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Réforme des concours, continuité des politiques

Photographie Marine Rougé.

Le projet du gouvernement de refonte de la formation des enseignants et enseignantes et des CPE, dans de futures « écoles normales du XXIe siècle » suscite de nombreuses craintes chez les formateurs actuellement en Inspé.

La refonte de la formation des professeurs mise en place par la loi Blanquer en 2019 visait le remplacement d’une formation dite trop théorique par plus de « professionnalisation » avec un concours passé en deuxième année de master en 2022.

La nouvelle orientation, donnée par Gabriel Attal en octobre 2023, vise la création des « écoles normales du XXIe siècle » et envisage de commencer la formation dès la première année après le baccalauréat en 2025. Outre le fait que les IUFM (instituts universitaires de formation des maitres), devenus ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation) puis Inspé (instituts nationaux du professorat et de l’éducation), vont encore changer de nom pour s’appeler les ENSP (écoles normales supérieures de l’éducation), le projet inquiète largement les professionnels et les étudiants.

L’inquiétude est montée depuis les deux dernières semaines du fait d’un document de travail qui a fuité du cabinet de madame la ministre et qui, s’il n’est pas définitif selon elle, témoigne des orientations du gouvernement. Cette inquiétude a été renforcée par les annonces du président Macron lors d’une visite dans une école primaire.

Un calendrier inquiétant

Inquiétude déjà par rapport au calendrier, car le contenu du nouveau concours au niveau de la troisième année de licence devait être publié en mai 2024 pour une première session en juin 2025, cela signifie que les étudiants vont devoir préparer un concours alors qu’il n’est pas encore prévu de modules de préparation dans les licences disciplinaires classiques, que la nouvelle licence de préparation n’existe que sous la forme de classes préparatoires PPPE (Parcours préparatoire au professorat des écoles) dont la vocation n’était pas de préparer au concours en L3. Comment organiser ces modules en si peu de temps ? Pour nos étudiants actuellement en L3, n’ont-ils pas intérêt à doubler pour ensuite intégrer le futur M1 en ENSP. où ils seront rémunérés ?

Inquiétude sur le statut de nos étudiants, leur rémunération, les conditions de titularisation, ce qui se passera pour ceux qui échouent au concours, la formation des contractuels qui continueront certainement d’être recrutés, le lien avec la formation continue dont le budget diminue chaque année. Comment être en confiance lorsque Emmanuel Macron annonce une rémunération à hauteur de 1 400 € en M1 et que sa ministre Nicole Belloubet annonce quelques heures plus tard que la rémunération ne sera que de 900 €. C’est ce que touchent actuellement les étudiants alternants et cela ne suffit pas, certains se voient contraints d’exercer une autre activité en parallèle.

Double tutelle

Inquiétude sur le changement de gouvernance, de ressources humaines et de pilotages qui prévoit l’affectation pour trois ans des enseignants au sein des ENSP, qu’ils soient universitaires ou non, sur des critères flous et arbitraires, à l’encontre des procédures régulières de l’université, la nomination des directeurs « soumis à des objectifs » non précisés. La double tutelle du MEN et du MESR laisse craindre une mise au pas des personnels, niant leur expertise et niant les résultats de la recherche sur l’enseignement, l’éducation et la formation.

Inquiétude enfin sur les contenus de la formation, en lien avec la réforme du « choc des savoirs », dans une logique verticale et autoritariste du gouvernement. Les maquettes de formation des futures licences, masters seraient élaborées par qui ? Le CSEN (Conseil scientifique de l’Éducation nationale), qui a diffusé une liste de contenus avec ses seuls travaux en référence, niant toutes les autres recherches et résultats ? Si ces licences sont ouvertes, quelles autres filières seront fermées pour assurer les moyens constants, et sur quel calendrier seront élaborées les maquettes ?

Inquiétude surtout sur le manque de concertation qui fait que les professionnels de la formation repèrent immédiatement les failles de la proposition, non anticipées, non pensées, qui rendent le projet irréaliste. Encore une fois, les réformes précédentes ne sont pas évaluées et les propositions qui sont faites ne tiennent pas compte des besoins et contraintes de la profession. Le groupe qui a travaillé sur la réforme de la formation des enseignants n’a pas associé le Réseau des Inspé à la concertation.

Différents Inspé ont réagi à cette maltraitance institutionnelle que connaissent aussi les chefs d’établissement des collèges avec la mise en place des groupes de niveaux, face à des décisions prises sans concertation et sans arguments scientifiques, ni même économiques (voir ci-dessous le texte rédigé la semaine dernière par les personnels réunis en AG à l’Inspé de l’académie de Nantes).

Quelle mise en œuvre ?

Certaines mesures peuvent être considérées comme allant dans le bon sens mais, comme toujours, il s’agit de comprendre les modalités de mise en œuvre pour mieux cerner les objectifs et conséquences de la réforme annoncée.

Tous les professionnels de la formation peuvent attester que le système actuel n’est pas satisfaisant :

  • recruter à bac+5 suppose que les étudiants ont les moyens financiers de payer des études longues ce qui prive l’école de professeurs issus de milieux sociaux plus défavorisés et maintient un recrutement essentiellement féminin ;
  • les étudiants sont peu issus de filières scientifiques, leur formation doit les amener parfois à dépasser une peur voire un rejet des enseignements scientifiques ;
  • une entrée tardive dans le métier amène les étudiants à rester sur des stratégies de réussite aux contrôles plus que sur une perspective de formation professionnelle et à viser la préparation au concours comme une finalité ;
  • une formation continue insuffisante amène un manque d’acculturation de la profession aux résultats de la recherche créant des ruptures entre les apports de la formation universitaire et les savoirs de l’expérience.

Ainsi placer le concours en fin de licence peut faciliter le recrutement, mais l’argument du Président Macron n’est pas seulement « d’élargir le vivier de candidats », d’autres enjeux apparaissent dans le discours. Quand le gouvernement parle « d’élever le niveau qualitatif de la formation des enseignants, mieux les préparer à l’exercice de leur métier » et quand le projet de l’école est « d’absolument réussir à faire qu’on apprenne à compter, à lire, à écrire, à bien se comporter, puis que l’on acquière les savoirs qui permettent d’être des citoyens libres qui pourront raisonner », on comprend le paradigme dans lequel est pensé l’enseignement-apprentissage.

Tout se joue dans le mot « puis ». L’élève doit obéir, se conformer, apprendre des techniques (les bases) et ensuite il pourra réfléchir, raisonner, choisir. Contrairement aux apports de Jean Piaget, Gérard Vergnaud, Lev Vigostki, aux conceptions de Gaston Bachelard, John Dewey, qui ne datent pourtant pas d’hier et ont été largement éprouvées, il n’est plus question de penser l’apprentissage socioconstructiviste mais bien de revenir à une instruction directe, renommée pour l’occasion « enseignement explicite ». Cette dénomination permet de justifier le choix de ce paradigme par les travaux de Jean-Yves Rochex, Sylvie Cèbe, Patrick Rayou, Jacques Bernardin, alors même que ces chercheurs ne prônent absolument pas l’instruction directe.

À l’encontre des neurosciences

Cette vision est aussi contraire aux résultats des recherches en neurosciences selon lesquelles le développement neuronal est lié à la sollicitation. L’échec de l’école attribué au socioconstructivisme devrait en réalité être imputé au manque de formation qui fait que les professeurs appliquent certaines recommandations ministérielles sans en comprendre les enjeux.

Prenons l’enseignement des mathématiques par les problèmes et l’idée de mettre les élèves en activité. Cette préconisation s’est traduite dans les classes par des mises en œuvre de situations où les élèves ont « à faire » et non plus « à apprendre ». Il est beaucoup plus complexe pour l’enseignant de comprendre et d’identifier les savoirs en jeux et donc de les expliciter aux élèves lors d’une résolution de problème que lors de l’enseignement direct d’une technique. Arriver à analyser l’activité de l’élève pour comprendre ses représentations, l’état de ses connaissances et lui permettre de les enrichir de nouveaux savoirs demande des connaissances disciplinaires et didactiques de haut niveau.

Ajoutée à cela, une attente permanente de performance à des tests standardisés, l’enseignement s’est transformé en un entrainement aux tests, dénué de sens et de réflexion. Il est alors facile de rendre responsable de l’échec actuel de l’école le choix de la complexité et du travail par compétences.

La réforme du collège de 2015 aurait pu amener des transformations favorables au développement d’un réel apprentissage socioconstructiviste (par la pédagogie de projet, l’interdisciplinarité, l’évaluation critériée, etc.), mais très vite les conditions ont été retirées, amenant un repli sur les pratiques usuelles. La formation n’a été dispensée suffisamment largement pour amener les enseignants à devenir des praticiens réflexifs.

Des enseignants exécutants

Tout au contraire, les professeurs ont été très régulièrement amenés à n’être que des exécutants. Ainsi, la labellisation des manuels, si elle peut éviter de voir fleurir des ouvrages non conformes aux programmes, parfois faux du point de vue scientifique, que ce soit dans la discipline enseignée comme du point de vue des théories de l’apprentissage, ne devrait pas enfermer les enseignants dans des pratiques impensées. Évidemment ces manuels peuvent être une réponse rapide au problème de l’embauche de contractuels non formés, pour qui ils seront un « mode d’emploi » à appliquer strictement. Est-ce réellement l’avenir que nous souhaitons pour notre école ?

Oui, notre école pose clairement un problème, mais sa résolution est complexe et le refus des personnes qui nous dirigent de travailler avec les savants est un exemple de non-sens. On peut citer Edgar Morin : « La complexité demande que l’on comprenne les relations entre le tout et les parties. Mais la connaissance des parties ne suffit pas à la connaissance du tout ; on doit faire un va-et-vient en boucle pour réunir la connaissance du tout et celle des parties. » Nous sommes ici bien loin de cette approche de la complexité.

Une autre explication à l’échec de l’école est le manque de confiance en l’intelligence de nos enfants et leur potentiel d’apprentissage. En laissant croire que ce potentiel serait fixé à la naissance et renforcé par les pratiques éducatives des familles, on cristallise un tri social.

Au lieu de lutter contre cette représentation statique des capacités de nos élèves, les nouvelles mesures du « choc des savoirs » ne font que les renforcer. Ne peut-on pas trouver ici une explication à la violence des jeunes, en qui la société ne croit plus et pour qui la répression et le manque d’ambition intellectuelle ne peuvent que renforcer l’adhésion à des croyances censées redonner du sens et de la valeur à leur existence ?

Sylvie Grau
Maitresse de conférences en sciences de l’éducation, Nantes université

Texte rédigé suite à l’assemblée générale des formateurs et formatrices de l’Inspé de l’académie de Nantes, réunis à Angers le 3 avril 2024.

Les formateurs et formatrices de l’Inspé de l’académie de Nantes s’inquiètent des réformes en cours dans l’Éducation nationale et de celles annoncées de la formation des enseignants, enseignantes et CPE.

Nous sommes conscients des difficultés que traverse l’école, en particulier celles du recrutement et de la formation des enseignants et enseignantes et nous sommes disposés à mettre toutes nos expertises au service des réformes profondes que mérite l’école de la République.

Aujourd’hui nous constatons que des annonces sont faites dans le cadre du choc dit « des savoirs » : modification dans le suivi et l’accompagnement des élèves au collège, modifications des programmes d’enseignement, modification dans l’organisation et les contenus de la formation des enseignants et enseignantes.

Sur tous ces sujets, nous dénonçons des réformes et orientations annoncées :

  • sans l’expertise des acteurs et actrices voire contre celle-ci, et au mépris des recherches internationales sur l’enseignement, l’éducation et la formation ;
  • sans bilan des récentes réformes en cours, ni perspective pour notre société sur le long terme ;
  • continuant de dégrader les conditions d’enseignement et d’apprentissage,
  • selon un calendrier irréaliste et intenable.

Nous remarquons une communication qui idéalise l’école d’autrefois, omettant la réalité de ce qu’elle fût, au regard des inégalités sociales en particulier. Nous sommes les premiers témoins de la difficulté à débuter dans l’enseignement aujourd’hui et plus largement à être enseignant, enseignante et personnel de vie scolaire au XXIe siècle. Enseigner ce n’est pas suivre un manuel ou appliquer des méthodes, former des enseignants, enseignantes et des CPE, ce n’est pas leur dicter leur conduite.

Nous demandons à être associés, avec tous les acteurs et actrices, à une refonte de la formation des enseignants, cohérente avec les recherches internationales, ambitieuse pour l’école de la République, respectueuse des étudiants et étudiantes et de leurs élèves à venir.

Nous demandons à être associés, avec tous les acteurs et actrices, à un projet d’école publique émancipatrice, ouverte à tous, permettant à chacun et chacune des élèves d’accéder aux savoirs et compétences nécessaires aux citoyens et citoyennes du XXIe siècle.