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Sur le chemin du numérique

Est-ce le hasard qui pose ses jalons sur une route professionnelle ou d’heureuses rencontres qui rendent clairs les choix ? Michèle Drechsler regarde son expérience dans des contextes particuliers, dans des classes multi-âges ou en ZEP par exemple, comme une véritable chance, une invitation à renouveler sans cesse sa façon d’enseigner. Elle s’est penchée sur l’apprentissage de la lecture en trois ans dans l’enseignement spécialisé ou encore l’organisation de la classe dans une maternelle regroupant les trois sections et dans un cycle 3 rassemblant trois niveaux.

Elle découvre les usages de l’ordinateur dans le milieu des années 80 lorsque sa curiosité trouve écho dans l’intérêt des élus de la commune qui décident d’inscrire la candidature de l’école au « plan informatique pour tous ». Pour l’enseignante, c’est une véritable révélation. Elle met les élèves dans des situations où « à côté du poêle à bois, ils ont appris à dompter l’ordinateur et à programmer ». Avec une interface Lego, les élèves ont pu vivre des projets de robotique en faisant avancer des véhicules ou synchroniser des feux tricolores avec l’ordinateur.

Ils font le lien aussi avec la robotisation qui commence à s’introduire dans le quotidien professionnel de leurs parents. « Mon père branche les vaches à l’ordinateur », dit l’un d’eux. La classe va visiter l’exploitation agricole, la filme pour en faire un reportage et de nouveaux apprentissages naissent de fil en aiguille. Ils découvrent qu’on peut commander une machine avec un langage. « Les élèves se sont montrés ingénieux même ceux qui étaient en difficulté. Il y a un impact fort sur l’activité intellectuelle, le raisonnement ».

Le constat de la professeure est enthousiaste. Travailler sur l’erreur, avec la possibilité de recommencer, de revenir en arrière pour résoudre le problème, amène l’élève à comprendre sa stratégie d’apprentissage. Aux expériences de codage, s’ajoute la création filmique. Au bout de trois ans passés dans sa classe muticours, chaque enfant du cycle 3 aura participé à des projets où il est amené à être réalisateur et producteur de vidéos. En vivant toutes les étapes, de la création à la diffusion, les élèves découvrent les secrets de fabrication d’un film, d’un reportage. Les réflexions qui en découlent sur la subjectivité de ce qui est montré renforce chez elle l’intérêt pour l’éducation aux médias. Elle se forme au Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) où elle devient ensuite formatrice pour l’académie de Nancy-Metz.

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Son origine mosellane joue sans doute aussi dans son attrait pour le transfrontalier, l’ouverture aux langues et autres cultures. Formatrice au Centre transfrontalier dans la même académie, elle développe formations binationales et projets avec les Länder de la Sarre et de la Rhénanie palatinat. Là encore, le numérique sert de support pour l’apprentissage de la langue du voisin.

Devenue inspectrice, sa circonscription de Saint-Avold Sud, située à huit kilomètres de la frontière, lui offre, par sa diversité entre milieu rural et ZEP, des voies à explorer. Au niveau départemental, elle est chargée des Tice, des projets transfrontaliers et de la mission Elco (enseignement des langues et cultures d’origine). Pour faciliter le travail en commun d’enseignants de turc, arabe, italien ou encore de serbe, elle a développé une plateforme collaborative de travail en ligne qui permettait de prolonger les échanges amorcés lors des stages. « Je ne connaissais pas ces langues mais j’ai en ai fait un projet numérique fort au service de l’enseignement des langues et des cultures d’origine ».

Michèle Drechsler puise réflexions et techniques dans son parcours personnel d’apprentissage, construit à l’université en didactique des langues français langue étrangère, en sciences de l’information et de la communication en management de l’intelligence collective mais également au sein de l’Éducation nationale avec un certificat d’aptitude d’instituteur maître formateur (CAFIMF). Sa route continue du côté de l’INRP, où pendant deux ans elle est en charge de l’innovation pour le Centre Alain Savary.

A l’INRP, elle coordonne le projet international « Innovative school » dans une école d’Amiens. Elle développe une veille scientifique et technique en écho avec sa thèse de doctorat axée sur la place des réseaux sociaux pour le développement professionnel des enseignants. Son poste ferme. Alors, elle se tourne vers ce qui guide son parcours professionnel : l’enseignement en primaire et le numérique. Elle rejoint le département de l’Indre comme IEN pré-élémentaire où elle vit « trois années de labeur et de bonheur » dans le cadre de ses diverses missions. Avec une équipe de formateurs, elle crée une plateforme de formations en ligne avec 500 heures de parcours sur différentes thématiques pour les enseignants en maternelle ou pour l’accompagnement et l’accueil d’élèves allophones de 28 nationalités différentes. Ces formations sont hybrides, avec des temps en présentiel et en ligne favorisant les échanges, l’interactivité, la production.

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L’expérience répond à une demande de formation. Elle permet aussi, par la voie de la co-construction, de battre en brèche les idées reçues. Les formateurs prennent conscience que la formation à distance rapproche les stagiaires et repose sur un travail de conception, de préparation et d’animation. Elle valorise leurs compétences, loin de les remplacer par de froids algorithmes. « Le projet réussit d’autant mieux qu’on engage les formateurs », explique l’inspectrice. Elle souligne aussi « le renouveau de la posture du formateur, avec l’arrivée numérique ». La construction reposait sur une question fondamentale, celle du développement d’une attitude réflexive autour des pratiques pédagogiques. Une organisation favorisant la production et l’interaction a été privilégiée à partir de retours pratiques sur des initiatives existant dans l’Indre.

Des séquences filmées, extraits de réalité brute du terrain ont servi de support pour des regards croisés, source d’analyses réflexives. Les situations proposées amènent à produire, interagir pour « au-delà d’une pratique, prendre de la distance, avoir un cadrage théorique et didactique ». Lorsqu’elle intègre son poste actuel, celui d’inspectrice conseillère Tice pour le premier degré auprès du Recteur de l’académie d’Orléans-Tours, Michèle Dreschler emmène avec elle les connaissances agrégées par ses expériences, avec un fil rouge constant : celui du numérique au service des apprentissages et de la didactique. Désormais, c’est dans le cadre de M@gistère que les parcours de formation sont proposés, le principe reste le même, réfléchir et faire évoluer sa pratique professionnelle en observant des initiatives existantes et en échangeant.

Dans le cadre de ses missions axées sur la conduite et le suivi de la politique numérique du premier degré, elle est chargée du développement des usages et mène aussi des activités de veille et d’accompagnement. Elle observe avec enthousiasme et intérêt l’ingéniosité au quotidien, la vivacité pédagogique, celle qui a vu se développer les Twittdictées ou les défis qui valorisent la maîtrise de l’orthographe. Son rôle est alors de favoriser le partage, les pratiques réflexives et la prise de recul pour intégrer la situation dans une démarche didactique. Le partage des pratiques est important. Avec l’appui de Canopé, des ressources transmédia sont produites et diffusées. Avec le Cardie, des journées départementales de présentation de projets et d’échanges sont organisées pour découvrir toutes les ressources innovantes produites.

Elle regarde aussi les projets collectifs qui se développent à l’initiative d’enseignants et trouvent leur essor grâce aux réseaux sociaux. C’est le cas de #defilire, un projet collaboratif né sur Twitter et qui associe des classes de maternelle et de CP autour de la littérature jeunesse. L’inspectrice le suit avec attention, apprécie la synthèse produite par ses initiateurs et ne s’effraie pas de son développement hors de l’institution. « Le réseau Twitter peut être un véritable observatoire des usages du numérique pour l’observation favorisant les échanges informels et facilitant l’émergence de questions didactiques et pédagogiques qui méritent des focus, des réponses plus approfondies » explique-t-elle.

Changer le regard sur les réseaux sociaux est important pour elle, valoriser ce qui nait du terrain aussi. Alors, à l’heure où les heures de travail laissent la place à la vie personnelle, elle ne détourne pas pour autant son regard et sa veille se poursuit, se prolongeant parfois sur les réseaux sociaux par des passerelles, des liens entre les projets et des références pour les étayer. Sans doute parce que Michèle Drechsler voit dans cette effervescence le terreau d’un changement profond, celui qu’elle sentait essentiel depuis sa classe rurale multi-niveaux, où du plaisir de découvrir, de coder, de filmer, naissaient des apprentissages.

Monique Royer
Pour suivre Michèle Drechsler sur Twitter : https ://twitter.com/mdrechsler