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Orthographe : à qui la faute ?

Cet ouvrage publie les résultats d’une enquête qui duplique, une vingtaine d’années après, ceux d’une enquête de 1987, elle-même inspirée d’un travail plus ancien datant des années 1870. Dans tous les cas, il s’agit d’évaluer les performances orthographiques d’enfants et d’adolescents en leur dictant un court texte de Fénelon.
Rappelons, pour mémoire – car bien des médias en ont déjà rendu compte – que cette enquête analyse un corpus de près de 3000 dictées, du CM2 à la 3e, et met en évidence une importante baisse du niveau en orthographe. Les erreurs de 2005 sont en effet plus nombreuses que celles de 1987 – en moyenne 13 fautes contre 8 – avec une nette montée des erreurs grammaticales – 52 % contre 40 % en 1987. Parmi les causes possibles d’une telle situation, les auteures évoquent la réduction du temps d’enseignement consacré à l’orthographe, spécialement au collège, mais également la désaffection d’un apprentissage spécifique – mémorisation et exercices répétitifs. Une meilleure répartition des tâches, entre l’école et le collège, mais aussi entre le secondaire et le supérieur, leur semble également à revoir.
Cet ouvrage est à coup sûr important. Parce qu’en dépit de ses aspects techniques, le contenu en reste accessible et parce qu’il témoigne d’une grande probité intellectuelle. On appréciera au passage le refus réitéré de céder au catastrophisme, dans un contexte de grande morosité didactique. De fait, prendre la mesure du travail présenté dans cet ouvrage implique que l’enquête de 2005 soit lue comme la partie d’un tout, qui associe le corpus de l’inspecteur général Beuvain, dans les années 1870 et celui de 1987. La conclusion de ces enquêtes semble en tout cas sans appel : depuis un siècle et demi, le niveau orthographique ne cesse de baisser. Sans doute pourrait-on discuter le rôle exclusif dévolu à une dictée. Mais la défense qu’en présente D. Manesse est assez convaincante pour que le constat de la baisse de niveau soit traité comme une hypothèse de travail à partir de laquelle il convient d’imaginer autrement l’orthographe et son enseignement.
Or, à y bien réfléchir, cette baisse du niveau apparait comme sociologiquement inéluctable. Plusieurs éléments de l’analyse de Manesse & al. vont d’ailleurs dans ce sens. Nous en retiendrons un, essentiel, qui résulte de la contradiction entre le nombre d’heures que nécessite l’enseignement de l’orthographe du français – sans communes mesures avec d’autres communautés linguistiques – et la diversité de plus en plus grande des rôles que l’école est censée jouer. Ce qui fut possible naguère, dans des conditions et avec des résultats qu’il conviendrait d’ailleurs d’examiner de près, ne l’est plus aujourd’hui. Le statut social de l’orthographe elle-même est en train de changer, sinon dans les paroles – qui demeurent plutôt conservatrices -, du moins dans les faits. Démocratisation de l’écrit oblige, ce qui était autrefois réservé à une élite professionnelle ne l’est plus et chacun peut s’apercevoir que les normes orthographiques sont plus faciles à exiger quand ce sont les autres qui écrivent. Comme le disait un chroniqueur du Monde, « Il en va de l’orthographe comme de la fumée de cigarette… Ce sont surtout les fautes des autres qui nous gênent. »
Alors que faire ? Bien entendu, moderniser l’orthographe du français, en simplifiant d’abord son versant grammatical, à l’origine de la plupart des erreurs depuis… des décennies. Une prise de conscience est plus que jamais indispensable, de la part des parents d’élèves et des enseignants. Confrontés aux problèmes qui sont les leurs dans ce domaine, on peut d’ailleurs se demander pourquoi ceux-ci ne sont pas plus combatifs. Par ailleurs, si l’école doit enseigner l’orthographe telle qu’elle est, rien ne l’empêche de mieux organiser cet enseignement, en sélectionnant les contenus, et en le
répartissant tout au long de la scolarité, université comprise.
Car, en tout état de cause, l’objectif du secondaire n’est pas d’enseigner toute l’orthographe. Pas plus qu’il n’est possible, au terme de la scolarité obligatoire, d’être expert en histoire ou en anglais, il n’est possible de l’être en orthographe. Plutôt que de soumettre l’ensemble de la collectivité aux exigences impérieuses d’une norme absolue, ne vaudrait-il pas mieux mettre des formations complémentaires à la disposition de ceux qui en ont besoin, pour des raisons professionnelles notamment ? En orthographe comme ailleurs, c’est la nécessité sociale qui doit déterminer les compétences propres à chaque citoyen.

Jean-Pierre Jaffré