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Référents, journées et semaines dédiées : et si on dépassait la pédagogie du bling-bling ?

Le décrochage, la laïcité, l’écocitoyenneté, ou encore l’égalité garçons-filles, c’est important, nul ne dira le contraire. Faire de la prévention ou de l’éducation à ces questions dans les établissements scolaires aussi. Mais si on les cantonne à des « journées de ceci », « semaine de cela » ou qu’on les confie à des référents, on perd de vue la globalité des enjeux et la nécessité de les intégrer dans les enseignements au quotidien.

C’est une tendance de fond au sein de l’Éducation nationale. Voilà plusieurs années que les professionnels de l’éducation voient se multiplier des référents ou des actions ponctuelles (les deux pouvant parfaitement se conjuguer) pour chaque « problème » identifié. L’annonce récente de la création de référents harcèlement n’est qu’une illustration de plus de ce phénomène (d’autant plus gênant lorsque les missions existent déjà par ailleurs).

Référent décrochage, référent égalité fille-garçon, référent école-entreprise, écodélégués (côté élèves)… Nous pourrions égrener ainsi une longue liste que viendraient compléter les semaines des langues, des maths, de prévention du décrochage, du développement durable, de la persévérance scolaire…

Un symptôme de pilotage vertical 

Bien sûr, chacune des thématiques convoquées est parfaitement légitime et fait écho à des enjeux importants. Bien sûr, sans l’existence de ces dispositifs et de ces évènements qui les mettent en lumière, ces enjeux passeraient peut-être au second plan dans de nombreux établissements scolaires.

Toutefois, plutôt que de poursuivre cette inflation de l’évènementiel et de la prise en charge individuelle, il serait peut-être temps d’avoir une vision éducative plus large et surtout de penser une pédagogie qui inclurait toutes ces problématiques, plutôt que de rejeter leur traitement par ces formes d’externalisation ou d’actions ponctuelles.

Politiquement, cette stratégie est évidemment très pratique. Elle permet, à moindre frais, de montrer que l’on s’occupe du problème. Nommer un référent égalité fille-garçon est plus simple et plus visible que de penser une organisation pédagogique quotidienne qui tienne compte de cet enjeu.

Ces pratiques sont un symptôme d’un pilotage vertical qui a besoin de s’autolégitimer. Dans les faits, ces rôles de référent restent parfois des coquilles vides, car les collègues ne se sentent pas légitimes, souvent débordés, ou des rôles qu’on oblige l’un ou l’autre à occuper pour remplir la fonction.

Une stratégie du sparadrap

Le référent ou « la semaine de » sont plus « bling-bling » qu’une pédagogie globalement réfléchie, mais ils permettent assez peu de s’intéresser au fond du problème. Il s’agit davantage d’une stratégie du sparadrap avec deux conséquences majeures.

La première est la tentation de traiter « à part » ces questions et de s’en préoccuper beaucoup moins dans les choix pédagogiques quotidiens (ou même didactiques parfois). Puisque des actions externes ont lieu, puisqu’il existe un référent, il pourrait y avoir un risque que les différents acteurs se dédouanent d’avoir à les prendre en charge, pas forcément de manière pleinement consciente d’ailleurs. De même, un référent va plus facilement avoir tendance à rendre visible son action par des événements plutôt que dans l’ordinaire de la classe. La dilution de la responsabilité collective et la prise en charge par quelques individus qui progressent toujours dans l’expérience de la responsabilité peut finir par poser un véritable problème.

La deuxième conséquence tient au fait qu’en réfléchissant en termes d’actions ponctuelles ou de référents pour un problème ciblé, on oriente l’action vers des facteurs uniques. Or, lorsque l’on réfléchit à la question pédagogique, les différents dispositifs interagissent entre eux comme un système. L’image de l’atomium utilisée par la pédagogie institutionnelle l’illustre parfaitement. Les problématiques comme le harcèlement scolaire ou le décrochage ne peuvent pas faire l’économie de penser le rapport au savoir, le rapport aux autres, le rapport à soi, la place des dispositifs, leur caractère démocratique, le sentiment d’appartenance, les institutions permettant à la parole des élèves de s’exprimer… Cette prise de conscience de l’aspect systémique a pourtant été faite comme en témoigne le travail réalisé autour du climat scolaire.

Le risque d’atomisation que nous décelons comme conséquence est, à notre avis, aussi la cause du problème. C’est peut-être parce que nous atomisons les rapports aux savoirs (par les disciplines dans le secondaire), aux relations (de moins en moins de groupe classe avec la réforme du lycée par exemple) que le décrochage, le harcèlement, risquent d’augmenter. Dans cette hypothèse, l’action est stérile car le remède déployé est en fait le poison contre lequel on veut lutter. D’ailleurs, en primaire, cette tendance aux référents est beaucoup moins forte, sans doute parce que le cloisonnement des savoirs y est moins fort et la cohérence systémique plus présente.

Intégrer les enjeux à l’ordinaire de la pédagogie

Nommer des référents ou promouvoir des actions ponctuelles relève souvent d’une prise de conscience d’un problème, mais parfois cela vient simplement du fait qu’il est à l’agenda médiatique. Outre le côté visible de ces mesures permettant de promouvoir un pilotage par le haut, c’est aussi un alibi qui évite de se questionner sur les formes pédagogiques traditionnelles et sur la forme scolaire dans son ensemble. En venant greffer à l’existant ces différents éléments, une forme de conservatisme s’installe en même temps que l’idée que, dans l’ordinaire de la classe, c’est la seule instruction qui prévaut. Les autres questions éducatives sont alors traitées à part.

Il serait temps de passer d’une logique du « bling-bling » à une logique plus intégrative, plus systémique, plus « intégrale » (pour reprendre l’expression du pédagogue libertaire Paul Robin). Cela peut passer par un pouvoir d’agir plus grand des collectifs locaux, en leur laissant la possibilité de s’organiser par équipes pédagogiques à l’échelle d’une classe d’abord mais aussi à l’échelle de l’établissement. Plutôt que de multiplier les actions ponctuelles et les référents, le projet d’école ou d’établissement, pourrait, par exemple, être un moyen d’identifier et de référencer des objectifs plus en phase avec les problématiques locales, comme c’est déjà le cas pour des dispositifs « d’éducation à ».

Par exemple, les équipes de collège ou de lycée qui se regroupent autour de projets de classes coopératives illustrent cette prise en charge plus systémique où les différentes problématiques s’imbriquent et se traitent par des dispositifs (ou des institutions) qui agissent en système. Cela se fait dans une logique moins visible mais probablement plus préventive.

Il s’agit donc d’éviter deux écueils : celui d’ignorer ces enjeux dans une forme de conservatisme et celui du « bougisme » visible mais qui reviendrait finalement à la même chose, tout en se donnant bonne conscience.

Guillaume Caron, Cyril Lascassies et Laurent Reynaud

Membres du CRAP-Cahiers pédagogiques