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Un an de premières fois

Voici un an que je suis devenue inspectrice de l’Éducation nationale, après avoir été rédactrice en chef des Cahiers pédagogiques. Un an intense d’apprentissages, d’étonnements, de découvertes et de rencontres.

Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est le nombre de situations à gérer qui tombent en deux heures certains jours. Chaque situation doit être traitée avec précision, sans retard, sans oubli, mais sans courir. Et comme une situation à suivre est toujours prise au milieu de dizaines d’autres, un nouveau fil risquait d’en chasser un autre et je devais inventer des manières de tenir de plus en plus de fils en même temps, sans les emmêler, sans en perdre non plus. Maintenant, j’ai mes Post-it, mes Notepad, mes Padlet et le creux de ma main. Le problème, c’est que je crois que j’aime bien, ça, le métier à tisser.

Le plus difficile : je ne m’étais jamais retrouvée face à autant de situations de gens en détresse, enfants ou adultes. Je me suis dit dans un premier temps que je n’étais peut-être pas assez forte pour le supporter. Aujourd’hui, je suis davantage dans l’idée que si je peux être utile ici, alors c’est bien. Que c’est même très bien, parce que j’entrevois que c’est un beau métier, où l’on peut aider, écouter, accompagner, consoler, encourager, donner de l’espoir. À condition de trouver la bonne place, celle où l’on peut supporter sans porter.

Le plus drôle, c’est le jour où quelqu’un m’a dit : « Vous, vous avez une tête d’inspectrice ! » Je ne m’étais pas aperçue qu’elle avait poussé, cette tête. Le chignon, la veste noire, les chaussures à talons, je n’aurais pas cru, mais c’est bien pratique, bien protecteur. Surtout dans des réunions en forme de jeu de chamboule-tout, pour ne pas tout prendre en pleine face.

Ce qui m’a pris le plus de temps, c’est la préparation de la formation cycle 3. Chercher l’entrée dans les nouveaux programmes sans en avoir la clé, lancer des échanges avec des gens qui avaient participé à leur conception, avec les chefs d’établissement dès novembre, avec ceux qui allaient les mettre en place, avec toutes les équipes des circonscriptions dans un grand brainstorming. Et puis préparer les trois heures de formation du mercredi 9 mars comme un spectacle lorsque j’étais professeure d’éducation musicale, jusqu’à la tombée du rideau.

Le plus réjouissant : Il est 8 h 30. Deux petits yeux endormis entrent dans la classe, tenant la main de papa et l’oreille de doudou. La maitresse est là, elle dit « bonjour, comment ça va Mehdi ? ». Elle est toujours là, la maitresse. À se demander si elle ne dort pas dans l’école. Les petits yeux endormis marchent à pas raccourcis vers la construction commencée la veille, un château rouge avec une tour plus haute que les nuages. Et les enfants continuent d’arriver, et la maitresse continue d’accueillir les histoires de tourterelles, d’écouter les mamans qui racontent le rhume de la veille. Et soudain, une petite fille s’approche et glisse sa main dans la mienne : « Comment tu t’appelles ? » Et puis, une autre petite main dans mon autre main : « T’es belle. » Une inspectrice, ça fait encore peur aux maitresses, mais au moins ça ne fait pas peur aux petites filles.

Ce qui me donne le plus envie de continuer, c’est le travail avec les autres. Avec l’équipe de circo, dans l’intime des situations, avec les collègues IEN (inspecteur de l’Éducation nationale), qui savent plus vite, plus surement que moi. Avec les IPR (inspecteur pédagogique régional) que j’ai appris à connaitre chez les stagiaires. Avec les chefs d’établissement, avec les directeurs, je compte sur eux, ils comptent sur moi. Avec les enseignants. Se donner mutuellement du pouvoir d’agir.

Christine Vallin
Inspectrice de l’Éducation nationale dans le Nord