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Réveille-toi, Jules Ferry, ils sont devenus fous
On a dit ici tout le bien qu’on pensait du talent et de la compétence d’Emmanuel Davidenkoff, chroniqueur pertinent et impertinent de France Info et ancien spécialiste de l’éducation à Libé. On en est d’autant plus à l’aise pour faire part d’une incontestable déception. Cet ouvrage au titre un peu convenu risque davantage de faire glisser l’auteur et les idées qu’il défend du côté des détracteurs de l’école d’aujourd’hui que de contribuer à un débat argumenté sur les problèmes scolaires.
L’auteur et six enseignants ont examiné manuels et programmes, sans toutefois nous livrer leurs références précises (le fait d’écrire pour un large public ne justifie pas ce parti pris) et pour se livrer à un jeu de massacre. Les manuels participent-ils vraiment à ce point de l’horreur pédagogique ? On dirait que les auteurs font comme ces professeurs qui relèvent des perles dans les copies des élèves (tout en en commettant eux-mêmes, si on y regarde d’un peu près). Et il semble parfois que sont regrettées les « leçons » de manuels d’autrefois qui étaient souvent bien réductrices et peu formatrices. D’ailleurs ne pourrait-on pas relever autant d’absurdités jargonnantes par exemple dans la grammaire « traditionnelle » que dans celle qui est critiquée ? On ne défendra pas ici le récent « complément d’objet second » ; mais notre bien connu « attribut du sujet » est-il plus clair et plus cohérent ? Et si enseigner la progression thématique (p. 35) de façon dogmatique aux élèves est bien évidemment ridicule (pas plus pourtant que les analyses dites « logiques » d’autrefois !), les auteurs oublient de dire qu’il s’agit aussi là d’un outil intéressant pour varier l’écriture, que les élèves peuvent s’approprier si une vraie pédagogie est au poste de commande.
Pourtant, de bonnes questions sont posées et on peut souscrire à certains reproches : la confusion, la profusion des manuels au détriment de l’essentiel, la surabondance d’exercices au détriment de synthèses. Il est simplement dommage que ce soit présenté de cette façon-là au lieu de faire le choix de la nuance et de la mesure. Il nous semble qu’il y a hésitation dans le livre entre justes critiques et mise au rebut du bébé avec l’eau du bain.
Nous connaissons Emmanuel Davidenkoff comme partisan de la démocratisation de l’école. Comment peut-il concilier ici son refus de l’élitisme avec sa complaisance surprenante pour des groupes comme Sauver les lettres qui luttent pour des classes de niveau et contre le collège pour tous ? Comment peut-il trouver tant de vertus à des personnes qui sont des adversaires résolus des projets, des TPE, etc. (mais aussi du socle commun de compétences et de connaissances valorisé dans le livre) ? L’auteur nous répondra (et il l’a fait dans des échanges amicaux que nous avons eus) qu’il ne veut pas se situer sur un terrain idéologique, camp contre camp. N’empêche… Les affirmations péremptoires sur l’effondrement du niveau de l’orthographe (la fameuse dictée de Sauver les lettres en Bretagne) sont prises pour argent comptant, quand rien n’est dit sur le formidable travail de pédagogues qui sur le terrain mettent en œuvre de vraies solutions, et de chercheurs comme Jean-Pierre Jaffré qui clarifient patiemment la question depuis des années au service d’un enseignement plus efficace (voir le dossier 440 des Cahiers pédagogiques sur l’orthographe). Nous pouvons difficilement accepter l’idée que les uns (les antipédagogues) défendraient les « savoirs » quand les autres s’intéresseraient plus au comment faire. Sur quoi repose cette affirmation (p. 222) selon laquelle « les savoirs se sont un peu plus dilués chaque année » ? Il est assez étonnant d’ailleurs que le discours des auteurs retrouve là une modération « centriste » quand par ailleurs l’institution prend une volée de bois vert, sans nuances.
Bref, on attendait mieux d’un esprit aussi avisé que celui d’E. Davidenkoff. Encore une fois, cela ne nous empêche pas de souscrire à certains constats, d’adhérer à certaines propositions comme l’interdisciplinarité, les projets, un renouvellement de la formation…. Mais faire des manuels et programmes les boucs émissaires d’un « crime », laisser penser que les solutions sont simples (cela affleure par endroits, heureusement pas toujours), exonérer les enseignants de toute responsabilité dans la situation présente (c’est tellement plus simple de « taper sur l’institution »), tout cela passe mal. Quant à débattre, bien sûr ! Les Cahiers pédagogiques n’ont pas hésité d’ailleurs à donner la parole à des détracteurs dès lors qu’ils renoncent à l’insulte et à la calomnie. En tout cas, nous serions heureux de mener le dialogue avec les auteurs de ce livre qui malgré tout avancent des propositions qui ne sont pas éloignées des nôtres. Pourquoi pas dans ces colonnes ?
Jean-Michel Zakhartchouk