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Trois mesures pour lutter contre les inégalités
L’article signé Philippe Watrelot a été publié sur AlterEcoPlus, mais voici la réflexion collective qui a mené à ce texte.
Sylvain Connac
- Proposer des modalités d’évaluations éducatives, c’est-à-dire, qui permettent aux élèves qui réussissent d’être reconnus dans leurs compétences et à ceux qui ne réussissent pas de premier coup de pouvoir reprendre leur entraînement et repasser ultérieurement une évaluation similaire
- Équilibrer l’emploi du temps scolaire des élèves entre des temps de travail collectif et didactique (gérés par un enseignant qui favorise une construction des apprentissages par de la confrontation entre pairs, du déséquilibre et de la transmission) et des temps de travail personnel (où chaque élève se trouve face à un travail à sa portée, qu’il peut réaliser seul ou avec d’autres) – développer des dispositifs de personnalisation des apprentissages.
- Favoriser des situations de travail authentique, alimentées par l’autonomie et la responsabilité des élèves. Cela passe par une distinction opératoire entre tâche et activité, le but de l’école n’étant pas seulement d’effectuer des tâches mais de ne les considérer que comme des moyens qui permettent de s’engager dans des activités faisant sens quant aux apprentissages induits. Avec les élèves les moins « initiés scolairement », médiatiser la prépondérance de l’apprendre sur le faire.
Jean-Michel Zakhartchouk
- Oser aller jusqu’au bout de la distribution des moyens en fonction des inégalités existantes, ce qui implique d’enlever un peu au riche Paul pour en donner un peu au pauvre Pierre (un raccourci bien sûr, mais quand même !)
- Former vraiment les enseignants à la prise en compte dans leur pédagogie des inégalités culturelles, pas pour « rabaisser le niveau » mais pour cesser l’hypocrisie du « tous pareils », les former à ne pas être indifférents aux différences.
- Établir des liens entre les savoirs de l’école et les savoirs extérieurs, y compris dans les programmes, afin de valoriser des talents en sommeil.
- Réduire les effectifs par classe. Moins d’enfants = > moins de bruit, plus de temps, moins de stress pour tous, plus de disponibilité et d’écoute de chacun = > meilleure qualité des conditions d’apprentissage et d’autonomie = > plus de possibilités pour porter attention aux élèves en difficulté.
- Remettre en place et renforcer les systèmes type Rased. Lorsqu’un élève est en difficulté, il ne doit pas être pris en charge des mois plus tard voire des années, mais immédiatement. Plus l’intervention est rapide plus l’aide mise en place sera efficace.
- Mettre en place des modes d’évaluations qui rendent les élèves non plus consommateurs de notes mais acteurs, que ce soit des outils pour les aider à estimer leurs domaines de compétences et de performances et ceux qu’ils doivent améliorer. Ne pas s’arrêter à changer les notes par des lettres, des couleurs, des gugusses qui rigolent etc… qui ne sont que des faux-semblants, mais que le changement se fasse en profondeur.
Guillaume Touzé
- Prendre au sérieux l’éducation prioritaire en tenant bon sur la fin du saupoudrage des moyens…
- Prendre au sérieux l’autonomie des établissements en leur donnant la possibilité de se fixer des objectifs.
- Prendre au sérieux la notion de culture en la revisitant sans culte du passé.
Yann Forestier
- La redéfinition du curriculum en terme d’objectifs transdisciplinaires de fin de cycle pluriannuel et non plus en terme de contenus (ou même de compétences) disciplinaires annuels, ce qui implique de revoir aussi les examens, qui comporteraient du coup des épreuves basées sur la présentation de travaux personnels (comme cela se fait dans le technologique et le professionnel sans jamais avoir ému personne) et des épreuves transdisciplinaires, les TPE et l’histoire des Arts étant de ce point de vue des ébauches intéressantes. Une telle définition du curriculum obligerait les enseignants à travailler en équipe et à distinguer l’essentiel de l’accessoire.
- La refonte du système de mutation des enseignants pour favoriser la constitution d’équipes stables autour de projets, la sécurisation du parcours des enseignants débutants et l’évolution des enseignants expérimentés vers l’éducation prioritaire.
- Une réorganisation de la formation et du recrutement des enseignants, qui consisterait à rééquilibrer les moyens en faveur de la formation continue, à placer le concours en début de master, à ne pas mettre de stages en responsabilité au cours de l’année qui suit le concours, à organiser l’essentiel de la formation continue dans les établissements.
- Organiser des États généraux de l’école fondamentale, qui consisteraient à demander à chaque organisation représentée au Conseil supérieur de l’Éducation de proposer un modèle pour l’école de 6 à 16 ans, l’État leur donnant les moyens de mettre en débat, de manière contradictoire, ces projets, sur le terrain, après quoi la ministre trancherait. L’idée est ici de s’inspirer de l’Appel de Bobigny ou du groupe « De l’ambition pour la réforme des lycées », qui ont fait des propositions globales et positives en rassemblant des organisations représentatives. À la faveur d’États généraux de l’école fondamentale, on mettrait les conservateurs dans l’obligation de faire aussi des propositions et d’entrer dans le débat. À nous après de faire le nécessaire pour que ce soit notre modèle qui gagne, mais à choisir, j’aimerais autant la victoire du projet Snalc/Sauver les lettres/Société des Agrégés (/SNES ?) que le statu quo, car le pire est l’incertitude.
Gwenael Le Guével
- Former les enseignants pendant (au moins) deux ans après la licence. Formation construite autour des trois points de Sylvain Connac.
- Comme l’écrivait Meirieu « nous sommes girondins sur les finalités et jacobins sur les modalités ». Il faudrait faire le contraire.
- Changer de mode de gouvernance (écoles, établissements, inspections, rectorat, Élysée) afin que ce ne soit plus ceux qui ont les mains sur les freins qui donnent le rythme et que la coopération prenne le pas sur la compétition (entre enseignants pour commencer, pour qu’il puisse ensuite l’enseigner aux élèves…).
Jean-Pierre Fournier
- Inscrire la lutte contre les inégalités comme point central et incontournable de la formation initiale et continue, ainsi que dans le référentiel des enseignants ; faire que pas un enseignant ignore ce qui est et ce qu’on peut faire contre (la palette étant large et le choix des armes possible et souhaitable) ; en fait, faire que la lutte contre les inégalités ne soit pas un « plus » rhétorique, mais une condition pour être enseignant (de même que ne pas être raciste, violent etc.) ;
- Aller dans le sens dans le sens actuel affiché depuis peu par la ministre pour l’attribution des moyens, mais également à l’échelle des niveaux d’enseignements (moins au lycée, plus au primaire) ; ce qui revient aussi à mettre en cause les filières dites d’excellence (langues rares, établissements qui choisissent leurs élèves), et le privé ; on sait que Savary s’est cassé les dents sur ce réel mammouth et que Peillon a reçu l’ordre de reculer sur les prépas mais est-ce une raison pour abandonner à tout jamais ? Si au moins on posait le problème…
- Faire de tous les parents « et d’abord ceux qui sont les plus éloignés de l’école » des partenaires : tâche de longue haleine et qui nécessite de changer de langage.
Jean-Yves Roux
- Que le premier critère des enseignants soit la distance (au moins pour la Province, en Ile-de-France peut-être faut-il dire « le temps domicile/travail » ?). C’est ce qui rend la vie (de famille en particulier) possible. Les autres critères (niveaux, projets, types d’établissements) n’arrivent en débat que quand le premier est réglé.
- Que les affectations « sur profil » (quelle que soit la façon de définir le profil) dans ce cadre-là sont souvent détournées au profit du premier critère.
Évelyne Clavier
- Qu’elle soit bienveillante et inclusive et pas que dans les textes de loi de refondation de l’école
- Qu’un leadership pluriel se mette en place dans les établissements scolaires et dans les classes en vue d’une organisation plus démocratique
- Que le CRAP et la FCPE se marient ou se pacsent et aient beaucoup d’enfants.
Sylvie Abdelgaber
À mon avis, l’urgence est de mettre nos cadres intermédiaires en meilleure position pour faire du bon travail. Les encourager gentiment mais fermement à garantir et autoriser un travail créatif des enseignants. Ce, de trois manières :
- Donner « des points » (pour leurs mutations ?) aux chefs d’établissements qui peuvent faire la preuve qu’un travail d’équipe a lieu dans leur établissement, dans les équipes disciplinaires qu’ils encadrent pour les inspecteurs.
- Faire des évaluations d’établissement, du travail des établissements (contre les inégalités) et non des personnes. Former les personnes, cadres et autres, au travail collaboratif, et à la non-violence.
- Peut-être même une mesure qui sépare moins les tâches, par exemple : Donner plein de points à des chefs d’établissements, ou des inspecteurs, qui gardent une classe, une fonction enseignante. (en échange les enseignants volontaires pourraient prendre part à la fonction dirigeante ? Une part administrative ? Évaluative ?)
Laurence de Cock
- Comme beaucoup d’entre vous, j’abonde mille fois sur la question de la formation des enseignants. Il faut exiger une solide formation en amont ou en aval du recrutement (concours ou pas) sur cette question des inégalités, notamment via une connaissance de l’histoire et de l’actualité de pédagogie, ainsi que par le biais d’UE de sociologie de l’éducation et sociologie du curriculum (car il y a aussi dans les disciplines que l’on enseigne, des ressources proprement disciplinaires qui permettent d’interroger la problématique de reproduction des inégalités).
- Sur les réformes structurelles, je ne me prononcerai pas sur l’« autonomie » que vous appelez toutes et tous de vos vœux mais dont je vois toutes les limites lorsqu’elle est portée par des logiques de pilotage néomanagérial, me sachant minoritaire sur ce point. Je me permets toutefois de réclamer une répartition des tâches plus saines et justes entre la fonction évaluative de l’État et sa fonction prescriptive. Il me semble urgent de réclamer un organisme indépendant d’évaluation qui ne soit soumis à aucune pression de prévision budgétaire comme peut l’être la DEEP. Une sorte de cour des comptes de l’école qui s’autosaisisse sur les questions liées à l’éducation, comme celle, urgente, de l’éducation prioritaire pour laquelle, actuellement, les indicateurs et les distributions de moyens, restent – n’en déplaise à certain.e.s- très opaques et inégalitaires, y compris dans la nouvelle carte.
- Enfin, je me prononcerais pour une plus forte coopération entre le monde de la recherche sur l’éducation (dont 80 % des travaux portent tout de même sur la question des inégalités) et celui de l’institution. Là encore, je ne vois cette coopération que sous une forme indépendante et horizontale. Les chercheurs doivent rester libres de leurs objets et de leurs méthodes et ne peuvent pas se mettre au service de l’institution en répondant à des commandes. En revanche, ils ont la responsabilité (publique) de faire connaître leurs travaux et d’en dégager le potentiel politique. De leur côté, les responsables politiques et les cadres seraient fortement incités à s’appuyer sur des travaux existants. À ce propos, je trouve pour ma part absolument atterrante la formation proposée à l’ESEN aussi bien pour l’inspection que pour les futurs chefs d’établissement. Je ne vois pas bien en quoi ceci par exemple (tiré du dernier BO en PJ, certes au milieu d’autres axes) pourrait vraiment aider en quoi que ce soit sur la question des inégalités.
Élisabeth Bussienne
- Avoir de la formation initiale et continue, pas l’ersatz qu’on fait en ce moment, une formation qui inclurait de la sociologie de l’éducation, une réflexion sur le rôle de l’école quant aux inégalités, une réflexion sur « l’égalité des chances », bref ce genre de choses pour la théorie, la différenciation pédagogique et ses outils pour les aspects plus pratiques. Sans oublier la formation des cadres !
- Une affirmation politique forte que le rôle de l’école est de lutter contre les inégalités. Une volonté politique forte et réelle de le faire.
- Faire des mesures de lutte contre les inégalités dans les projets d’établissement et des résultats de leur mise en œuvre un élément d’évaluation des établissements. Trouver des personnes-ressources pour aider les établissements qui n’agissent pas en ce sens.
Françoise Colsaet
Plus largement, il faut orienter le métier vers des façons de travailler différentes, ce qui recouvre : une vraie formation continue, non pas tant universitaire (pas trop d’accord avec les propositions de Laurence) que sous forme de travail en équipe accompagné par des praticiens compétents, obligatoire, avec du temps pour cela, et une valorisation professionnelle de ces formations ; et ceci pas plus pour les chefs d’établissement que pour les profs (et les autres) (pas trop d’accord avec Sylvie non plus sur son insistance sur les chefs d’établissements). Mais aussi, la mise en place (comme cela commence à se faire) de structures de lien et de travail commun (école-collège-lycée ; parents-profs- CPE-COP ; établissements-ville ; etc.) ; et ce que dit Yann sur le curriculum ; et aussi un travail de fond pour une évolution raisonnée et progressive vers une vraie autonomie des établissements qui doit être réelle et pas factice, et les responsabiliser au lieu de les paralyser, et ceci, même si au début, ça risque d’être rude. Ça a quelque chose à voir avec ce que Gwenael appelle changer la gouvernance, et avec la question des mutations, du jacobinisme, etc. et de l’évaluation des établissements évoquée par Élisabeth.
Sur la formation, j’ajouterais se donner le moyen d’ouvrir plus largement le recrutement à des étudiants issus de milieux modestes, c’est-à-dire le prérecrutement payé ; mais bien sûr avec le contenu de la formation revu dans le sens évoqué par Élisabeth et autres…
Sur la question des mutations, le critère temps de trajet (qui est en province comme à Paris, la bonne façon de poser la question, plus que la distance : il y a des 30 km en 30 min et des 30 km en 1h et plus, en province, aussi) est important, mais je crois que les critères « collège ou lycée » et « établissement « dur » ou pas », l’est aussi. Pour résumer, je connais pas mal de collègues (dont les agrégés, 9 sur 10) qui préfèrent un lycée « tranquille » à 80 km plutôt qu’un collège plus ou moins dur à 5 km.
On peut à ce propos penser à une unification des grades (dit autrement, suppression de l’agreg pour le secondaire, cela suppose des discussions et des mesures sur 10 ou 15 ans, mais si on l’avait fait il y a vingt ans, en redéfinissant les services et les missions, on aurait bien fait, alors pourquoi attendre encore).
Raoul Pantanella
1. Pour les établissements REP, en plus des moyens (ce n’est pas un gros mot) déjà prévus :
- Nommer à leur tête, sur un contrat d’au moins six ans, des principaux comme Philippe Pradel ou des proviseures comme Michèle Amiel. Je n’en dis pas plus.
- Y nommer des profs qui s’engagent à y rester six ans minimum et au bout desquels ils seront promus au grade d’agrégés (par promotion interne) ou à la Hors-classe de ce grade pour ceux qui l’avaient déjà. Et cela par un jury composé de l’IPR de la discipline, de l’IPR de vie scolaire, du CE (Philippe ou Michèle) et de trois profs de l’établissement (tuteurs, membres du conseil pédagogique, etc.)
NB : pour les écoles en REP, et en accord avec les syndicats (et donc le SNUipp-FSU, mais pas seulement, d’accord…) prévoir des mesures similaires de stabilisation des équipes enseignantes et de revalorisation des carrières.
2. Pour lutter contre l’échec scolaire massif, contre la démotivation et le décrochage : changer de fond en comble l’EV des élèves et la collation des grades et des diplômes. Le seul levier efficace pour le faire : changer l’EV aux examens, brevet et bacs compris, en mettant en leur centre le CCF (contrôle en cours de formation) car l’aval des examens modèle l’amont des apprentissages (dicton guatémaltèque).
Et ici, je fais le vœu que Najat Vallaud-Belkacem en janvier ne suive pas les mesurettes de la « conférence », rédigées par Étienne Klein, qui n’a produit que des discours lampedusiens sur l’évaluation en proposant de tout changer verbalement pour que rien ne change en réalité.
3. Changer la formation initiale des enseignants en mettant le concours à la fin, concours qui conduirait au même grade pour tous, celui d’agrégé, bien sûr, et qui serait assis à part égale sur des contenus disciplinaires de haut niveau et sur des contenus professionnels itou. Et recréer un service académique de formation continue axé pour l’essentiel sur des stages en établissement (cf. les Mafpen de feu Savary).
Je me résume :
- Stabiliser les équipes éducatives en revalorisant le métier et les carrières
- Changer l’évaluation aux examens pour changer l’enseignement, et vice versa.
- Former en continu les acteurs de l’éducation.
Lionel Povert
- Renouer avec la dynamique des Rased et la renforcer à l’école primaire, partout où cela est utile et nécessaire, en fonction de la population réelle présente sur les secteurs concernés
- Créer des Rased dans le secondaire
- Permettre aux enseignants non spécialisés dans le primaire comme dans le secondaire d’accéder via des modules présents dans la formation initiale et continue à une partie ciblée de la formation effectuée par les collèges ASH présents dans les ESPE initialement à destination des enseignants spécialisés, afin que tous les enseignants puissent à terme disposer des outils du spécialisé à destination des élèves en grande difficulté.