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Un robot qui chante

Depuis une dizaine d’années, je prends des cours de chant (variété) au conservatoire de ma ville. Ma relation avec mon professeur Laurent était jusque-là sympathique et cordiale.

Je suis quelqu’un d’assez réservé, mon hyperémotivité m’incite à un hypercontrôle. J’exprime plus facilement mes émotions dans l’écriture, à la guitare ou dans la danse, qu’à l’oral, où je suis très vite envahie par les larmes, dès que je laisse sortir ma colère, ma tristesse, et même ma joie.

Laurent me reprochait parfois d’être trop scolaire, de ne pas suffisamment lâcher prise lorsque je chantais. Laurent garde un mauvais souvenir de l’école, elle l’a écorché et il s’y est senti nié, on en parlait parfois, et il appréciait ma posture engagée et non conformiste.

En juin dernier, alors que nous avions fait des exercices d’échauffement avec des gammes à chanter, des mélodies à reproduire, des accords à analyser pour trouver les notes qui le composent, il me dit, pour complimenter ma précision : « Toi, ça se voit, tu convertis les notes en chiffres. » Je suis tombée des nues ! Je n’ai pas du tout pris cela pour un compliment. Pour moi, la musique, ce n’est pas des maths, ce sont des vibrations qui envahissent mon corps et mon cœur. J’ai réalisé à quel point Laurent avait plaqué sur moi sa représentation d’une professeure de maths, monstre froid et calculatrice ambulante. Cette image l’empêchait de voir la personne sensible que je suis.

Je me suis demandé comment faire pour briser la carapace dont il m’avait affublée. J’ai eu une idée. Je lui ai envoyé un mail intitulé « Moi » :

« Bonsoir Laurent,
Je me permets de t’écrire, car j’ai l’impression que tu vois en moi un être un peu robotico-mécanique (j’exagère surement un peu !), et c’est vrai que je suis dans la difficulté pour laisser paraitre mes émotions, non pas qu’elles ne soient pas présentes, mais parce qu’elles sont débordantes, et qu’inconsciemment, je les réfrène.
Du coup, j’ai eu l’idée ce soir de t’envoyer quelques textes que j’ai écrits au cours de ces quinze dernières années en atelier d’écriture et qui parlent de moi mieux que je ne saurais le faire.
Bises,
Monica
 »

Laurent a été touché par ma démarche, et il a aimé certains de mes textes. Je lui en ai envoyé d’autres. En cette rentrée, je trouve que notre relation a vraiment évolué ; elle est maintenant de l’ordre de l’amitié, et je la vis empreinte de beaucoup de complicité, de douceur et d’attention. La semaine dernière, je lui ai dit que j’allais à Paris participer à un atelier d’écriture avec le CRAP-Cahiers pédagogiques. Il était tenté de m’accompagner, bien qu’il n’ait pas l’habitude d’écrire, mais il n’était pas libre. Peut-être vous racontera-t-il bientôt sa version de cette histoire ?

Monica Levy-Kéloufi
Professeure de mathématiques à Magnanville (78)