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Une vie éducative

Il a connu l’école jeune, à deux ans, et s’y est engouffré comme dans un havre où la soif d’apprendre est sans cesse apaisée. Il vivait alors au sein d’une famille modeste dans une cité près de Montpellier. Ni dedans, ni aux alentours, les livres et les savoirs ne se partageaient. À quatre ans, il savait lire, à quatorze ans, à la fin de la 3e, il est admis à l’école normale pour devenir instituteur. Il découvre l’internat au milieu de garçons plus âgés que lui, une vie qu’il apprécie par les apprentissages le jour et les discussions le soir.

Ses opinions politiques s’affirment, nous sommes peu après Mai 68. Peu désireux de passer une année en caserne, il opte pour le Volontariat de service national actif (VSNA) plutôt qu’un service militaire sous les drapeaux. Il est nommé dans un petit village malgache, au milieu de nulle part, là où, lui dit-on, ses prédécesseurs n’ont pas tenu longtemps. Il va y passer une année avec sa compagne : « Nous avons vécu là une expérience extraordinaire », avant d’en effectuer une deuxième à Nosy Be.

Priorités

De retour en France, il garde en tête deux priorités affirmées là-bas : l’accès aux apprentissages pour ceux qui en sont exclus et l’égalité filles-garçons. Dans son école d’un village de la périphérie montpelliéraine, il utilise la sociométrie pour favoriser la socialisation en observant les relations entre élèves, les inimitiés en particulier. Il mesure les interactions langagières afin de limiter les effets des stéréotypes sexués. Il compose des groupes à partir de ses observations. Passionné par la démarche scientifique, il emprunte la pédagogie du détour, et adapte celle de Freinet. « Je créais mes propres méthodes. » Sa classe est une ruche où les expériences scientifiques voisinent avec une partie d’échecs. Il en ouvre volontiers la porte, aux parents et aux étudiants, curieux de voir comment cela fonctionne. Lorsque l’école est fermée, il accueille des primo-arrivants marocains venus du Haut-Atlas. Pour leur apprendre les bases du français, il invente encore à partir des albums et imagiers empruntés à ses enfants.

Son approche intrigue et intéresse, validée par les retours des parents dont les enfants jusqu’alors avaient peine à venir en classe. L’inspection lui propose de passer le concours de formateur, ce qu’il accepte à condition de rester dans son école. L’école d’application de Montpellier lui semble un lieu privilégié, éloignée de la diversité des publics qu’il recherche. Son souhait est accepté, les étudiants font le chemin jusqu’à son village pour apprendre avec lui les méthodes coopératives.

Retour à l’université

Et puis, lui aussi repart sur les bancs de l’apprentissage. « Au bout de vingt ans de carrière, j’ai eu l’impression de tourner en rond. » Il obtient un congé individuel de formation pour suivre une licence en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier. Michel Tozzi est l’un de ses enseignants, « une rencontre importante ». En cours, il le sollicite pour donner des exemples. Daniel Comte vit cette invitation comme une reconnaissance, une validation de ce qu’il a construit dans sa classe, de façon quasi intuitive. Le diplôme obtenu, il reprend sa classe et, peu après, ses cordes vocales défaillent jusqu’à lui faire perdre la voix. Il a eu le temps toutefois d’initier des débats à visée philosophique et de convaincre son inspectrice de leur intérêt avant d’être contraint de s’arrêter. Il réussit sa maîtrise et s’inscrit en DEA à Lyon. En attendant de trouver un poste épargnant sa voix, il est chargé de cours à l’Université de Montpellier et élargit sa palette en intervenant en cursus communication.
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L’éducation populaire l’accueille ensuite. Aux Ceméa, il est nommé responsable pédagogique, forme des moniteurs éducateurs, contribue à une méthode de diagnostic des territoires pour initier des projets éducatifs locaux. Il a le gout d’écrire et écrit de plus en plus sur les projets et ce qu’il observe. Il propose d’enrichir d’un livret pédagogique une bande dessinée écrite par quatre dessinateurs allemands et français réunis sur le Larzac avec des jeunes venus des deux pays. Le sujet est celui de l’histoire croisée de deux filles, une Allemande et une Française : scolarités et apprentissages vus des deux côtés. Le livret d’accompagnement est rédigé lors d’un séminaire à Berlin.

Travailler au rectorat

Le recteur de l’académie de Montpellier souhaite le rencontrer, aimerait lire ce qu’il écrit. Il se présente avec des numéros des Cahiers pédagogiques auxquels il a contribué. Le recteur lui parle du projet de plan académique rédigé par des inspecteurs, le lui soumet pour avis puis le recrute comme responsable du service information-communication. Son arrivée étonne et ne plaît pas toujours, lui qui n’est dans la hiérarchie formelle qu’un simple instituteur. Il rapproche les Ceméa du Rectorat avec un travail sur les Allemands engagés dans la résistance. L’initiative ne passe pas inaperçue. Une émission de France Inter « 2000 ans d’histoire », de Patrick Gélinet, y est consacrée.

Il sait son poste soumis aux aléas des nominations ministérielles, au devenir du recteur. Celui-ci part alors que Daniel Comte travaille comme conseiller technique pour l’enseignement des sciences du primaire à l’université. Le domaine le passionne et, en un an, il monte des projets nationaux en lien notamment avec la Main à la pâte, mais aussi avec la place des filles dans les filières scientifiques. L’Inspecteur d’académie met fin à son poste. Le chemin du retour en classe lui semble périlleux pour sa santé. Il contacte la présidente de l’Université qui lui propose un contrat d’ingénieur de formation. Il travaille sur le thème de l’orientation, met en place une journée d’accueil pour les lycéens afin qu’ils découvrent le quotidien de l’enseignement supérieur, les cours en amphi, les travaux dirigés, le restaurant universitaire et le système des ECTS. En un an, ce sont plus de 2000 lycéens de toute l’académie qui bénéficieront de cet accueil, accompagnés de leurs enseignants.

La mission est un intermède en attendant de passer un concours pour accéder à un poste de chef d’établissement. « L’internat » est le thème de l’écrit, un sujet qu’il apprécie et a expérimenté en Lozère avec les Ceméa. L’oral se déroule bien et il abandonne avec regret son poste à l’Université pour vivre une nouvelle étape de son itinéraire comme adjoint dans un lycée du Cantal. Il poursuit là ses initiatives sur l’orientation, travaille sur le thème du développement durable.

La Réunion

L’Île de la Réunion sera le dernier havre de sa carrière professionnelle. Il dit que ce lieu n’est pas un hasard, en repensant à ses deux années passées à Madagascar. Les thèmes qui lui sont chers, l’égalité filles-garçons, l’accès aux apprentissages pour ceux qui en sont éloignés, trouvent là un écho décuplé, dans un territoire où il fait bon vivre mais où le niveau de pauvreté, le taux d’illettrisme et les violences conjugales sont élevés. Il est toujours adjoint, préférant agir, impulser et contribuer aux projets, au plus près des équipes.

Sa dernière année a commencé avec les cahots de la réforme du lycée. La rentrée réunionnaise précède celle de la métropole et de ce décalage, s’accumulent les problèmes. Le travail d’information auprès des familles est d’importance dans cet établissement de l’éducation prioritaire qui accueille beaucoup de jeunes parlant chez eux créole ou shimahoré. Tout le plan de communication auprès des familles, prévu avant les vacances d’octobre qui ont lieu plus tôt qu’en métropole, est remis en cause par les atermoiements de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance). Les résultats des tests de seconde arrivent tardivement. « Je ne suis pas opposé à mettre un coup de pied dans la fourmilière du bac. Mais pourquoi n’avoir pas programmé cette réforme sur deux ans? »

L’écriture et le débat lui tiennent toujours à cœur. Depuis février 2017, il organise un café de l’éducation ouvert aux parents, aux enseignants, aux partenaires territoriaux. Il a créé une revue et travaille sur un site Internet. La retraite ne marquera pas l’arrêt de son activité dans le domaine de l’éducation, une éducation qu’il envisage « au sens large, au-delà de l’Éducation nationale ». Il retournera dans son Hérault natal, et poursuivra là-bas ce qu’il a appris, essaimé tout au long de son périple. Il a écrit une thèse sur l’éthique et le partenariat et voit « l’exemplarité comme une valeur à mettre au fronton de la République ».

Il pourrait recevoir le qualificatif « d’enfant de l’école de la République » mais sans doute se perçoit-il différemment, comme un arpenteur des territoires de l’éducation, un inventeur de solutions pour que son chemin soit celui des autres, que le goût d’apprendre ne soit pas empêché par les inégalités. Il souhaite défricher encore du côté des territoires apprenants, comprendre comment le terrain, le quartier peuvent être occasions d’apprendre et participer à des projets qui révèlent et encouragent ces apprentissages. Il regarde vers d’autres systèmes éducatifs, comme celui de l’Andalousie, où la démocratie et la coopération président à l’organisation des établissements, avec des rôles administratifs partagés au sein de l’équipe pédagogique. Le jour où Daniel Comte fermera pour la dernière fois la porte de son établissement, une nouvelle étape de sa vie éducative s’ouvrira avec la même curiosité, le même appétit de comprendre et de construire.

Monique Royer