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« Seul un projet collectif pensé sur un terme assez long peut avoir des chances d’être efficace. »

Couverture du n° 520 des Cahiers pédagogiques, une page de cahier à carreaux déchirée est rattachée à la photo d'une barre d'immeuble par deux bouts de scotch colorés.

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Qu’avez-vous appris en travaillant sur ce dossier? Avez-vous été surpris ou marqués par certaines contributions?
Ce qui nous a marqués c’est à la fois la triste certitude qu’il existe un déterminisme social renforcé par le fonctionnement de notre école française, et la conviction que les trajectoires personnelles sont ouvertes à tous les possibles. Mais une somme de cas particuliers «heureux» ne suffira pas à démentir les vérités des statistiques. Il faudrait donc que ce soient les décideurs comme «la base» et les corps intermédiaires qui se mettent d’accord pour que l’école obligatoire soit d’abord au service des plus démunis.

Que retenez-vous comme pistes pour rétablir sinon l’égalité du moins de l’équité dans l’école de la République?
L’égalité, elle existe «de jure» ; c’est l’équité, l’égalité réelle, qu’il faut travailler. Nous retenons du dossier le poids décisif de ce qui se joue au primaire, là où, silencieusement, certains élèves intègrent l’idée qu’ils ne sont pas «bons». Et ensuite le collège achève souvent de briser l’espoir.
Et en même temps, la certitude qu’à tout moment du parcours, tout peut se rejouer si l’élève et sa famille rencontrent une équipe (plutôt qu’une personne isolée) convaincue et prête à s’investir pour leur permettre de reprendre confiance.

La distance entre les milieux populaires et l’école est connue depuis de nombreuses années: qu’est-ce qui explique selon vous que l’on n’ait guère avancé?
Les acteurs de l’école n’ont pas conscience du périmètre de leur pouvoir d’action. Ils exercent en très grande majorité une action individuelle, là où seul un projet collectif pensé sur un terme assez long peut avoir des chances d’être efficace.

Qu’est-ce qui « bloque » chez de nombreux enseignants dans ce rapport aux enfants et aux familles populaires ?
Quand on est enseignant il est peut-être difficile d’admettre que l’on est aussi membre d’un groupe social, avec ses mœurs, ses représentations, son langage… La noblesse profondément intégrée de la fonction (mais on retrouverait des réflexes semblables chez les médecins) fait qu’on oublie qu’on est aussi situé socialement. On connait le nom de Bourdieu, mais ses explications ont peu infusé dans nos métiers.
Du coup, on a le sentiment que « les autres » sont dans l’erreur : on ne cherche pas « la panne » (le malentendu), on enrage contre ce qui dysfonctionne. Et l’enseignement des Espé semble faire une très faible part à cet aspect pourtant très important de la formation, qui ne peut se résumer à quelques réflexions sur les «publics particuliers».

Mais alors, c’est désespéré ?
Certainement pas, même si la question ne date pas de la « refondation » (il y a quelques décennies d’interrogations sur ce sujet). Deux éléments nouveaux – et encourageants – cependant :

  • la reconnaissance officielle qu’il y a vraiment un problème ; cela peut rester au niveau du discours, à nous de le travailler dans les établissements, sans attendre que d’autres discours viennent en contrepoint ;
  • la précision du diagnostic dans le domaine de la langue notamment ; même si les études dans ce domaine n’expliquent pas tout, il est maintenant admis largement qu’il faut travailler sur la maitrise du français et sur ses fonctions proprement scolaires de façon explicite.