisager un avenir, élargir son horizon et rencontrer l’autre ?