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Une conférence pour (presque) rien mais le débat continue !

e ministre Benoît Hamon, le 24 juin 2014, lançait une « conférence nationale sur l’évaluation des élèves ». Il déclarait : « L’évaluation doit permettre aux enseignants et aux enfants de mesurer les progrès accomplis et ceux qui restent à accomplir. Il faut qu’elle soit plus exigeante, qu’elle en dise plus, qu’elle soit bienveillante et qu’elle stimule au lieu de décourager […] La note doit être utilisée à bon escient. Elle est utile, mais quand elle paralyse, on doit lui substituer d’autres formes d’évaluation. On doit pouvoir apprendre et évaluer différemment comme avec les travaux personnels encadrés (TPE) par exemple, qui permettent de juger l’aptitude de l’élève à travailler de manière collective. »

En septembre 2014, les Cahiers pédagogiques consacraient leur billet du mois à cette conférence pour éviter de s’en tenir à l’équation : évaluation = notation.

Supprimer la note ou n’en faire qu’un élément de l’évaluation ?

La note fonctionne comme un thermomètre : elle ne dit pratiquement rien quand elle est bonne. Elle alerte puis décourage quand elle est mauvaise. Certes, elle permet de faire des classements qui sont à l’origine de notre système élitiste où l’on élimine progressivement les moins bons.

Alors, pourquoi la conserver maintenant que l’on veut garder tous les élèves jusqu’à 16 ans dans le système ? C’est un fait que l’on peut imaginer des classes sans notes : j’en ai vu fonctionner mais j’ai vu aussi le désarroi de professeurs qui ont été précipités dans ce qu’ils ressentent comme une aventure d’autant plus périlleuse que ni formation ni concertation n’ont préparé le passage de la note-sanction à l’accompagnement formatif des élèves. Nos amis genevois ont supprimé les notes lors de leur réforme de l’enseignement primaire mais une votation (un référendum d’initiative populaire) les a rétablies et le corps enseignant ne s’est pas dressé contre ce retour dans un environnement connu !

Il ne s’agit donc pas de supprimer tel ou tel moyen de communiquer une évaluation. Le projet devrait être d’utiliser ceux qui permettent la plus grande marge de progression aux élèves et qui évitent les dégâts psychologiques de l’échec, par stigmatisation et autodévaluation. Ce changement bouleverse tellement la conception de l’évaluation que les enseignants s’en dessaisissent en partie pour la confier progressivement aux élèves dans l’autoévaluation et la coévaluation, forts du principe que l’on ne sait bien que lorsqu’on sait évaluer la pertinence, la cohérence et l’efficacité de son action. L’autonomie si chère aux pédagogues ne se vérifie que quand les élèves sont en mesure de pratiquer l’autoévaluation. Pour être concret, on peut envisager d’accompagner la note de dispositifs divers qui la désacralisent, s’appuient sur le socle commun, permettent aux élèves de s’engager dans ce qu’ils font. Ils émettent alors des avis sur leur action et celle de leurs camarades dans une perspective de progrès. Ils dialoguent avec l’enseignante ou l’enseignant sur la pertinence de leur démarche, la validité de leur méthode ou la justesse de leurs résultats et ainsi les débarrassent du fardeau que représente le jugement négatif qu’ils n’aiment pas formuler. On passerait alors de la note comme unique (et pauvre) moyen d’information à toute une partition qui permettrait d’entamer le grand air de la symphonie évaluative, principale origine de la réussite scolaire, sociale ou professionnelle.

Richard Étienne

(Cahiers pédagogiques, n° 515, « Vers l’école du socle commun », septembre 2014)

Cette conférence s’est tenue les 11 et 12 décembre 2015.


Les recommandations de la conférence sur la notation

En février 2015, le jury de la conférence, présidé par le physicien Étienne Klein, remet son rapport. Parmi les sept recommandations qu’il fait, nous retiendrons plus précisément celles qui concernent de plus près la notation. Et les analyses faites par la conférence rejoignent celles que des Cahier pédagogiques et que nous rappelons dans ce dossier.

Voici ces recommandations :

  • Bien distinguer les modes d’évaluation en phase d’apprentissage : évaluation « formative » et évaluation « sommative » :

L’évaluation formative offre l’avantage de permettre à l’élève de prendre progressivement conscience de ses capacités et de s’appuyer sur elles. Par ce fait même, elle devrait limiter les situations de blocage qu’on observe lorsqu’un élève se croit définitivement rejeté par une matière ou une discipline, avec à terme le risque qu’il « décroche ».

Ce type d’évaluation ne nécessite pas de retour quantitatif sous forme de note ou de validation de compétences, mais des indications qualitatives sur ce qui a été réussi et sur ce qui ne l’a pas été, sur les causes des erreurs et les moyens de progresser.

Il s’agit donc d’une interaction plus ou moins formelle entre l’enseignant, l’élève et la classe, qui constitue un point de départ utile au travail de remédiation.

Le jury recommande que soient pratiquées ces deux formes complémentaires d’évaluation, mais il juge qu’elles ne doivent pas se contaminer l’une l’autre, et encore moins se mélanger. Si un élève réalise une mauvaise « entrée en matière », celle-ci ne devrait pas peser sur l’évaluation finale de ses acquis dès lors qu’il finit par parfaitement atteindre les objectifs qui lui avaient été assignés.

  • Abandonner la notation chiffrée à l’école élémentaire et en 6e

Généraliser l’abandon de la notation chiffrée tout au long des cycles 1, 2 et 3, classe de sixième comprise, et la remplacer par un autre type de codage reflétant la situation de l’élève dans le cadre d’une évaluation formative de ses compétences (on utilisera par exemple des échelles de performance).

Mais quelle que soit la forme qu’on choisira de leur donner, les évaluations devront quantifier un niveau de réussite avec plus de finesse que le tout ou rien : elles consisteront d’une part en une mesure, d’autre part en un message. C’est pourquoi le jury recommande qu’elles soient toujours accompagnées de commentaires qualitatifs qui leur donnent du sens et qui indiquent des pistes d’amélioration.

  • Quelques membres du jury sont pour le maintien de la note…

Les membres du jury qui ne sont pas d’accord avec cette proposition ont tenu à faire connaître leurs raisons :

– ils considèrent d’abord que la plupart des défauts de la notation chiffrée, à commencer par les biais qui l’affectent, se retrouvent dans la plupart des autres modes d’évaluation. Et qu’on mette un E ou un « non acquis » ou un feu rouge ou un smiley qui pleure, cela produit certainement sur l’élève à peu près le même effet qu’une mauvaise note ;

– on peut d’ailleurs toujours mettre en correspondance ces autres modes d’évaluation (y compris ceux qui visent à jauger le degré d’acquisition d’une compétence) avec une notation chiffrée ;

– ils considèrent enfin que l’abandon de la notation chiffrée pourrait ôter à l’image que l’on se fait de l’école une certaine « verticalité symbolique » que son statut républicain réclame pourtant.

Traduction de ce dernier point en langage semi-rural : l’abandon de la note porterait atteinte à l’autorité (et au « pouvoir » ?…) des professeurs…

  • Maintien de la notation chiffrée de la 5e à la terminale

La troisième proposition du jury consiste à faire du cycle 4 la période au cours de laquelle les élèves rencontreront pour la première fois la notation chiffrée.

  • Abandon des « moyennes »

La notation resterait subordonnée et indexée aux grilles de référence : chaque note attribuée devra correspondre à un niveau existant de la grille de référence.

Cette règle retirera toute pertinence au principe de moyenne, d’une part entre matières différentes (un 15/20 en mathématiques ne saurait, par le truchement d’une étrange somme, compenser un 5/20 en musique ou en français, et vice versa), et même au sein d’une matière donnée.

  • Modification conséquente des épreuves du brevet des collèges

En conformité avec les objectifs du socle commun et avec les modalités du diplôme national du brevet, le dispositif d’évaluation doit prévoir des formes d’évaluation diverses incluant l’oral, la conduite de projets, l’utilisation de l’environnement numérique, des écrits individuels et des travaux collectifs.

  • Pour le lycée, rien de nouveau…

Le jury recommande enfin que le cycle terminal du lycée conserve une notation plus traditionnelle, en lien avec les épreuves du baccalauréat, en pré servant cependant le lien avec les compétences, la distinction entre évaluation formative et sommative, et une certaine prudence vis-à-vis du principe de moyenne.

Tout ça pour ça ?

Mais le vendredi 13 février 2015 n’a pas porté chance à ce rapport : avant même qu’il ne sorte, la ministre Najat Vallaud Belkacem a prévenu qu’elle ne suivrait pas la recommandation préconisant de supprimer les notes chiffrées jusqu’en 6e

Notre conclusion (provisoire !)

Comme la langue pour le fabuliste Esope, la notation chiffrée peut être la meilleure et la pire des choses.

La pire, quand elle est utilisée comme une arme de « désinstruction » massive au cours de contrôles continuels qui découragent, blessent et éloignent des apprentissages et de l’école les élèves qui s’en vont grossir, chaque année, l’inacceptable cohorte des 150 000 mille décrocheurs et rejetés du système.

Une bonne chose – sinon la meilleure – quand elle est utilisée dans une perspective formative et informative pour encourager les apprentissages, pour mesurer une progression, une réussite, un score, un niveau, et qu’elle ne donne pas lieu ensuite à des opérations illicites où on fait la moyenne en additionnant chevaux et alouettes.

Cependant, le débat pour ou contre la notation chiffrée ne s’arrêtera pas là. Pour le clore ici provisoirement, on lira ci-après une analyse d’Alain Lieury, intitulée « Faut-il noter les élèves ? », où il indique l’intérêt qu’il y a à maintenir la notation chiffrée. Nous ajoutons à la suite de cette étude, l’opinion inverse d’un autre chercheur, Pierre Merle…

Richard Étienne et Raoul Pantanella