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Réserve citoyenne et culture numérique

Suite aux événements de janvier 2015 et de novembre 2015, des initiatives ministérielles comme la création de la « réserve citoyenne » au printemps 2015
permettent aux équipes éducatives des établissements scolaires, publics et privés, de faire appel aujourd’hui plus facilement à des intervenants extérieurs pour illustrer leur enseignement ou leurs activités éducatives, notamment en matière :

– d’éducation à la citoyenneté et à la laïcité ;
– d’éducation à l’égalité entre filles et garçons ;
– de lutte contre toutes les formes de discriminations ;
– de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ;
– de rapprochement de l’école et du monde professionnel ;
– d’éducation aux médias et à l’information.

C’est au titre de réserviste citoyen de l’Éducation Nationale que je parle ici de la citoyenneté numérique, mais également en tant que praticien au sein de la cyber-société qui s’annonce. Depuis 2001, j’ai accordé, dans mon enseignement, une part de plus en plus importante à la prise de conscience de l’emprise du numérique sur notre société, jusque dans la vie privée. Et j’entraîne mes étudiants à développer des compétences et des comportements faisant d’eux des citoyens numériquement responsables.

Aujourd’hui chacun de nous doit choisir de s’exposer ou non sur les réseaux mais aussi savoir qu’il est devenu indispensable de se surveiller sur Internet. Car le cyberespace démultiplie les effets de réseau ainsi que la production, la collecte et l’analyse d’ensembles de données à grande échelle sur nos activités en ligne (« Big Data »).

Au même titre, l’« Open Data » ouvre l’accès aux données et met à disposition de tous une information qui, auparavant, ne franchissait pas l’enceinte des services publics comme par exemple les données de santé. Tout ceci doit donner au citoyen matière à réfléchir sur le devenir de nos données numériques.

La citoyenneté numérique comme un nouveau pouvoir de réaction

L’Éducation Nationale s’est intéressée récemment au nouveau paradigme informationnel qu’impose Internet en insistant sur les nouveaux lieux d’apprentissage, les modalités d’accès aux informations, aux savoirs et aussi à la connaissance, par exemple en mettant en place le B2i, et le C2i.

Nous ne sommes cependant qu’au début de nos surprises car les objets connectés en pleine expansion, les capteurs et autres robots vont venir rajouter à la complexité actuelle de la situation une toute autre dimension. Ce contexte de bouleversement de l’accès aux données, et de leur partage sur divers supports en ligne, rendent vital pour le jeune citoyen de reprendre du pouvoir sur une information dont on sait qu’elle sera de plus en plus manipulée, retravaillée et parfois déformée. C’est le sens du rapport d’Eric Peres sur les données numériques comme enjeu d’éducation et de citoyenneté

Un passage obligé par la littératie numérique

La « littératie numérique » est définie par L’OCDE comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser le numérique dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses compétences et capacités ».

Mener une recherche pertinente et trier l’information, explorer et cartographier des données, tout cela de façon collaborative et dans le cadre d’un projet, est-ce si fréquent dans notre enseignement ? Hélas non, et pourtant ces compétences sont loin d’être acquise y compris par les étudiants. Le plus souvent, c’est la « Googlelisation », ou l’art de googler un mot-clé, qui ressort dans les méthodes de recherche. Google nous a en effet fait passer trop vite à une « société de l’information » en laissant une génération complète sans véritables repères. Plus rien ne nous rendra l’époque d’avant Google où l’Internet était encore sommable. Difficile de montrer aux internautes d’aujourd’hui qu’il y a d’autres moyens d’accéder à l’information, de la vérifier et de l’interpréter en dehors de leur moteur de recherche préféré.

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Une éducation à la cyber-sécurité et aux cyber-risques

L’emprise numérique sur les jeunes ne doit pas laisser notre société indifférente. Nous n’en sommes qu’au début, et la prochaine étape, celle des objets connectés couplés à des applications dont les jeunes ne connaissent pas les impacts ni les redondances en matière de métadonnées (à retardement parfois) pourrait bien venir leur gâcher une part de leur avenir identitaire par exemple.

Dans mes différentes interventions à tous les niveaux scolaires, je présente une typologie des cyber-risques. A l’appui, des scénarios réels de traçabilité des identités, des cartographies montrant les interactions et autres liens influençant des données dont ils ne mesurent pas l’étendue dans le cyberespace. Mais aussi des conseils sur leurs applications-phares comme Facebook ou encore Instagram, où lorsque l’on aime (ou on like) c’est pour la vie… La fonction « n’aime plus » n’enlève en effet rien à la base des fichiers du serveur. De même pour l’application Snapchat où chacun pense que les photos déposées sont éphémères alors qu’elles font parfois l’objet de captation, de stockage, voire encore de vol de données…

Éduquer à ces cyber-risques est donc indispensable, il en va de la protection et de la sécurité des individus du nouveau monde qui s’annonce. Encore faut-il que les enseignants en soient conscients eux-mêmes !

Des pistes à exploiter pour l’école, le collège et le lycée

On voit bien ici la nécessité grandissante d’une éducation aux médias et à l’information (EMI), au cœur des enjeux de notre démocratie. Le traitement médiatique exceptionnel des attaques terroristes de l’année 2015 a pleinement mis en lumière l’urgence d’ accompagnements pédagogiques diversifiés pour former des citoyens avertis.

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Certains moteurs de recherche comme Qwant ont développé des sites pour les jeunes. La version Junior de son moteur de recherche, https://junior.qwant.com/ propose plusieurs éléments de sécurité :

– une liste noire répertoriant des sites Internet particulièrement violents ou abordant des sujets sensibles, qu’il s’agisse de la pornographie, de la drogue ou de nature raciste.

– Une liste blanche mettant en avant les contenus à caractère pédagogique.

L’équipe Qwant explique notamment que ce moteur de recherche assure « le respect de la vie privée des internautes (qwantjunior.com ne conserve pas l’historique de recherche des enfants) et la neutralité des résultats. Il est dépourvu de traçage, de publicité et de produits marchands. »

Bing propose une version éducative de son moteur de recherche laquelle ne comporte aucune publicité tandis que Google a conçu SafeSearch, un paramètre de son moteur bloquant les requêtes jugées inappropriées.

Des sites comme Vinzetlou.net ont déjà mis en place il y a quelques années des dessins animés qui constituent encore de bons supports pédagogiques pour nos élèves et enseignants.

Un serious game d'éducation critique aux médias

Un serious game d’éducation critique aux médias

Des jeux sérieux comme www.2025exmachina.net/jeu (12/17 ans) ont pour objectif de montrer les conséquences réelles des pratiques virtuelles de nos jeunes, avec peut-être plus d’efficacité qu’un cours classique !

D’autres plateformes comme celle du collectif Educnum (initié par la CNIL en 2013) proposent de soutenir des actions visant à promouvoir une culture citoyenne avec sa plateforme Netpublic par exemple. (http://www.netpublic.fr/2015/07/vie-privee-sur-internet/).
Dans ce cadre sont mis à disposition des outils pédagogiques “Vie privée” que l’on peut utiliser à destination d’enfants.

Il faut aussi profiter du numérique pour mettre en place des pratiques collaboratives et partages d’idées sous forme de Mooc comme ce fut le cas pour Transimooc. (http://transapi.fr/transimooc-hg/)
MOOC « Internet, les autres et moi » est aussi une belle initiative à suivre. Il fait partie des MOOCs « Compétences numériques et C2i ». Les 4 premiers de cette collection ont été ouverts en 2014 et permettent de se former aux compétences du C2i niveau 1.
Il est donc totalement possible aujourd’hui avec le numérique de monter des scenarii entre établissements pour déboucher sur des espaces co-construits par les élèves autour de la e-citoyenneté et de leurs pratiques au sein du cyberspace.
Et la « réserve citoyenne » ?

Il me semble souhaitable d’élargir « l’éducation à la citoyenneté » à sa dimension numérique : communication ouverte, partage de connaissances, possibilités d’action citoyenne à l’échelle mondiale. A ce jour les appels à intervenir pour ces réservistes dont je fais partie semblent être en stand-by, il est urgent de les relancer !

Jean-Paul Pinte
Maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication Université Catholique de Lille