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Utiliser les jeux vidéo grand public en classe
Toutes les enquêtes, et notamment celle réalisée sur le territoire national par l’IFOP en 2015, confirment la popularité des loisirs vidéoludiques auprès des jeunes. L’immense majorité des élèves étant en contact étroit avec ce média, il apparaît indispensable de l’aborder en tant que tel en classe. L’Éducation nationale ne s’y est pas trompée qui le mentionne explicitement dans le cadre de l’éducation à l’image, au cinéma, à l’audiovisuel et dans le programme d’histoire des arts. De nombreux enseignants, cependant, vont au-delà de ces propositions institutionnelles et s’emparent de cet objet pour le mettre au service des apprentissages disciplinaires. Les lignes qui suivent s’efforcent d’exposer, de façon raisonnée, les différents usages des jeux vidéo grand public en classe.
Julian Alvarez et Damien Djaouti[[Julian Alvarez et Damien Djaoudi, Introduction au serious game, Questions théoriques, 2010.]] ont établi en 2010 une carte des applications informatiques utilisables à des fins ludiques et d’apprentissages. Ils tracent les frontières du serious gaming et des trois sous-ensembles qui selon eux le constituent. Le premier regroupe les détournements d’applications utilitaires (l’objectif, sérieux à l’origine, devient ludique). Exemple : un enseignant utilise un logiciel de traitement de texte pour faire écrire à ses élèves un récit interactif. Le deuxième regroupe les jeux sérieux (l’objectif est double, sérieux et ludique). Exemple : un enseignant utilise avec ses élèves un jeu conçu pour leur faire travailler l’orthographe ou les mathématiques, pour les éduquer à la sécurité routière ou aux dangers d’Internet. Le troisième regroupe les détournements de jeux vidéo (l’objectif, ludique à l’origine, devient sérieux). Exemple : un enseignant utilise pour faire cours un jeu d’aventure, de combat ou de plate-forme, grand public ou plus confidentiel.
Des enseignants pionniers
Les jeux vidéo grand public ont l’immense avantage de ne pas appartenir à la catégorie des documents dits scolaires ; ils sont aussi, ordinairement, plus ludiques et plus spectaculaires que les jeux sérieux. Conséquence de cela, ils ont un impact fort sur la motivation immédiate des élèves. Pour les utiliser en classe, l’enseignant se doit certes d’avoir une connaissance suffisante du domaine, mais il doit également déployer toute son inventivité pédagogique afin d’amener un objet à servir des objectifs disciplinaires ou transversaux très différents de ceux pour lesquels il a initialement été conçu. En France et à l’étranger, de plus en plus d’enseignants se lancent dans l’aventure et imaginent des séances où ils tentent d’exploiter le potentiel éducatif des jeux vidéo. Il s’agit la plupart du temps d’expérimentations, puisqu’en la matière tout est encore à inventer. Les supports utilisés varient. Les jeux eux-mêmes, bien sûr, sont sollicités (scènes cinématiques, parties jouées ou enregistrées) mais aussi tout ce qui les entoure (sites dédiés, presse spécialisée, jaquettes de jeux, affiches publicitaires, bandes annonces, tutoriels, parties commentées…).
La nature même du média jeu vidéo fait que l’on trouve beaucoup d’exemples relatant son utilisation en classe sur Internet (sites pédagogiques, blogs d’enseignants et de chercheurs). Certaines propositions restent relativement traditionnelles. Si on les confronte au modèle SAMR (Substitution, Augmentation, Modification, Redéfinition), établi par Ruben Puentedura[[Sébastien Wart, «Le modèle SAMR : une référence pour l’intégration réellement pédagogique des TIC en classe», sur le site École branchée. ]] pour identifier les différents niveaux d’intégration des TICE dans une activité, on constate qu’elles correspondent aux deux premiers niveaux : la substitution et l’augmentation.
Exemples de niveau un : à partir d’un jeu dont l’action est censée se passer en un lieu réel et une époque historiquement située, un enseignant propose à ses élèves un questionnaire qu’ils doivent remplir en extrayant les informations des fiches informatives disponibles dans le jeu et qui présentent certains de ses éléments (bâtiments, personnes, objets) ; un autre s’appuie sur des scènes cinématiques et des extraits de parties pour faire apparaître la distorsion entre la réalité et sa transposition ludique ; un autre encore propose aux élèves de travailler sur les stéréotypes de sexes à partir des représentations masculines et féminines qui figurent sur les jaquettes des jeux.
Exemples de niveau deux : un professeur de français fait jouer ses élèves à un jeu vidéo d’aventure et les invite à expliquer par écrit comment ils s’y sont pris pour déjouer les pièges, résoudre les énigmes, aller d’un point A à un point B. Un autre, spécialisé en Français langue étrangère (FLE), utilise un jeu à récit fictionnel et leur demande de raconter à l’oral l’histoire qu’ils viennent de vivre. Un autre encore, qui enseigne l’économie, se sert d’un jeu de gestion pour expliquer le principe de l’impôt et son impact sur une population.
Dans le premier cas, le jeu vidéo est exploité comme un média lambda. Dans le deuxième, l’interactivité est partiellement prise en compte. Il est demandé aux élèves d’agir dans le monde virtuel qui leur est proposé, d’observer et commenter les résultats – rendus visibles en temps réel – de leurs actions. Pour résumer, si l’on se réfère au modèle SAMR, il y a amélioration des séances mais celles-ci ne sont pas encore fondamentalement transformées.
Des séances transformées
L’étape suivante, dans le modèle SAMR, est celle de la modification. La technologie, à ce stade, permet une reconfiguration significative de la tâche. Exemple de séance : un enseignant d’histoire-géographie utilise un jeu d’aventure-action qui se déroule dans une cité d’autrefois reproduite de façon très réaliste. Il a préparé plusieurs supports de cours : des enregistrements de temps de jeu où l’on voit son avatar évoluer dans différents quartiers de la ville, un fond de carte de la ville modélisée. Les élèves doivent compléter ce plan en s’appuyant sur les vidéos puis comparer le résultat obtenu avec le document présenté dans le manuel. L’opération a pour but de les aider à comprendre la structure et les caractéristiques de la cité étudiée tout en pointant du doigt les biais représentatifs (esthétiques, ludiques, idéologiques).
La dernière étape du modèle SAMR, dite de la redéfinition, est atteinte quand la technologie permet la création de nouvelles tâches auparavant inconcevables. C’est ce qui se produit lorsqu’un enseignant choisit de se servir, pour construire l’égalité entre les femmes et les hommes, de jeux extrêmement stéréotypés et propose à ses élèves, quel que soit leur sexe, de jouer contre l’ordinateur en incarnant successivement un combattant puis une combattante. En effet, vivre un stéréotype de l’intérieur n’est pas la même chose que l’observer de l’extérieur et peut donner lieu à des débats certes possiblement animés mais assurément fructueux, les classes étant mixtes. Ainsi, gagner étant l’unique moyen, pour un joueur, de continuer à jouer, il apparaît, plutôt que de se moquer de son avatar, plus productif d’apprendre à le connaître et à tirer parti de ses forces et faiblesses.
Autre exemple : un professeur utilise en cours d’histoire un jeu de gestion qui permet de construire une seigneurie. Il met ses élèves en petits groupes et leur propose trois scénarios différents : gagner le plus d’argent possible, avoir le plus d’âmes possible sur ses terres, avoir le domaine le mieux défendu. La plasticité du jeu, qui évolue différemment en fonction des choix des joueurs, est ici mise à contribution à deux reprises : lorsque chaque équipe poursuit l’objectif qui lui a été donné, lorsque les équipes confrontent et analysent leur parcours et les résultats auxquels elles sont parvenues. Elle permet de faire comprendre aux élèves des problématiques politiques et économiques relativement complexes.
Se lancer
En conclusion, quelques pistes peut-être pour celles et ceux qui seraient tentés par l’aventure. Concernant tout d’abord le choix du jeu. S’il semble évident qu’il convient de prendre en compte la signalétique PEGI[[Voir le site pegi.info ]] (Pan European Game Information) et d’opter pour un jeu en français vendu à un prix raisonnable, il faut aussi penser à privilégier les jeux faciles à prendre en main et qui proposent des parties relativement courtes. Concernant ensuite leur exploitation pratique, tout est possible. L’enseignant peut décider de travailler à partir de parties enregistrées, de faire jouer ses élèves individuellement et collectivement, ou bien encore de jouer devant ses élèves.
Mettre les jeux vidéo au service des apprentissages n’est cependant pas forcément facile et n’a pas que des avantages. Le volume sonore de la classe s’en ressent. Les élèves ne sont pas nécessairement tous intéressés. Les inégalités ne disparaissent pas comme par magie.
Les multiples expériences menées en France dans les écoles, les collèges, les lycées apportent néanmoins la preuve qu’on peut exploiter avec profit le potentiel motivationnel et les spécificités de ces jeux dès lors qu’ils sont intégrés dans un scénario pédagogique.
Fanny Lignon
Maitre de conférences cinéma audiovisuel à l’université Lyon 1 – laboratoire Thalim (Théorie et histoire des arts et des littératures de la modernité)
Pour aller plus loin :
Florence Quinche, « Apprendre avec les jeux vidéo »
Romain Vincent, « L’utilisation des jeux vidéo à l’école »
A lire également sur notre site :
Le mariage de l’eau et du feu ? Jeu et éducation à travers l’histoire, par Chantal Barthélémy-Ruiz
L’impact des loisirs des adolescents sur les performances scolaires, par Alain Lieury et Sonia Lorant
S’entraîner aux inférences à travers les jeux d’enquêtes, par Martine Chomentowski