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Une histoire de rencontres et de territoire

Raconter le parcours de Stéphane Kus, actuellement directeur d’une école élémentaire à Saint-Priest (Rhône), c’est parcourir le chemin de l’éducation prioritaire avec les pionniers, les acteurs d’hier et d’aujourd’hui, ceux qui se préoccupent d’inventer pour une école réellement démocratique.

Il est devenu instituteur en 1993 ˗ « je tiens à ce mot instit, celui qui institue, institutionnalise » ˗ formé à l’IUFM de Lyon. « J’ai eu la chance d’avoir une majorité de profs issus de l’école normale, des gens venant du métier. » Cette culture professionnelle et pédagogique l’a nourri et lui l’a enrichie avec une licence de philosophie orientée vers l’art et l’esthétique, « par besoin de concepts pour mettre des mots sur le concret ».

Il débute en tant que remplaçant dans le secteur de l’adaptation intégration scolaire sur l’ensemble du département du Rhône. Son école de rattachement est un centre pour les handicapés moteur. Il enseigne aussi en classe de Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté), dans un Impro (Institut médicoprofessionnel). « Ça a été deux années folkloriques où j’ai sillonné le département en mobylette. Elles ont été très formatrices, notamment grâce à la directrice de l’école de rattachement. C’était des conditions extrêmes avec une équipe top. » Il a aussi beaucoup appris en enseignant en Segpa. « Je suis passé du sentiment de ne pas savoir faire à celui d’y arriver. »

Avec ces apprentissages acquis par les rencontres et sur le terrain, il pose ses bagages dans un territoire éducatif qu’il quittera peu, celui de l’éducation prioritaire à Saint-Priest, dans la banlieue lyonnaise. Il est nommé en CP, une classe laissée volontiers aux jeunes enseignants. « J’ai pratiquement toujours eu des CP-CE1. Je suis globalement à l’aise avec cet âge-là avec cette fraicheur, cette curiosité de tout découvrir. »

Relier la grande section et le CP

Avec deux collègues quasi débutants comme lui, ils travaillent en équipe, montent un projet de liaison avec les grandes sections de maternelle autour de l’écriture du conte, entrainant progressivement les enseignants plus chevronnés de CE1 dans le collectif. Il propose au professeur de la CLIS (classe pour l’inclusion scolaire) de mener ensemble les cours d’EPS et d’arts plastiques. De l’école Jules-Ferry, il passe à l’école Joseph-Brenier, y important le travail mené avant, sa guitare en bandoulière. « On a fait une chorale avec une intervenante du conservatoire pour faire la liaison grande section-CP. Mon dada, cette liaison. »

Il raconte l’effervescence pédagogique de cette école, appartenant à la première zone d’éducation prioritaire de la ville, avec des gens exceptionnels qui ont apporté leur pierre pour « créer une République libre dans l’Éducation nationale à Saint-Priest ». « Dans cette école, des histoires incroyables se sont construites. »

Il revient sur les années quatre-vingt pendant lesquelles des centaines d’enfants sont arrivés du Maghreb dans le cadre du regroupement familial. Ils ne parlaient pas français et des dispositifs ont été adaptés, voire inventés, pour qu’ils soient accueillis et apprennent dans l’école aux côtés des élèves français. « Les structures pour la scolarisation des enfants de migrants menaient des expérimentations avec les écoles. Au lieu d’intervenir le soir ou le mercredi, les ELCO (enseignants de langue et culture d’origine – recrutés, payés et encadrés par les pays d’origine) venaient sur le temps scolaire et s’adressaient à tous les élèves. »

Créer un site web

L’adaptation, l’invention, la créativité ont continué, perduré au-delà de ces années particulières. Stéphane Kus a apporté à son tour sa pierre, en explorant toujours et encore la liaison entre la maternelle et le CP, en créant un site web pour raconter aux parents la classe verte à la montagne où les élèves faisaient in situ de la géographie ou de la géologie.

Le site du centre Michel-Delay créé par Stéphane Kus.

Il accueille volontiers des stagiaires, partage ses initiatives lors de stages au centre académique Michel-Delay. « C’était le premier centre de ressources qui faisait des formations sur le thème de l’éducation prioritaire, cela a servi de modèle pour les futures formations REP+. Je participais à ces stages REP de quatre jours pour les enseignants du premier degré et des profs de collège. »

Appréciant les échanges avec ses collègues, il « commence à tourner en rond dans sa classe de CP », alors lorsqu’on lui propose un poste à mi-temps de maitre ressources TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement), il s’empare de ce nouveau métier avec curiosité.

Il accompagne les enseignants dans l’utilisation de l’informatique avec les élèves, crée des sites internet comme outil de liaison avec les familles. « On utilisait beaucoup les images, pour que les sites soient aussi un outil d’apprentissage et de réduction des inégalités. » En deux ans, quatorze écoles sur seize se voient dotées d’un site, la circonscription également.

Devenir coordonnateur REP

En 2007, il franchit le pas pour s’engager encore un peu plus dans l’éducation prioritaire, en devenant coordonnateur REP à temps plein pour les deux réseaux de la ville. Là encore, les rencontres, les partenariats donnent le la aux liaisons entre les niveaux et entre l’école et les parents, favorisent les initiatives et la créativité pédagogique. « Il y avait beaucoup d’innovations comme le projet théâtre initié au sein du REP Colette en 2004, un projet que j’ai contribué à étendre sur presque toutes les écoles du réseau dans le cadre de la liaison écoles et collège. Il avait notamment pour objectif de lutter contre les difficultés à l’oral et de développer l’estime de soi. »

Parmi ces initiatives, une recherche-action qu’il mène avec Marc Prouchet, formateur au centre Michel-Delay et initiateur de la démarche auprès des enseignants. « La recherche peut regarder ce qui se fait, partager et conceptualiser, faire des allers-retours entre temps en classe et temps de formation, sur un sujet qui soit un problème de travail. La recherche action durait trois ans en priorisant les temps de formation et d’échanges sur ces sujets-là. »

Les thèmes portaient sur des sujets concrets tels que la dictée coopérative, les rituels de grammaire ou les devoirs à la maison. Les résultats étaient partagés par les enseignants bénéficiaires du dispositif, au sein d’un forum qui au bout de trois ans réunissait quatre-vingt-dix personnes. « C’était la construction d’une culture commune, facilitée par les pilotes des deux réseaux d’éducation prioritaire de Saint-Priest. »

Dans ses activités de coordonnateur de REP, Stéphane Kus s’implique dans plusieurs initiatives locales en lien avec la lutte contre les discriminations, le décrochage scolaire et le lien avec les familles.

Lutter contre les discriminations

Il vient à plusieurs reprises témoigner à l’IFE-Centre Alain-Savary, qu’il rejoint en 2012 pour prendre en charge les dossiers sur la lutte contre les discriminations à l’école, l’éducation prioritaire et la question des partenariats. « J’étais impressionné, en me demandant ce que je faisais là en tant que petit instit, à parler devant plein de gens. »

Il apprend son nouveau métier aux côtés de Patrick Picard, responsable de la structure, et notamment à « dire des choses compliquées avec des mots simples ». Avec de multiples partenariats, il organise une conférence de consensus, met en place des formations de formateurs sur différents territoires où sont implantés des réseaux d’éducation prioritaire. « On formait ensemble les instits, les profs, les chefs d’établissements, les inspecteurs, les conseillers pédagogiques. C’était des formations intermétiers qui permettaient à chacun de s’ouvrir un peu pour parler des difficultés. »

Stéphane Kus est en détachement à l’IFE. Il ne sera pas renouvelé par le rectorat au bout de six ans. Il reprend le chemin de l’enseignement, les projets et partenariats qu’il menait se retrouvent en jachère. Son nouveau poste sera celui de directeur faisant fonction à l’école Gagarine de Vaulx-en-Velin, dans un réseau d’éducation prioritaire.

Gérer des crises

Là, il puise dans son expérience et ses connaissances en pédagogie, notamment institutionnelle, pour gérer collectivement les crises. « Je découvrais le boulot, celui prescrit par l’institution et celui prescrit par les collègues qui me voyaient conseiller principal d’éducation. »

Il se souvient des distorsions de conditions de travail entre les enseignants chevronnés à la tête de CP dédoublés et les plus novices en CM avec des effectifs à vingt-sept ; des enfants en situation de handicap ou des « gamins explosifs » qui étaient accueillis sans qu’une aide humaine n’ait été obtenue.

Il apprend, analyse, prend du recul, suit une formation de directeur. Il revient ensuite sur son territoire de prédilection, à Saint-Priest, où il prend la direction de l’école Édouard-Herriot. Il y termine sa quatrième année et a l’impression d’arriver un peu mieux à soutenir un cadre collectif pour gérer les problèmes de l’école, d’avoir vu aussi de nouveaux projets fleurir, de ceux qu’il promeut depuis le début de sa carrière pour amoindrir les discriminations scolaires.

Il continue d’apprendre au quotidien et de se former de façon plus formelle. Il a passé le Cafipemf (Certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur ou de professeur des écoles maitre formateur), avec comme thème de mémoire la formation des directeurs. « J’ai toujours ce besoin d’approche intellectuelle pour penser ce qui arrive. »

Et ainsi, dans cette circonscription, foisonnant d’expérimentations pédagogiques, il prend la suite de ses prédécesseurs dont il s’est inspiré. « Les histoires de personnes, de territoires, d’élèves, de parents, construisent le parcours », conclut-il.

Monique Royer