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« Mettre la lecture au cœur de nos discussions de classe »

Comment faire lire les élèves ? Que le ou la professeure de français ou des écoles qui ne s’est jamais posé la question lève le doigt ! Pourquoi pas en leur faisant tenir un carnet de lectures ? Céline Walkowiak, professeure de français au collège de Loos-en-Gohelle (Nord) et membre du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, vient de publier avec Isabelle Valdher-Harbonnier, professeure-documentaliste dans le même collège, Mon carnet de lectures (pour la 6e et la 3e), un outil clé en main chez Hachette éducation. Elle nous présente la démarche.
Qu’est-ce qu’un carnet de lectures ?

Le carnet de lectures a pour objectif de prendre en compte l’intégralité des lectures d’un élève au cours de l’année, à la fois celles prescrites en cours mais également toutes ses lectures personnelles. Il lui permet de s’interroger sur son rapport à la lecture, le temps qu’il est prêt à y consacrer dans la semaine, sur ses gouts et ses pratiques, de garder trace de toutes ses lectures et, grâce au bilan de fin d’année, de se voir progresser.

Il est inspiré des « bullets journaux » (bullet désignant l’item à cocher dans une liste) et de certaines pratiques de communautés de lecteurs sur les réseaux sociaux, comme la PAL (la pile – de livres – à lire) ou les challenges, mais prend soin de répondre également et surtout aux attentes des programmes de la classe de français. En effet, la partie « Lectures en classe » propose des restitutions en lien avec les thèmes du programme. Par exemple en 6e, des restitutions de contes, de récits d’aventure ou de ruse, tandis que celui de 3e propose des restitutions de récits autobiographiques, satiriques ou engagés. Sans oublier le théâtre et la poésie.

Depuis combien de temps le pratiquez-vous avec vos élèves ? Qu’est-ce que ça leur apporte ?

Nous réfléchissons avec Isabelle au parcours de lecteur de nos élèves depuis une dizaine d’années. Nous partageons en effet un objet d’enseignement commun, la lecture. Cela nous a donné envie de coanimer un certain nombre de séances régulières sur cet objet. Isabelle vient parfois dans la classe, ou c’est nous qui nous déplaçons au CDI (mais comme la porte du CDI est en face de la porte de ma salle, nous encourageons souvent les élèves à effectuer d’eux-mêmes ces allers-retours). C’est donc un fil rouge que nous tirons toute l’année scolaire, avec des points d’étape réguliers dans le parcours de lecture de nos élèves. Nous travaillons en classe avec des journaux de lecture depuis cinq ou six ans, et, il y a deux ans, une équipe de chercheuses du laboratoire Geriico de l’université de Lille, Florence Rio et Elsa Tadier, a suivi ce travail : leurs retours nous ont permis de faire évoluer l’innovation vers ce carnet de lectures édité par Hachette éducation.

Cette démarche permet d’affronter frontalement la difficulté de faire lire tous les élèves dans une classe. Nous avons toujours dit à nos élèves en début d’année : « Vous pouvez être des petits lecteurs, ne pas trop aimer lire. Nous l’acceptons. Mais nous vous demandons de progresser durant cette année passée en notre compagnie. » Ce carnet est rempli, ramassé, commenté, discuté avec les enseignantes et les pairs. Cette pratique est intimement liée au travail de la classe, aux échanges oraux avec les autres. Il permet de mettre la lecture (et ses difficultés) au cœur de nos discussions de classe.

De plus, il y a de fortes injonctions institutionnelles autour de la lecture : cet outil s’articule très bien avec tout le travail mené autour de la fluence (impossible à déconnecter de la construction du sens et du plaisir de lire), le quart d’heure lecture (les carnets contiennent une page dédiée à ce dispositif national) ou le « Silence, on lit ! », et le carnet de lecture tel qu’il est décrit dans les programmes de français du lycée.

Pourquoi en éditer de tout faits ? Est-ce que ce n’est pas mieux de le faire fabriquer aux élèves ?

Jusqu’à présent, nous utilisions des petits cahiers de brouillon demandés dans la liste de fournitures. Cependant, le « bullet journal » est, par nature, un outil graphique et visuel. C’est dans l’ADN de l’outil d’être agréable à feuilleter et attractif. Nous encouragions de ce fait nos élèves à faire preuve de créativité, à sortir de la représentation scolaire de la fiche de lecture. Pourquoi ? Parce que l’injonction de lire et d’y prendre du plaisir est très paradoxale. Et ce paradoxe est au cœur de la réflexion de tout professeur de français. Comment donner envie et plaisir de lire sous la contrainte ? Comment créer des habitudes de vie par l’exercice scolaire ? Donc, pour réduire ce paradoxe, on cherche à se dégager de l’exercice purement scolaire. On demande aux élèves de faire leurs restitutions sur autre chose qu’une feuille de classeur à carreaux, de mettre de la couleur, des images. Est-ce que ça donne davantage envie de lire aux élèves ? Pas à tous. Mais c’est en tout cas ce que les enseignants cherchent à faire avec ces pratiques plus ludiques et créatives.

Moi-même, j’encourage mes élèves à proposer des restitutions de lecture par le dessin, les nuages de mots, les collages ou autres moodboards. Pédagogiquement, c’est très intéressant d’exprimer par l’image la compréhension d’un texte, et cela empêche également les élèves de recopier mot à mot une restitution trouvée sur internet.

Il y a deux ans, après les vacances d’hiver, un élève est arrivé en classe avec son carnet entièrement recopié dans un joli carnet qu’il avait eu à Noël. D’autres élèves l’ont alors assez rapidement imité. Nous avons tout d’abord pris cela comme un excellent indice d’appropriation de l’outil par les élèves (ce que c’était, d’ailleurs), mais nous avons négligé le fait que d’autres élèves s’en détournaient sous prétexte qu’ils n’avaient pas les moyens d’acheter un beau carnet ou de le décorer avec des éléments de scratchbooking.

D’autres élèves ont également verbalisé leurs complexes face à une injonction de créativité : certes, le carnet de Lou, élève de 3e, était magnifique, mais elle se destinait à des études d’arts appliqués et les autres élèves de la classe n’osaient pas se lancer face à elle. Et pourtant, ils en auraient eu envie…

Nous avions donc besoin d’aide sur des compétences que nous n’avions pas, notamment graphiques. Le partenariat avec Gaël Gauvin et Jessica Alleguède, nos éditeurs, nous a permis d’affiner notre conception de l’outil et de travailler avec une graphiste, un illustrateur et des maquettistes. En proposant par exemple des illustrations à compléter, comme nous le faisons dans les carnets, nous mettons tous les élèves à égalité avec un outil déjà maquetté, ce qui nous permet de nous concentrer sur l’objectif premier, qui est de faire lire.

Comment les avez-vous conçus ?

Nos premiers carnets proposaient aux élèves de mélanger lectures en classe et lectures personnelles, au fil de la chronologie, sans distinction entre les restitutions. C’était une erreur qui ne tenait pas compte de la nature très particulière de cet outil, un outil scolaire qui a comme prétention d’entrer dans la vie privée des élèves. En effet, les enseignants le ramassent et l’évaluent. Les élèves avaient de ce fait du mal à entrer complètement dans la démarche, sans retenue.

Dans les carnets que nous publions, nous proposons deux parties distinctes, les lectures en classe et les lectures personnelles, avec des modes de restitution différents : les restitutions de classe sont très guidées et permettent aux enseignants d’évaluer certains savoirs vus en cours, alors que les restitutions personnelles n’exigent des élèves que quelques traces de lecture moins contraignantes et plus ludiques. Le carnet commence par une première partie qui propose à l’élève de dresser son autoportrait de lecteur ou de lectrice et une dernière partie bilan qui vise à évaluer les progrès. Nous y avons également ajouté une partie « Ma vie littéraire », qui contient des pages pour garder traces des lectures pendant le quart d’heure de lecture, pour visualiser les endroits de sa ville ou de son quartier où l’on peut se procurer des livres, des pages pour préparer une rencontre avec un auteur ou une autrice ou pour participer à un prix littéraire. Le carnet de 3e intègre également les pratiques numériques que pourraient avoir certains élèves.

Pour l’instant, il n’y a que les carnets pour la 6e et la 3e : d’autres niveaux viendront après ?

Oui ! Les premiers retours montrent une forte demande d’extension de cet outil : on nous le réclame pour le premier degré, pour le lycée, le lycée professionnel, les BTS, même. Pour l’instant, nous continuons la collection au collège, mais rien n’empêche de l’étendre par la suite.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Sur notre librairie :

N°565 – Lire, comprendre

Dossier coordonné par Ben Aïda et Élisabeth Bussienne
La compréhension occupe-t-elle la place qu’elle devrait dans l’enseignement de la lecture ? Si le travail de compréhension s’est longtemps borné à la «  vérification  » par des questions, orales ou écrites, les dispositifs et les pratiques se sont diversifiés, et comprendre est devenu un objet d’enseignement.