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Une réforme qui demande
du temps

 

La réforme des temps scolaires a-t-elle échoué ?

Oui.
Pour réussir, une réforme a besoin, sinon de l’enthousiasme, du moins de l’assentiment de ceux qui doivent la mettre en œuvre. Beaucoup d’enseignants ressentent actuellement du dépit, du désarroi ou de la colère devant ce qui se met en place. Beaucoup de parents ne partagent pas les enjeux ou les choix de cette réforme. Beaucoup de collectivités locales ne s’engagent qu’avec des réserves ou des réticences. Beaucoup de responsables de la hiérarchie intermédiaire de l’éducation nationale l’appliquent selon un mode de fonctionnement autoritaire hérité de ces dernières années, confondant concertation et application des directives. Le tollé médiatique de ces derniers jours a une dimension artificielle, du fait de la médiocrité de certains journalistes ou hommes politiques démagogues. Mais les difficultés sur le terrain sont réelles, au moins dans certains endroits, et on ne voit pas comment elles pourraient être surmontées si ceux qui doivent les résoudre ne sont pas convaincus de la nécessité de le faire.

La réforme des temps scolaires a-t-elle réussi ?

Oui.
Il y a six mois, nous pouvions être critiques sur une réforme semblant manquer d’ambition, restreignant trop la question des temps éducatifs à celle des temps scolaires. Les débats de ces derniers jours montrent qu’elle touche tout de même à des points essentiels : si ça grince, c’est que la machine bouge. Les problèmes de locaux, de matériel, d’encadrement, de responsabilités des différents temps n’ont rien de dérisoire. Pour la première fois dans l’histoire de l’école primaire, le temps que passent les enfants dans les locaux scolaires, le nombre de jours d’école dans l’année sont augmentés. Comme personne n’envisage de ramener le temps de travail des instituteurs à trente heures par semaine comme sous la IIIe République, le nombre d’adultes responsables des différents temps éducatifs augmente aussi. Une telle évolution ne peut pas se faire dans l’indifférence. La vivacité des réactions, l’ampleur que ces polémiques sur l’école a prise ces derniers jours dans l’actualité journalistique montrent l’attachement de tous à une éducation de qualité.

La réforme des temps scolaires aurait-elle pu réussir ?

Oui.
Octobre 2010 : des représentants des collectivités locales, des mouvements pédagogiques, des associations complémentaires, des principales fédérations syndicales signent un « appel de Bobigny », affirmant entre autres la nécessité de réaménager les temps scolaires.

Janvier 2011 : un rapport établi à la demande du ministre UMP Luc Chatel fait le constat du rejet à peu près général de la semaine de quatre jours, affirme qu’« il faut donc alléger la journée et adapter le travail scolaire aux temps favorables aux apprentissages, alterner et équilibrer dans la journée les différentes formes de regroupement, les différentes activités et disciplines, les formes de travail, garantir la pause méridienne, refuser la semaine actuelle de quatre jours ».

Le candidat François Hollande lors de sa campagne en 2012, le fraichement émoulu ministre Vincent Peillon en juin de la même année se sont exprimés clairement sur leurs intentions d’engager cette réforme. Tous les arguments étaient déjà là, l’accord des principaux responsables éducatifs semblait acquis, le temps de la concertation pour la mettre en place était disponible : que n’en a-t-on profité ?

La réforme des temps scolaires va-t-elle échouer ?

Oui.
Certaines réactions de ces derniers jours sont symptomatiques des inégalités sociales importantes de notre société, du développement de la défense des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.

Cette réforme augmente la part du temps des enfants pris en charge par les services publics, donc au détriment du temps choisi par les parents. Ceux qui considèrent que le rôle de l’école doit se limiter à doter leurs enfants du capital scolaire nécessaire pour leur réussite sociale, en préparant aux meilleures écoles et aux meilleurs diplômes, n’apprécieront pas que l’on consacre du temps et de l’argent à des « animations » au détriment du conservatoire ou du cours particulier de mathématiques. Ceux qui considèrent que l’éducation nationale est une mission d’intérêt public, un service dû à tous les enfants et qui doit être particulièrement soucieux de ceux qui sont les plus éloignés de la culture et des normes scolaires, ne peuvent que souhaiter qu’elle se renforce et qu’elle propose des activités pédagogiques de qualité.

Il y a fort à craindre que le règne du culte de la performance, de la compétitivité, du chacun pour soi, qui n’épargne pas l’école, donne raison aux premiers.

La réforme des temps scolaires va-t-elle réussir ?

Oui.
Il y a des réformes pour lesquelles on ne peut que limiter les dégâts, comme la désastreuse « masterisation » dont on paye encore les conséquences avec toutes les difficultés de la mise en place des nouvelles ESPÉ.

Il y a des réformes pour lesquelles il faut se démener pour faire quelque chose d’intelligent malgré un dispositif mal pensé : bien des professeurs des écoles ont réussi à rendre utile aux élèves les deux heures d’accompagnement personnalisé prévu par le ministère Darcos en 2008.

Il y a des réformes indispensables et pertinentes, mais qui pâtissent de tous les compromis concédés dans leur négociation : c’est le cas de cette modification des temps scolaires. Elle échouera si elle n’est qu’une organisation imposée d’en haut par une hiérarchie tatillonne. Son principal mérite est peut-être finalement de laisser ouverte une autre possibilité : elle donne des marges de manœuvre aux différents acteurs pour trouver les meilleures solutions possibles.

Il n’y a pas de réformes magiques qui font d’emblée l’unanimité, qui produisent en quelques semaines des résultats mirifiques et incontestables. En l’occurence, rien n’est acquis tant les problèmes à surmonter concernant les moyens, l’organisation du travail, les modalités de décision sont considérables. Rien de toute façon ne peut être acquis après deux mois de mise en place.

Cette réforme va-t-elle réussir ? La réponse est devant nous, nous appartient.

Patrice Bride
Rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques