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S’engager pour s’émanciper

Lucien Aniesa, président de la Ligue de l’enseignement de l’Aube, a investi les différentes dimensions de l’éducation, au sein de l’école et en dehors. Il nous raconte les enjeux de l’engagement militant aujourd’hui pour l’éducation populaire.

Devenu instituteur au début des années 80, il a bénéficié d’une « véritable formation pédagogique » de trois ans à l’École normale. Il est nommé dans l’Aube, en zone d’éducation prioritaire, dans un quartier très populaire et dans une école où les activités physiques et sportives sont intégrées dans le projet. Il complète les cycles de travail par des rencontres le mercredi après-midi dans le cadre de l’USEP (Union sportive de l’enseignement du premier degré). « Il y avait peu d’activités de l’éducation populaire dans le quartier. J’emmenais les élèves faire du foot, du basket, du cross, filles et garçons, j’insiste. »
Quatre ans plus tard, au vu de son investissement, l’USEP lui propose un poste de délégué départemental en détachement de l’Éducation nationale. Il poursuit sur tout le département les actions de découverte des activités physiques et sportives qu’il menait dans son école, leur ajoute un volet de vie associative.

« Quand on fait du sport, qu’on se confronte, qu’on s’affronte, on apprend. Je ne suis pas contre l’autre, je suis avec l’autre. Au-delà du plaisir personnel, on est dans le collectif, on apprend et on grandit ensemble. » La participation des élèves et des enseignants pour le choix des cycles et des actions est pour lui un ingrédient majeur. « J’insistais beaucoup sur la coopération et l’axe citoyen avec l’engagement des élèves, des professeurs et des parents, sur la solidarité, le coenseignement. »

Au bout de sept ans, la Fédération des œuvres laïques, devenue depuis Ligue de l’enseignement, lui propose le poste de secrétaire général départemental, toujours dans l’Aube. Son parcours professionnel prend une nouvelle dimension, avec la gestion de différents services, englobant notamment la culture, la promotion de la laïcité, l’organisation de séjours éducatifs ou encore des actions pour la citoyenneté comme la semaine contre le racisme ou la vie associative post-scolaire. Ce travail, aux multiples facettes, le passionne, avec toutefois un bémol. « C’était assez épuisant avec quarante personnes dans les services, un budget à gérer, sans avoir de formation dans le domaine de la gestion d’une entreprise de l’économie sociale. »

Une expérience formidable

Après dix-neuf ans de détachement, il revient dans l’Éducation nationale en tant que proviseur-adjoint, sans rester éloigné de la Ligue de l’enseignement, cette fois en tant que bénévole. Aujourd’hui retraité, il occupe depuis dix ans la fonction de président de la fédération de l’Aube. Le métier de proviseur-adjoint lui plaît, d’abord dans un lycée professionnel, « une expérience formidable avec un public différent » puis en lycée général et technologique. Là encore, il mise sur la coopération. « Au lycée, j’ai toujours essayé d’amener une autre vision, un management différent où chacun a sa place, en partageant, coconstruisant, pour qu’élèves et équipes soient bien, actifs et acteurs. »

Dans son parcours professionnel et associatif, il investit ce qu’il nomme « les deux jambes de l’éducation », l’éducation formelle à l’école et le périscolaire avec l’éducation populaire. « La forme est différente. À l’école, il y a une commande institutionnelle, un cadre, une forme de pédagogie, des apprentissages codifiés. L’éducation populaire est plus une éducation où on partage les savoirs, où on travaille sur l’expérimentation, où le mouvement apporte une réflexion. » Pour les deux, la coopération, le partage, la discussion sont primordiales pour favoriser l’émancipation.

Le contrepouvoir associatif

Les associations sont pour lui « un contrepouvoir utile et positif, un corps intermédiaire essentiel ». Il constate un affaiblissement de l’engagement, une désaffection des militants dans le tissu associatif depuis quelques années. « Les publics ont changé. On ne s’abonne plus, on a plus un réflexe de consommation que d’affiliation. On consomme les actions qui ont du sens, avec un engagement ponctuel. »

Pour que ce contrepouvoir associatif perdure, joue son rôle à plein, il faut donc imaginer des solutions pour motiver un engagement au long cours, en particulier des jeunes. « On essaie d’amener les gens à s’investir plus durablement et de façon globale, sur un projet éducatif global et de transformation. » L’éducation populaire est là aussi pour que les liens se tissent au sein d’une population, d’une ville, d’un quartier, pour que les valeurs se construisent et se concrétisent en collectif.

Aller plus loin avec les jeunes

La Ligue de l’enseignement de l’Aube mise sur ses actions culturelles, citoyennes et sportives, en direction des jeunes pour les amener à aller plus loin, à « faire commun ». Le festival de court-métrage pour et par les jeunes est attractif avec une formation, un concours et des réalisations tout au long de l’année. « Ils apprécient beaucoup. C’est un moyen d’exprimer leurs envies, leur perception du monde et de les partager. On les invite à aller plus loin, à les partager avec un investissement commun. »

Les formations au BAFA (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur en accueils collectifs de mineurs), sont un moyen aussi d’amener une réflexion sur la vie en commun. « Quel chemin on indique aux enfants pour qu’ils soient acteurs de leur activité ? » Les services civiques travaillant pour la Ligue développent une réflexion plus large sur la démocratie en intervenant sur l’engagement citoyen dans les écoles. Le service audiovisuel intervient dans les quartiers et en milieu scolaire pour former notamment à l’usage des réseaux sociaux avec un esprit critique. Quatre-vingt-dix lecteurs contribuent à « Lire et faire lire », pour développer le goût de lire, ouvrir les portes du voyage dans l’imaginaire.

Travailler dans la durée

« Nous avons plusieurs cordes à notre arc. Les jeunes sont concernés, réactifs sur l’instant. On voit dans les lycées beaucoup d’actions sur l’environnement se mettre en place sur proposition des lycéens. » Leur apprendre à construire en réseau avec un projet cohérent est un moyen de les motiver à s’engager durablement dans la vie associative. « Proposer de travailler dans la durée peut sembler difficile alors que nous sommes dans une primauté de l’instant. Le temps est une notion essentielle. »

Progressivement, toutes ces actions commencent à faire leur effet. « Nous sommes en début de reconstruction. Les jeunes n’aiment pas être enfermés dans une structure. Il faut trouver un équilibre. » De nouvelles façons de militer se développent, au travers notamment de tiers lieux. En participant au festival Écol’Aube, la Ligue tisse des liens avec ces collectifs. « C’est intéressant de comprendre comment ces courants fonctionnent, de dialoguer avec eux. Nous sommes plutôt sur une démarche globale. Et nous nous posons la question du risque d’archipels d’initiatives créées sous l’emprise de traumatismes. »
L’engagement est aussi un acte politique, pour défendre des dispositifs ou des idées confisquées, galvaudées. « Le mot laïcité est important mais accaparé par l’extrême droite. Pourtant, c’est le principe qui fait qu’on est naturellement libre, pas soumis, libre de notre corps, de notre esprit, d’exercer un libre-arbitre. » La novlangue de la start-up nation a récupéré les colonies de vacances, devenues « vacances apprenantes », et inventé « l’école ouverte buissonnière » qui ressemble comme deux gouttes d’eau aux séjours éducatifs en centre.

La récupération a pour effet d’offrir au secteur privé ce qui se pratiquait depuis de nombreuses années en milieu associatif. Opposer le temps long à l’instant, miser sur la politique avec un P majuscule, pour s’émanciper en collectif et contribuer à une société plus juste, l’ambition sonne comme un manifeste enthousiasmant.

Monique Royer

Le site de la Ligue de l’Enseignement de l’Aube

 


Sur notre librairie

La coéducation permanente

n° 564 Novembre 2020

Que pouvons-nous faire ensemble pour aider tous les enfants à grandir et mieux apprendre à l’école ? Pour ne pas se contenter d’une cohabitation plus ou moins forcée mais réfléchir à la place de chacun, croiser les regards et conjuguer les actions au bénéfice des enfants ?