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Le CDI, ce lieu ouvert où les mots s’apprivoisent

Pour prendre pied dans son époque, l’école rencontre la nécessité d’ouvrir ses fenêtres et ses portes vers le monde qui l’entoure, un monde où le numérique a donné à l’expression de nouvelles lettres de noblesse. Quel lieu mieux que le CDI offre cette percée vers l’ailleurs, un ailleurs qui éveille en écho de nouveaux sens pour les apprentissages ? Nous avons rencontré Magalie Bossuyt, professeure documentaliste au Lycée Jules-Fil de Carcassonne, initiatrice et animatrice de projets où il est question de numérique et de plaisir de lire et d’écrire.

Le Lycée Jules-Fil, voisin de la Cité médiévale de Carcassonne, est un établissement proposant à plus de 1800 élèves des formations générales, professionnelles et technologiques. La diversité des publics est ici source d’initiatives avec des pratiques numériques ancrées dans la pédagogie et les relations avec les familles. Magalie Bossuyt a intégré le lycée à la rentrée 2009 après avoir notamment exercé au CDDP de l’Aude Depuis, elle lance chaque année de nouveaux projets, en consolide d’autres, selon les classes et les enseignants qui souhaitent s’y associer. Par exemple, elle a inscrit une classe de seconde professionnelle ASSP (Accompagnement, Soins et Services à la Personne) au défi Babelio en compagnie de Mme Bonnafos, enseignante de lettres et d’histoire-géographie.

magali_petit.jpgBabelio est un réseau social littéraire qui permet à des classes de collèges et de lycées de partager leurs lectures. Une liste commune aux établissements engagés est établie avec cinquante deux livres dont trente cinq seront obligatoirement proposés et commentés.

La première séance en classe entière est consacrée à la présentation du défi. Dans un premier temps, la classe constitue sa bibliothèque virtuelle sur Babelio. Chaque élève poste une critique sur un livre qu’il a déjà lu et lui attribue une note. Ce premier exercice permet de comprendre le principe de ce réseau social. Les séances suivantes se déroulent en petit groupe de dix élèves. Cette fois, le livre est choisi dans la liste commune aux établissements participants et, à la critique et à la notation s’ajoute le choix d’une citation. Les élèves ont également la possibilité d’écrire un quizz sur l’ouvrage lu. Avec les autres classes, ils partagent leurs critiques et leurs quizz, commentent leurs productions et échangent ainsi avec des élèves d’autres niveaux, d’autres sections, d’autres villes, et même d’autres pays, autour de lectures communes.

Babelio n’est pas le premier réseau social que Magalie Bossuyt utilise dans ses pratiques pédagogiques. Pour le prix « D’un livre à l’Aude », elle avait initié une twittclasse avec un collège de Carcassonne. L’expérience n’a pas duré, les élèves ont été découragés par le peu de retour sur leurs tweets. Du côté du collège, la documentaliste n’a pu consacrer le temps espéré au projet et les enseignants plutôt timides vis à vis de Twitter ont privilégié d’autres supports. Or, Magalie le rappelle, le travail en équipe et l’accompagnement par les enseignants sont essentiels pour que l’initiative réussisse.

Une nouvelle twittclasse devrait voir le jour cette année, cette fois avec une section européenne de Bac Pro et en anglais. L’idée est née d’une rencontre sur le réseau social avec Fréderic Davignon, enseignant d’anglais à l’internat d’excellence de Montpellier, lors d’un twittconseil, réunion virtuelle sur les usages pédagogiques de Twitter. Dans la conversation, Magalie Bossuyt glisse de nombreuses références à des échanges avec d’autres enseignants qu’elle ne connait pas en vrai mais avec qui elle construit ou observe des initiatives numériques. Les réseaux sociaux sont devenus une source de professionnalisation et d’inspiration indéniable.

livres_petit.jpgLe numérique n’a pas l’exclusivité des projets de Magalie. Des élèves de seconde générale ont créé un journal révolutionnaire en respectant le cadre d’un journal et le contexte historique. Ils ont également écrit une nouvelle révolutionnaire qu’ils ont ensuite théâtralisée puis jouée devant une classe de CM1-CM2. Le travail a été mené avec des enseignants de français et d’histoire-géographie. Le dénominateur commun des projets de Magalie est plutôt à rechercher du côté d’une envie de partager le plaisir de lire et d’écrire, de permettre à chacun de trouver dans les mots une voie d’expression.

Avec deux enseignantes de Français, elle va animer pour la deuxième année un projet destiné aux élèves de l’établissement en grande difficulté en lecture et en écriture. L’an passé, l’atelier a été consacré à l’écriture de contes. Chaque élève écrivait une histoire, publiée telle quelle sur le blog, sans correction. Deux classes du primaire lisaient les textes et les commentaient. Magalie Bossuyt observe ces élèves que les mots intimidaient rechercher dans les rayons du CDI des réponses à leurs questions, interroger leurs enseignantes pour obtenir des conseils, tâtonner et apprendre par eux-mêmes ce qu’ils n’étaient jusque là pas parvenus à appréhender dans un cours classique. La publication et l’assurance d’être lu amène son cortège d’exigences et de motivation.

Stéphane Servant, écrivain de littérature jeunesse, est venu pour une après-midi leur prêter main forte. Plus que cela encore, il est venu leur parler d’égal à égal, d’auteur à auteurs en ayant pris le soin au préalable de lire leurs productions. Il devrait revenir cette année régulièrement pour suivre les publications et donner quelques conseils, si le financement de l’atelier est accordé. Pour les quatorze élèves impliqués dans le projet, l’année s’est finie en beauté avec la lecture de leurs contes à la médiathèque de Carcassonne devant des classes de CP et de grande section. Cette année encore, au moins une classe de primaire sera associée pour commenter les écrits et les illustrer.

Lorsque la conversation avec Magalie glisse vers la question du métier de professeur-documentaliste, elle regarde son évolution depuis l’arrivée du numérique. Elle remarque aujourd’hui l’avancée qu’il a amenée pour la mutualisation et le partage, au sein de l’établissement et hors de son enceinte. Il a aussi permis de renforcer la place des documentalistes au sein de l’équipe pédagogique. Magalie a participé à la rédaction du « Guide Tice pour les documentalistes » publié par le CNDP. Et lorsqu’elle intervient en formation, elle constate l’ancrage du numérique dans le quotidien des CDI. Magalie jette un regard optimiste sur les débats qui agitent sa profession. Sans référentiel métier, les professeurs documentalistes demeurent inclassables, un flou qui pour elle facilite les initiatives. Elle apprécie de travailler au sein d’un lycée où les projets sont encouragés, dans une équipe où le CDI est vécu comme un lieu d’apprentissages et d’ouverture.

En ce vendredi soir, la porte se referme sur le CDI de Jules Fil. Les mots eux n’ont pas fini de s’y envoler après avoir été apprivoisés.

Monique Royer

Des fils de mots à suivre

Le blog contes
Article sur le Défi Babelio dans Docs pour docs
La présentation qui sera faite aux élèves