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Une proposition de loi en atelier relai

©Didier-Saulnier

Les dispositifs relais accueillent des élèves décrocheurs habitués à penser qu’ils ne vont pas « y arriver ». Mais ces élèves parisiens inscrits dans de tels dispositifs ont réussi à élaborer une proposition de loi et à la présenter devant près de deux cents personnes.

Dans le cadre d’un parcours Enfants conférenciers intitulé « Du Jeu de paume au Congrès du Parlement : deux siècles de démocratie à Versailles », trente-deux élèves des ateliers relais du lycée Émile-Dubois et du collège Janson-de-Sailly, à Paris, ont adressé une proposition de loi à la présidente de la Commission des affaires culturelles et scolaires de l’Assemblée nationale. Cette proposition vise à rendre possible la création d’une association gérée par des collégiens au sein de leur établissement, dont l’objectif est par exemple de venir en aide aux élèves, mais également aux familles, sur le plan scolaire ou social.

Une expérience éducative sociale et culturelle, dont l’enjeu a été de mobiliser les élèves autour de la question de leur engagement citoyen. Si les élèves avaient la possibilité d’être force de changement et de soumettre une loi, que proposeraient-ils ?

Nous avons souhaité partager cette expérience pour témoigner de l’éducabilité et de la potentialité de nos élèves, de leur capacité à travailler quand l’activité s’inscrit dans l’échange et la coconstruction des savoirs. Rompre avec la passivité pour confronter les élèves à des situations de recherche dans lesquelles chacun peut s’investir1.

Savoir-être et éloquence

Dans les emplois du temps respectifs des deux dispositifs relais, il était prévu un temps de travail spécifique qui s’articulait notamment avec l’atelier d’éloquence. Un travail sur le savoir-être au travers de la communication verbale et non verbale. Puisque « de l’école au lycée, le parcours citoyen vise à la construction, par l’élève, d’un jugement moral et civique, à l’acquisition d’un esprit critique et d’une culture de l’engagement2», nous avons proposé aux adolescents de s’impliquer et de dire ce qu’ils pourraient proposer : « Les familles ont de plus en plus de mal à donner à leur enfant l’attention, le confort, le plaisir dont ils ont besoin pour s’épanouir. Il existe des associations, comme l’Unicef, qui s’occupent des enfants dans le monde, il existe des associations de quartier, les Restos du cœur, cependant, les familles ne s’ouvrent pas aux associations et à elles-mêmes. On peut faire des actions dans le collège, mais pas d’association. »

Le niveau collège n’étant pas spécifié dans des dispositions en faveur de l’engagement associatif des adolescents (à fins humanitaires ou culturelles), ils ont ainsi élaboré une proposition de modification des articles L. 552-2 II du Code de l’éducation et R. 511-9 du Code de l’éducation.

Des collégiens conférenciers

Ces collégiens sont dits « décrocheurs ». Les élèves accueillis en dispositif relais ont souvent un parcours jalonné d’incivilités, de violence et d’exclusion.

En rupture avec l’institution scolaire, ils rencontrent des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation. Ils dérangent et peinent à trouver leur place. Ils sont constamment renvoyés au fait de « ne pas y arriver », de ne pas être dans la norme. Ils éprouvent un manque de confiance en eux notamment dû à une lacune de culture générale, une maitrise insuffisante de la langue à l’écrit et à l’oral, des problèmes d’écriture, de compréhension en lecture et un manque d’autonomie. Tout cela a pour conséquence le décrochage scolaire.

Les dispositifs relais ont pour but de permettre la prise en charge spécifique de collégiens exclus du système scolaire ou en voie de déscolarisation. Ils visent le retour réussi de l’élève dans sa classe. De fait, l’élève admis en dispositif relais reste élève de son établissement d’origine, sous statut scolaire.

Nous avons souhaité participer au projet Enfants conférenciers que les lecteurs des Cahiers pédagogiques connaissent bien3, car ce projet s’inscrit dans les cinq axes sur lesquels s’articulent les dispositifs relais4 :

  • des pratiques pédagogiques pour redonner du sens aux apprentissages ;
  • l’éducation à la responsabilité par la valorisation et le renforcement de l’estime de soi ;
  • l’exercice de la citoyenneté, par la maitrise de l’expression de sa sensibilité et de ses opinions dans le respect de celles des autres ;
  • l’ouverture culturelle ;
  • le parcours avenir pour donner du sens aux apprentissages et pouvoir se projeter dans un futur plus ou moins proche.
Force de proposition citoyenne

Le 4 avril 2023, dans la salle du Congrès du Parlement à Versailles, les collégiens ont présenté leur proposition de loi, ce qui leur a causé des émotions diverses :

« Je ne suis pas capable de m’exprimer en public. Je ne vais pas y arriver. J’ai plus envie de le faire ! »

« J’espère que je vais bien prononcer, j’ai le trac, je n’ai pas l’habitude de parler devant du monde. Et si je me trompe ? On va se moquer de moi ? »

« Les élèves des autres classes… ils parlent bien ! »

« À toi ! vas-y… »

« J’étais bien ? Hein ? »

« Ouf, je suis très content de moi ! »

« Ça y est, ils ont réussi, ils ont bien parlé. »

« De la fierté, de la confiance » : voilà ce que nous ressentons maintenant ! »

©Didier-Saulnier

La participation à ce projet a mis à l’épreuve les élèves en les confrontant à eux-mêmes et aux autres. Il leur a permis d’éprouver, selon leurs mots, de la fierté, de se sentir capables : « Cela nous a apporté la reconnaissance de notre collège, de nos parents, de nos profs, c’est top ! »

Les élèves ont pu vivre une remarquable expérience pédagogique, éducative, sociale et culturelle, sans que soit posée la question de l’inclusion. Il a été question de motivation, de persévérance, de sentiment de compétence et d’efficacité personnelle5 ou d’effet de contexte, car le dispositif Enfants conférenciers s’intéresse « aux liens entre le savoir à enseigner et le contexte concret qui le détermine. Il pose la question du savoir et de son élaboration, de l’implication affective, cognitive et sociale des apprenants et de la construction d’un modèle cognitif de médiation6 ».

Ce 4 avril, ils ont partagé ce travail avec des élèves d’élémentaire, des lycéens, et même des élèves du Lycée français de Tegucigalpa au Honduras qui proposaient une loi en faveur de l’enseignement en langue des signes dans les établissements de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), et l’ont aussi proposé au Parlement hondurien. Ils ont pu vivre autour de ce projet une véritable communauté d’apprentissages dans laquelle ils ont trouvé pleinement leur place.

Et après ?

Forts de l’engouement des adolescents et de l’intérêt du dispositif pour eux comme pour nous, enseignants, les ateliers relais sont inscrits pour l’an prochain dans une résidence « Enfants conférenciers » au Petit Palais. Ces résidences s’inscrivent dans le dispositif Enfants conférenciers du point de vue des grands principes qui le sous-tendent (inscription sociale et culturelle des apprentissages scolaires, principe d’une médiation entre pairs en musée, sorties scolaires autogérées placées sous l’entière responsabilité du professeur, pédagogie innovante…).

Elles sont organisées sur six séances (ou demi-journées) sous la conduite de l’enseignant. Au cours des séances, les élèves alternent déplacement au pied des œuvres et travail en atelier mis gracieusement à disposition par le musée. Chaque résidence donne lieu à au moins une médiation publique hors temps scolaire aux familles ou au public du musée.

Caroline Kovarski
Coordonnatrice de l’atelier relais du collège Janson-de-Sailly Paris 16e, partenariat Éducation nationale — Fondation des Apprentis d’Auteuil, et chercheure associée au laboratoire P2S (Université Claude Bernard Lyon 1)
Michèle Zurfluh
Coordonnatrice de l’atelier relais du lycée Émile-Dubois Paris 14e, partenariat Éducation nationale — association d’éducation populaire IFAC
Christophe Blanc
Conseiller pédagogique de circonscription, chercheur associé au laboratoire EDA (université Paris Cité), fondateur et animateur du dispositif Enfants conférenciers.

Sur notre librairie :

N°553 – Pédagogie de l’oral

Dossier coordonné par Peggy Colcanap et Hélène Eveleigh

L’oral a le vent en poupe! Quels outils utiliser pour aider les élèves à apprendre par ce biais ? Comment provoquer la prise de parole en classe ? Quid du bavardage ? Au-delà de ces pratiques, notre dossier aborde la question de l’évaluation de l’oral, de son rapport à l’écrit et des inégalités qu’il peut mettre en exergue.

Notes
  1. Voir Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin, 1938.
  2. « Le parcours citoyen de l’élève », Éduscol, mai 2023 : https://eduscol.education.fr/1558/le-parcours-citoyen-de-l-eleve
  3. Lire par exemple : Marianne Aurenche, Christophe Blanc, Agnès Bourbonnais, Géraldine Marchand, Martine Troisfontaine, « Enfants conférenciers, une communauté d’apprenants », Cahiers pédagogiques n°541, « Les tâches complexes à la loupe », décembre 2017 ; Thomas Autiquet, Christophe Blanc, Antoine Da Fonseca, Ilham Ettalhaoui, Anne-Cécile Jouffret, Xuan Nghiem, Patrick Nivet, Anne Pacra, Marion Siboni et François-Xavier Bernard, « Petits conférenciers : l’art du métier », Cahiers pédagogiques, septembre 2013. ; Enfants conférenciers, recension du livre de Christophe Blanc et François-Xavier Bernard, Cahiers pédagogiques, juin 2021.
  4. Voir la circulaire « Modalités de saisine et d’organisation des commissions académiques d’admission en dispositif relais », du 19 février 2021.
  5. Voir Albert Bandura, Auto-efficacité : Comment le sentiment d’efficacité personnelle influence notre qualité de vie, De Boeck Supérieur, 2019.
  6. Christophe Blanc, François-Xavier Bernard, Enfants conférenciers, Dunod, 2021, p. 1.