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Un cadre pour l’inclusion des élèves en situation de handicap

La seule présence en classe d’un nombre croissant d’élèves en situation de handicap ne garantit pas leur accès aux apprentissages. En quoi l’approche par compétences peut-elle être plus inclusive ?

À l’heure où l’école s’ouvre massivement sur l’altérité, l’enseignement de l’EPS se trouve fortement interrogé. Penser cet enseignement uniquement sous l’angle de l’adaptation des activités physiques ne suffit plus, surtout lorsqu’il concerne des élèves en situation de handicap. Nous voulons montrer qu’un enseignement structuré des compétences en EPS est en mesure de garantir cet accès à tous. Quelles compétences, quels enjeux éducatifs, quelles mises en œuvre envisager ? Et en quoi une telle démarche est-elle plus inclusive qu’un enseignement uniquement centré sur les Apsa ?

L’adaptation des situations d’activités physiques n’est plus l’unique levier sur lequel l’enseignant peut agir pour inclure un élève en situation de handicap en EPS. Rendre accessibles les compétences des programmes nécessite en amont de réfléchir et d’agir sur la démarche d’enseignement Arip, situations de handicap en EPS, disponible sur le site de l’équipe départementale EPS du Rhône, et pour cela :

  • identifier les compétences dans les programmes ;
  • les interroger, car de l’analyse de leur libellé découlent des enjeux éducatifs, c’est-à-dire le sens de ce qu’il y a à enseigner et apprendre ;
  • définir des contenus d’enseignement et d’apprentissage en termes de connaissances, de capacités, d’attitudes et de motivations prioritaires ;
  • structurer l’acquisition de ces compétences par une démarche qui les met étroitement en lien avec des acquisitions dans d’autres domaines disciplinaires : la maitrise de la langue et le vivre ensemble notamment.

Pour expliciter notre démarche, nous avons choisi de l’illustrer à partir de l’analyse de la compétence 3, « Coopérer ou s’opposer individuellement et collectivement » au cycle 3 :

À l’issue de cette analyse, il revient au maitre de faire le choix de l’activité physique support. Il semble par exemple trop complexe de mettre en œuvre un enseignement de cette compétence dans le cadre l’Apsa Basketball avec un élève atteint d’une déficience visuelle en classe de CE2. La situation d’interpénétration des joueurs sur l’espace de jeu est trop complexe pour que ces enfants participent et apprennent. Dans une démarche inclusive, l’enseignant qui avait pensé initialement utiliser cette Apsa va réinterroger les éléments constitutifs de la compétence, pour proposer un module d’enseignement dont les activités supports seront accessibles à tous les élèves. Ce qui prime, en CE2, c’est d’apprendre à jouer ensemble, à partager un espace, une règle et des relations. Plus précisément au cycle 3, les objectifs seront :

  • apprendre à organiser le jeu (connaitre le dispositif, les rôles, les règles du jeu) ;
  • apprendre à gérer collectivement les résultats sur un plan relationnel et affectif ;
  • envisager de progresser collectivement dans le jeu.

De cette manière, la définition préalable des contenus d’enseignement de la compétence permet à l’enseignant de choisir une activité support qui se prêtera au mieux aux adaptations nécessaires à l’élève en situation de handicap. Dans notre exemple, nous avons choisi le Torball. Cette APS est issue du champ sportif du handicap et peut facilement être mise en œuvre avec des classes, le matériel se limitant à six foulards pour les yeux, une cordelette, un ballon sonore et des tapis.

Le jeu se joue à trois contre trois. Chaque joueur dispose d’un masque opaque sur les yeux, les rendant aveugles. Les joueurs doivent, à l’aide d’un ballon sonore, marquer un but en l’envoyant depuis leur camp. Le tir, pour être valable, doit passer sous les fils sonores tendus au niveau du milieu du terrain. Les joueurs en défense attendent sur leur tapis d’orientation que le tir soit déclenché. À partir de ce moment, ils peuvent agir pour empêcher le ballon de pénétrer dans leur but. Avec des élèves de cet âge, il est utile d’organiser le ramassage des ballons (quatre élèves) et l’arbitrage (deux élèves).

Cette APS tient compte des ressources de l’élève atteint d’une déficience visuelle, mais permet aussi à tous de développer des compétences. Sur le plan des capacités motrices, l’ensemble des capacités attendues pour le cycle 3 est mis en jeu par les élèves. Se reconnaitre attaquant ou défenseur en fonction de la possession ou non de la balle incite à adopter des postures et des attitudes propres à lancer la balle vers le but ou à l’arrêter. Ce jeu offre la capacité à enchainer une réception (défense) et un tir (attaque) de manière rapide, créant une incertitude propre à mettre en danger l’adversaire. Enfin, des alternatives simples de jeu existent : réceptionner et tirer, ou réceptionner, passer et tirer.

Le Torball s’apparente aux autres jeux de renvoi que peuvent pratiquer les élèves de cycle 3 : jeux traditionnels de renvoi du type « balle au prisonnier », « les aigles et les messagers » ou des jeux sportifs type volleyball ou de raquettes. Il a l’intérêt de tenir les deux bouts de la chaine inclusive : tout d’abord permettre à tous les élèves de cette classe l’acquisition de la compétence « coopérer ou s’opposer individuellement et collectivement », et ensuite, inclure l’élève en situation de handicap, qui accède ainsi pleinement à cet apprentissage. Le choix de cette activité « supprime la différence », car l’ensemble des élèves se retrouve avec la même limitation. L’élève en situation de handicap se retrouve joueur, comme tous ses camarades. Dans ce cas, ce sont les élèves valides qui accèdent à des sensations et des perceptions nouvelles. Ce choix favorise l’empathie et une meilleure compréhension des élèves vis-à-vis de leur camarade en situation de handicap.

Penser l’enseignement de l’EPS comme une démarche visant à l’acquisition de connaissances, capacités et attitudes en relation avec les grands enjeux éducatifs d’une compétence, contextualisées au niveau de développement des élèves, permet des choix d’APS support plus ouverts. Elle est souvent moins discriminante pour les élèves en situation de handicap. Comprenons bien qu’il ne s’agit pas de s’affranchir de la confrontation aux différentes activités physiques et sportives au profit d’une « gymnastique des compétences », mais bien de réfléchir au choix des APS qui permettront d’enseigner les contenus de la compétence, en tenant compte des capacités et des limitations de l’élève en situation de handicap. Cette réflexion et cette dynamique évitent des choix malheureux, qui réduisent parfois l’élève en situation de handicap aux tâches d’organisation ou, pire, l’exilent dans la salle informatique. Cette méthodologie permet également une évaluation des items de la compétence commune à tous les élèves et jette les bases d’un enseignement inclusif à l’école primaire.

Paul Bouvard
Conseiller pédagogique de circonscription EPS dans le Rhône
Frédéric Meynaud
Enseignant spécialisé, directeur d’école
 ZOOM
L’inclusion scolaire
Le concept d’inclusion scolaire est bien souvent confondu ou remplacé par celui d’intégration scolaire. Même s’ils ne sont pas complètement opposés, ils invitent à des postures d’enseignement différentes. Intégrer un élément à un groupe, c’est l’adjoindre à cet ensemble et postuler que sa seule présence lui permettra de se transformer au contact de ce groupe, pour en devenir un membre à part entière. L’élément extérieur « mis dedans » est appelé à s’ajuster à un système préexistant, à se normaliser. Ici, ce qui est premier, ce sont les difficultés d’adaptation d’un individu. On voit bien la transcription que cela peut prendre sur le plan scolaire et particulièrement en EPS, où l’élève en situation de handicap subit une programmation en termes d’Apsa, quelquefois fort éloignée de ses capacités. Son accès à la maitrise de la compétence telle que définie dans les programmes passera par l’adaptation de la situation d’apprentissage qui pourra, dans certains cas, dénaturer les contenus enseignés. Par contraste, il y a inclusion lorsqu’une organisation sociale se fait flexible et modifie son fonctionnement. Là, ce qui prime, c’est l’action sur le contexte. Pour inclure un élément à un ensemble, c’est le groupe qui modifie ses propriétés pour adjoindre cet élément. Sur le plan scolaire, l’école modifie sa structure (au niveau matériel, humain, pédagogique, didactique, administratif), pour rendre possible la scolarisation de l’élève en situation de handicap et lui offrir une trajectoire scolaire. Bien que l’objectif de toute scolarisation vise à une modification de l’élève, ce n’est plus le préalable et l’unique mode de son admission. En EPS, cette posture s’organisera autour de la mise en œuvre du projet personnalisé de scolarisation de cet élève, qui donnera au professeur les informations nécessaires à son enseignement, notamment en ce qui concerne ses aptitudes et ses limitations. L’enseignant pourra alors construire sa programmation en fonction de ces paramètres et des compétences à enseigner.