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Une pédagogie du projet

L’approche pédagogique de Germaine Tortel (1896-1975) reste aujourd’hui trop méconnue. Le texte ci-dessous en présente plusieurs aspects, et l’on trouvera un exemple de pratique dans l’article de Maëliss Rousseau également en ligne.

La pédagogie du projet dérive d’une certaine conception du citoyen que l’on veut former, qui participera à un projet de société. C’est pourquoi Germaine Tortel fait du projet une caractéristique essentielle de la pédagogie d’initiation.

L’enfant a ses projets, dont le premier, universel, est de grandir. Il appartient aux parents, et ensuite à ses enseignants, de l’aider à découvrir ses propres projets, à les formuler, à tenter de les réaliser, selon son âge, ses besoins, son environnement, sa propre personnalité, dans la mesure de ses possibilités. C’est le rôle de l’école, au sein de cette première société que constitue la classe, de lui apporter son soutien. Dans un climat de confiance, d’écoute et d’amitié, il apprend à détecter ses intérêts comme ses rêves, à se construire, à travers les obstacles qu’il doit franchir, à concevoir et réaliser des projets qui sont les siens mais ceux aussi du groupe où il apprend à vivre. En lui donnant le gout de l’effort, en le formant à la réflexion, à l’interrogation, à la recherche dans l’action, c’est l’école qui lui fait connaitre l’estime de soi, la joie de la réussite, la satisfaction du dépassement de soi.

La pédagogie du projet consiste en l’établissement d’un contrat avec les enfants, en la définition d’une tâche commune à court, moyen ou long terme à réaliser. Le projet est une réalisation collective, développée à partir d’une situation vécue ensemble d’où naissent des questions qui vont générer des recherches et parfois d’autres projets, laissant en suspens pour un temps le projet initial.

Cette pédagogie touche à tous les domaines, à toutes les disciplines, à la vie affective, sociale, intellectuelle, qui ne peuvent se séparer. Ces projets sont d’une grande diversité que nous pourrions grouper d’après leur nature, leurs fonctions, leurs objectifs, les multiples domaines auxquels ils touchent, leur valeur pratique, intellectuelle, culturelle ou sociale, philosophique, voire tout à la fois.

Naissance du projet

Le projet surgit, dans la classe, de la motivation créée par la mise en situation (les situations peuvent être provoquées, nées de la vie du groupe, fortuites). Les discussions sur les productions mettent l’enfant dans l’obligation de réfléchir aux problèmes qui se posent, et de les résoudre afin d’aller plus loin, vers le but convoité. Le projet surgit à condition que les circonstances touchent la vie affective de l’enfant, qu’elles aient une relation avec sa personne, qu’il se sente concerné et poussé à l’action. Nous pouvons parler de projets-problèmes, car chaque projet apporte avec lui ses problèmes, ses questions, ses interrogations, ses recherches de solution. À chaque enfant de lancer ses hypothèses, d’en discuter dans le groupe. Le projet appelle à l’écoute respectueuse de l’autre, à l’enrichissement par l’autre.

La préoccupation de l’enseignant pour la naissance du projet montre sa volonté préalable de s’engager dans la découverte, qui va déclencher à son tour l’engagement de l’enfant. Dans l’attente active de ce projet, le maitre cherche, il guette, il est prêt à accueillir, à saisir l’occasion favorable, à valoriser l’idée exprimée, à imaginer les circonstances à créer, à provoquer, étonner, intéresser et faire désirer l’approfondissement de la réflexion, faire partager et adopter par le groupe le projet naissant.

Qui ne voit l’importance de cette phase d’enfantement du projet ? La réussite de l’entreprise en dépend. Nul mieux que Germaine Tortel n’a insisté sur ce temps des ensemencements. Pédagogie de l’initiative, de l’incitation, de la provocation. L’enfant est investi. Chaque mot est un tremplin d’images et l’un d’entre eux déclenchera l’étincelle, cet ébranlement émotif qui est chez l’enfant la première forme de l’ébranlement gestuel.

Discussion collective

Un fois le projet lancé, comment le développer ? Tout d’abord, face aux problèmes qu’il pose, formuler ces problèmes, rechercher chacun sa solution, en discuter, la dialectique s’installe et le groupe va décider des actions à envisager : observation peut-être, information, constatation de notre impuissance et appel à l’aide, à celui qui sait ou qui sait faire.

La discussion collective où s’opère la confrontation des idées, où se forme le jugement critique constructif, dans cet esprit d’amitié et de confiance, constitue la forme privilégiée de la dialectique entre réflexion personnelle et réflexion collective. L’enfant baigne dans le langage, reflet de sa pensée, dont le groupe le nourrit et dont il nourrit le groupe. L’échange, le dialogue, la discussion, le langage est la modalité de travail. Il s’agit pour l’enseignant tout d’abord de témoigner d’une certaine intuition pour saisir ou provoquer l’occasion favorable, et, surtout, d’une grande confiance dans l’enfant, dans la certitude et l’attente de ses richesses, de ses paroles, de ses idées, comme de ses productions.

Pour que le projet existe, il faut écouter, comprendre, se mêler au jeu enfantin. Le maitre prend en notes ce que l’enfant lui dit pour l’explorer avec eux.

Mais c’est là que se pose aussi la nécessité, toute en délicatesse, de l’intervention de l’enseignant. C’est ce que, mieux que quiconque, Germaine Tortel a bien vu. Jamais pressante, toujours présente, l’enseignante organise la classe sous le double impératif de la sécurité et de l’incitation. Objets et images offrent une première invitation, une première initiation au projet. Celui-ci retenu et engagé, l’enseignante demeure disponible, elle répond aux demandes de matériel, donne des conseils, tempère les agités, encourage les hésitants, rappelle sans cesse l’objectif en soulignant ce qui a été fait. La place laissée à l’imaginaire, à la créativité, est importante. L’enfant produit de véritables œuvres à partir du moment où l’on essaie d’éviter les stéréotypes.

Ouvrant à tous les domaines de la culture, une grande place est donnée aux activités artistiques. L’enfant est nourri d’apports culturels de qualité, qu’il s’agisse de peinture, de musique, de contes, de poésie, dans un climat qui favorise la création.

Satisfaction et questions

La satisfaction obtenue, même toute relative et provisoire, stimule, fait entrevoir d’autres problèmes à résoudre, d’autres recherches à effectuer. La réponse à la question initiale apporte elle-même de nouvelles questions, engage dans un second projet. L’intérêt rebondit et l’action continue. C’est par la question et le questionnement, c’est par la dialectique incessante, par l’apport continuel de chacun et de tous que, d’étape en étape, la recherche va s’approfondir.

Le projet réalisé, sommes-nous pleinement satisfaits ? Advient toujours la prise de conscience de ;nos manques, de nos erreurs. Aurait-on pu aller plus loin et faire mieux ? La critique finale permet un retour sur le chemin parcouru, donc un retour sur soi, en même temps qu’un retour à l’origine du projet. Comment est-il né ? Par quelles étapes a-t-il fallu passer ? Quels problèmes ont été rencontrés ? Quels ont été nos raisonnements ? Formuler ces questions et apporter nos réponses permet des prises de conscience essentielles. La valorisation du travail accompli, par l’enfant comme par l’adulte, doit se vivre dans l’émerveillement et stimuler l’un comme l’autre pour de nouveaux engagements dans de nouveaux chemins.

Conscient de son rôle, l’éducateur cherche à proposer des situations susceptibles de conduire l’enfant sur des chemins d’accès à la connaissance. C’est un départ dans l’aventure. Il s’agit d’accompagner l’enfant sur son chemin de découverte, en lui laissant le temps de tâtonner, de faire des expériences. Tout repose sur cette relation de confiance entre maitre et enfant, qui doit s’établir dès le premier jour avec une grande disponibilité de part et d’autre. Ce qui est passionnant, dans cette pédagogie, c’est que le maitre, comme l’enfant, s’embarquent dans l’inconnu, et vivent ensemble de merveilleuses aventures bien imprévues au départ.

Blandine Tissier
Inspectrice de l’Éducation nationale retraitée

Pour en savoir plus

Jean-Charles Pettier et Paulette Clad, Un avenir possible pour l’école maternelle, Éditions Fabert, 2012.

D’autres articles sur la pédagogie de Germaine Tortel, dans les Cahiers pédagogiques :

Maëliss Rousseau, « Le mystère des enfants peintres », n° 517, « Tout commence en maternelle ».

Brigitte Charrier et Caroline Le Roy, « Médiations artistiques à l’école maternelle : des émotions à la pensée », n° 537, « Classes inversées ».

Maëliss Rousseau, « Germaine Tortel, toujours actuelle », n° 537, « Classes inversées ».