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Premiers pas vers les maths – Les chemins de la réussite à l’école maternelle

Ce petit ouvrage de haute précision tente de répondre à la question : faut-il apprendre le comptage dès la maternelle ? En effet, la force en mathématiques semble relever d’un don et ne pas pouvoir faire l’objet d’un travail. Rémi Brissiaud fait l’hypothèse que certains enfants ont raté leur entrée dans les mathématiques, portant une incompréhension fondamentale des « attendus » de cette discipline. Il commence donc par le début : qu’est-ce que le comptage et comment s’acquiert-il ? L’enfant doit apprendre à abstraire des objets comptés l’idée de nombre. Il doit isoler le concept de quatre des séries de quatre (jetons, lapins, élèves…). Il faut se mettre d’accord sur ce qui fait l’identité de la série. Les jetons sont identiques, mais les élèves, non. Il faut distinguer le nom du nombre (le nombre comme numéro) et le dernier nom-numéro comme nom de la totalité. Le subitizing est un concept clé mal compris souvent. Quelque chose permet au petit d’homme de « voir » subitement le nombre trois. Mais cette vision n’est pas innée pour autant, comme le suggère le mot subitizing, elle se construit. Le subitizing contient cependant une obligation didactique de bien viser la compréhension du nombre trois, avant toute extension.
Plusieurs « méthodes » sont mises en jeu pour faire ressentir cette abstraction : le comptage (énumérer la file des nombres) et la décomposition (là, là, là et là : il y a quatre jetons). On crée aussi des collections témoins par des barres établissant une analogie (comme des prisonniers qui comptent les jours). Montrer les doigts est problématique : les doigts ne sont pas égaux et on met toujours le pouce. Des enfants savent dire « j’ai trois ans » en faisant « le » geste de la main, mais ne reconnaissent plus que le geste vaut trois si l’on montre index, majeur, annulaire. Ils ont pris le geste comme un symbole, arbitraire. Ils n’ont pas compris la question : « Combien de… (doigts, ici) ? » Rémi Brissiaud propose de croiser les méthodes : les constellations (avec un pédagogue nommé Brachet qui publie en 1955 !) permettent les décompositions des nombres : énumérer en déplaçant la constellation de petits objets, en traçant d’un geste l’ensemble de la totalité qui grandit… On sait compter quand on sait trouver des décompositions d’un nombre, sans quoi un nombre est un numéro, un symbole, comme une lettre qui n’a pas de sens en elle-même. Brissiaud raconte une découverte qu’ont la chance de faire certains enfants : la maîtresse compte des poules (un, deux, trois, quatre) et des poussins (un, deux, trois) ; elle demande combien il y a de poules, combien il y a de poussins et si chaque poule a un poussin. Ensuite, elle montre le dessin sur lequel elle a compté poules et poussins. Les enfants sont émerveillés d’avoir pu répondre sans voir !
Les études reconnues sur ces débuts en mathématiques sont établies avec des enfants de langue anglaise. Or, en anglais, on distingue le un-article et le un-nombre, on n’a pas masculin-féminin (un/une) dans le comptage, le pluriel est marqué phonétiquement… Quand on parle français, on ne peut se calquer sur les conclusions et procédures des Anglais.
Jusqu’en 1970, on enseignait le comptage en maternelle. Devant les difficultés que les enseignants de maternelle avaient à faire comprendre aux enfants l’idée même du comptage, ce fut abandonné (conformément, de plus, aux idées de Piaget). Puis, vers 1985, les travaux d’une psychologue américaine, Rochel Gelman, ramenèrent le comptage, même en petite section parfois. Il faudrait tirer parti des recherches actuelles et tenir compte de la langue dans l’apprentissage de la signification des nombres et du comptage.
Rémi Brissiaud détaille les progressions qui lui semblent nécessaires, petite section et moyenne et grande section… il propose même une réécriture des programmes. Il déplore l’importance prise par les évaluations et leurs procédures enfermantes (les enseignants risquent de former mécaniquement leurs élèves aux procédures des évaluations)…
Au total, un petit livre pointu, d’une clarté et d’une densité rares, indispensable aux enseignants de primaire et qui peut être très utile à certains parents.

Aurélien Péréol, Roland Petit