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Un premier mini « choc PISA » en France

En 2000, contrairement à l’Allemagne, il n’y a pas eu de « choc PISA » en France. Si plus de 600 articles furent alors publiés dans la presse allemande, il y en eut à peine vingt-cinq dans les journaux français. Depuis, lentement, PISA devient un événement qui gagne en importance tous les trois ans ; en termes journalistiques, c’est devenu un marronnier.

Selon Éric Charbonnier, analyste à la Direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE, à la suite de décisions prises il y a seulement dix ans, on observe que des pays progressent nettement comme le Portugal, le Royaume-Uni, Macao, Singapour, la Pologne, l’Irlande et l’Estonie. Contrairement aux idées reçues, les progrès d’un pays ne sont donc pas nécessairement lents. Pourquoi la France ne serait-elle pas capable d’améliorer ses résultats comme d’autres l’ont fait ? Globalement, elle stagne, reste dans la moyenne, entre la 20e et la 25e place suivant les sujets évalués.

Les nouveautés à observer cette année sont les aspects qualitatifs car l’enquête a davantage pénétré les pratiques professionnelles des professeurs, ce qui invite les enseignants français à regarder PISA de façon qualitative. Les classements sont secondaires et ne fournissent que de saines alertes invitant à des analyses plus fouillées.

La France se distingue en étant le pays des grands écarts, l’un des plus inégalitaires, où l’origine sociale des élèves pèse le plus sur leurs performances. Parmi les élèves en difficulté, ceux issus de milieux défavorisés sont cinq fois plus nombreux que ceux des milieux favorisés. Les élèves très performants, sont issus dix fois plus de milieux favorisés que de milieux défavorisés. De plus, en vingt ans, si le niveau des meilleurs élèves a augmenté, celui des plus faibles a diminué. C’est hélas l’image que donne la France ! Enfin, il est confirmé qu’il y a moins d’ambition chez les élèves de milieu défavorisé.

Écartons quelques inévitables poncifs

Certains voient dans PISA un cheval de Troie. De qui ? De l’OCDE ? Dans quel but ? Avec autant de pays participants ? La France n’est-elle pas, elle aussi, impliquée dans la conception de l’enquête ? Aujourd’hui, l’époque encourage ce type d’attitude : sur le moindre sujet, même scientifique, des complots sont évoqués !

Beaucoup disent que l’on ne peut pas comparer ce qui n’est pas comparable, une affirmation qui relève du dogme. Le Canada[[Voir «Le Canada», in Administration et éducation, revue de l’AFAE, à paraître en 2020.]], très bien classé, compare régulièrement les résultats de ses treize systèmes éducatifs différents, dont quatre, au moins, sont notablement performants, d’ouest en est : la Colombie-Britannique, l’Alberta, l’Ontario et le Québec. Les Provinces savent bien pourquoi elles se livrent à ces bénéfiques comparaisons entre elles.

S’agit-il seulement de fournir aux politiques de chaque pays des éléments de discours venant en appui de leurs projets de réformes ? Si là n’est pas l’intention de PISA, c’est néanmoins l’usage planétaire qui en est fait. Après tout, est-ce ennuyeux ? Les chercheurs et autres experts ne voudraient-ils pas que les décideurs se réfèrent à leurs travaux ? Nul n’est seul propriétaire des résultats de PISA, chacun peut les étudier et en tirer les leçons qu’il considère comme pertinentes. Mais, reconnaissons-le, cela demande un gros travail car PISA n’est pas un simple classement, c’est une mise en corrélation de données diverses. Or beaucoup d’enseignants hésitent à se plonger dans cette lourde enquête qui demande du temps d’appropriation et contribue par la même à leur développement professionnel.

Biais et limites

Il y a dans PISA des biais méthodologiques, des limites, des parts d’ombre, c’est certain. Ni plus, ni moins que dans toutes les enquêtes, c’est la loi du genre. Mais PISA s’améliore de version en version et sa rigueur est reconnue. L’enquête s’est même employée à mesurer, pour les atténuer, les effets potentiels dus à l’usage de QCM (questionnaires à choix multiples), qui se sont avérés inexistants, n’en déplaise aux idéologues.

PISA, dit-on, ne tient pas compte des programmes français. Et alors ? Pas plus qu’elle ne tient compte de ceux des autres pays. Les programmes ne sont que des indicateurs de contenus à enseigner alors que l’enquête procède à une évaluation de compétences acquises par les élèves, ce qui est bien plus précieux. L’enquête ne vise pas à évaluer la faculté des élèves à reproduire ce qu’ils ont appris, mais leurs capacités à utiliser leurs connaissances dans des situations qui ne leur sont pas familières, en rapport ou non avec l’école, en rapport ou non avec les programmes. N’est-on pas friand de savoir ce qu’ont réellement acquis nos élèves ?

L’enquête PISA est conçue pour éclairer les décideurs de chaque pays, mais aussi, de plus en plus, pour venir en appui aux études des chercheurs qui ne disposent d’aucune autre base de données comparable. Disons-le, au XXIe siècle, que feraient-ils sans PISA ? Les recherches montrent l’usage quasi général qui en est fait.

Une plongée douloureuse dans le registre pédagogique

La publication des résultats de PISA 2018 le 3 décembre dernier a, en France, été précédée par une solide opération de communication et de pédagogie de la Direction de l’Évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) pour expliquer aux journalistes en quoi consiste cette enquête et ce qui peut en être attendu. Cela a eu un effet quantitatif et qualitatif.

Sur le plan quantitatif, dès la parution, les médias nationaux puis régionaux en ont parlé d’abondance, inévitablement en des termes proches les uns des autres car évoquant essentiellement les classements. Puis tous sont allés plus en profondeur. Ils n’ont alors pas retenu les mêmes éléments, en pénétrant, comme je vais le faire, dans le registre pédagogique jusque-là ignoré des commentateurs français. Une certaine diversité d’analyses fut ainsi au rendez-vous. L’ensemble constitue une riche photo utile aux enseignants, au moins pour ceux qui s’informent, veulent progresser en ajoutant ce sujet à ceux qu’ils utilisent classiquement et contribuer à faire évoluer leur difficile métier.

Pour les éclairer, l’enquête PISA renseigne sur le milieu d’origine des élèves, les dispositions vis-à-vis des apprentissages, leurs relations avec les enseignants et les autres élèves, les inégalités ethniques (sujet tabou en France), leurs parcours scolaires antérieurs et leur façon de se projeter dans l’avenir. Je ferai aussi allusion à deux autres enquêtes internationales dont les résultats viennent de sortir, TALIS[[Enquête internationale réalisée tous les 5 ans sous l’égide de l’OCDE, à partir de témoignages de professeurs et de chefs d’établissement sur leurs pratiques professionnelles et sur les conditions d’exercice de leur métier.]] et l’ICILS[[Évaluation internationale des élèves de quatrième en littératie numérique et pensée informatique, à laquelle la France a participé pour la première fois en 2018, au côté de onze autres pays et deux provinces. Cette enquête est menée par l’IEA, un consortium international indépendant regroupant des établissements de recherche nationaux et des agences gouvernementales, qui mène des études en matière de réussite scolaire depuis plus de 50 ans.]]. Des pays comme le Canada, la Finlande, la Corée du sud… arrivent à avoir de très bonnes performances couplées avec un haut niveau d’équité sociale, c’est donc possible, l’un ne se fait pas au détriment de l’autre. Pourquoi ne pourrions-nous pas le réussir nous aussi ? Et parfois ceci s’ajoute au bien-être des élèves.

L’Estonie, premier des pays européens, est aussi celui cité en exemple pour avoir le mieux réussi l’intégration du numérique dans la vie quotidienne de ses citoyens. Faut-il attribuer à cette révolution la réussite de ses élèves en termes de performance et d’équité ? Cela mérite une réflexion sur l’individualisation des apprentissages et des moyens pédagogiques disponibles.

Le style français

Le « style pédagogique » des enseignants français est plus centré sur la correction des erreurs commises par les élèves que sur la valorisation de leurs réussites. Cela les distingue des enseignants de nombreux autres pays. Roger-François Gauthier y voit la confirmation que notre école est rigide et qu’elle formate les élèves au lieu de les faire réfléchir[[Dans un article paru dans Le Monde du 9 décembre 2019, sous le titre « PISA nous révèle une école rigide, qui formate comme elle est formatée ».]].

Selon PISA, la France est championne du bruit en classe, du désordre et le bien être à l’école est très peu pris en compte. Peut-on continuer à dissocier, comme nous le faisons dans le secondaire, l’enseignement et l’éducation au sein de la classe, même si certains enseignants prétendent faire les deux ? Dans la majorité des pays, cela forme un tout et c’est la mission de chaque enseignant.

Toujours selon PISA, les enseignants français apparaissent aux élèves comme peu disponibles ; ces derniers ne ressentent pas leur soutien, sans doute parce que les professeurs sont peu formés à la gestion de classe. Les élèves ne se sentent pas accompagnés, y compris dans les établissements les plus élitistes.

Plus inquiétant encore : seulement 17 % des français pensent que les élèves respectent leur enseignants. La France est au 9e rang le plus bas.

D’après cette enquête, il y a en France ce qu’elle qualifie d’importants effets de genre qui ne figurent pas au centre de la vigilance des enseignants. Question de formation sans doute.

La récente enquête ICILS 2018 sur la littératie numérique fournit un classement des pays qui s’avère proche de celui de PISA, avec en tête la Corée du sud et la Finlande. Elle établit, elle aussi, que les différences de performances entre élèves au sein d’un pays, comme c’est le cas en France, sont plus importantes que les différences entre pays.

L’enquête TALIS 2018 qui porte sur les enseignants des pays européens montre que les professeurs français ont un sentiment d’efficacité pédagogique en diminution significative. Ils perdent leur confiance dans leur professionnalité, ce qui entraine un sentiment d’épuisement professionnel et des démissions. Ils s’estiment beaucoup moins bien préparés à leur métier (particulièrement pour faire face à des élèves en difficulté ou à des classes multiculturelles) que la moyenne de leurs collègues européens (elle-même plus faible que la moyenne de l’OCDE qui inclut les pays d’Asie et le Canada).

Quels leviers saisir pour remédier à cette situation ?

Évidemment, il n’y a pas de chemin unique vers l’excellence ; chaque pays choisi le sien, avec plus ou moins de bonheur. Les leviers ne s’opposent pas entre eux et l’on pourrait imaginer, pour la France, un mélange réfléchi de ceux qui semblent conduire au succès. Cela confirme le besoin de renforcer le volet pédagogique dans la formation initiale des enseignants français et de développer une formation continue (actuellement quasi défunte !) d’ampleur et de qualité suffisantes.

L’attractivité du métier d’enseignant est l’un des problèmes majeurs de notre époque : il n’y a pas assez de candidats, peu d’étudiants de haut niveau (ils font d’autres choix professionnels) et on observe beaucoup de démissions dans les premières années d’exercice du métier, même en Suisse alors que les enseignants sont beaucoup mieux payés que les nôtres. Demandée par certains, l’amélioration des salaires n’est donc pas la panacée. Le Luxembourg qui paye à ses enseignants les salaires les plus élevés d’Europe est aussi le pays qui a les plus mauvais résultats !

Le Royaume-Uni a investi dans la formation à la gestion de l’hétérogénéité et de la diversité au sein de la classe. Cela semble lui avoir été bénéfique.

L’Estonie, 5e dans le classement, devant le Canada, a fait le pari de la petite enfance et verse des primes aux enseignants des zones rurales s’ajoutant à une revalorisation générale. Nous l’avons dit, ce pays aussi réussi une implantation générale du numérique dans sa société qui n’est sans doute pas étrangère à ses rapides progrès scolaires.

Le Portugal (qui a augmenté son score de vingt-deux points) a fait porter ses efforts sur la cohérence entre la classe et l’extérieur de l’école (implication des acteurs sociaux et des parents d’élèves). Les résultats sont au rendez-vous.

L’Irlande s’emploie à tout évaluer (comme le Canada) et son système éducatif s’en avère très performant.

Singapour a fait des efforts considérables sur la formation initiale des enseignants et leur développement professionnel. On connait ses brillants résultats.

Et nous, qu’allons-nous faire ? L’essentiel se joue dans la classe, mais à condition que l’évaluation permette aux professeurs de s’engager dans un cercle vertueux de bonnes pratiques. Les solutions sont pédagogiques, complexes et entre les mains des enseignants.

Alain Bouvier
Ancien recteur. Professeur associé à l’université de Sherbrooke


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