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Les ados et l’écriture aujourd’hui

Quelles sont les pratiques d’écriture des adolescents aujourd’hui ? Le 12 décembre dernier, à la Maison de la poésie à Paris, était organisé un colloque par l’Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents de Lecture jeunesse, association qui publie enquêtes et réflexions souvent passionnantes sur le sujet. Il s’agissait de mieux connaitre ces pratiques et de se demander comment les prendre en compte, notamment à l’école.

« Et pourtant, ils lisent ! » écrivaient Christian Baudelot et Marie Cartier dans un ouvrage publié sous ce titre en 1999. On pourrait, en découvrant l’enquête présentée en décembre lors du colloque de l’association Lecture jeunesse, déclarer aussi : « Et pourtant, ils écrivent ! » Sur les 1500 jeunes de 14 à 18 ans interrogés, 59 % disent écrire « tous les jours » et seulement 8 % « jamais ». Pour la plupart d’entre eux, écrire sert d’abord à « noter pour ne pas oublier et à organiser ce qu’on a en tête ». Mais 68 % écrivent leurs pensées, 62 % leurs émotions et 43 % inventent des histoires.

Par ailleurs, 81 % jugent qu’écrire à la main est toujours utile, l’écriture manuscrite est considérée comme gage d’« authenticité ». Il y a en fait un va-et-vient entre le manuscrit et le numérique. Contrairement à une idée reçue, l’écriture adolescente n’est pas impulsive, car un adolescent sur deux fait un brouillon avant de publier sur les réseaux sociaux.

L’école est objet d’attentes, et beaucoup de jeunes aimeraient qu’on leur apprenne davantage à rédiger. Sans surprise, ceux qui n’écrivent pas sont plutôt de milieu défavorisé.

Lors du colloque, des intervenants, chercheurs, enseignants, bibliothécaires ont commenté ces résultats et proposé des pistes pour une meilleure prise en compte de ces réalités, bien plus contrastées qu’on ne le dit.

J’ai noté pour ma part quelques moments forts des interventions, souvent riches et bien éloignées du déclinisme pessimiste et d’un certain mépris de la jeunesse régnant actuellement.

Ne pas négliger l’écriture non littéraire

Anne-Marie Chartier a rappelé combien, au cours du XXe siècle, l’école a peu à peu délaissé l’écriture (au profit de la seule lecture, oubliant les interactions entre elles) et a survalorisé son aspect « littéraire » au détriment de l’écriture non fictionnelle (plus axée vers la communication) qui ne s’apprend pas suffisamment et est dépréciée. Cela accroit les inégalités, car les enfants de CSP+ peuvent avoir une aide familiale (par exemple pour rédiger une lettre de motivation).

Les adolescents revendiquent une reconnaissance de leurs écrits, mais certains considèrent que ce qu’ils produisent n’est pas vraiment un écrit puisque, comme dit Vahiné, 15 ans, « quand les profs parlent d’écriture, c’est vraiment des textes construits et réfléchis, et moi je ne fais pas souvent ça, donc je pars du principe que je n’écris pas ».

Anne Cordier, chercheuse en sciences de l’Information et de la Communication et impliquée dans l’enquête, ajoute qu’il est difficile pour les adolescents de « prendre des risques » de se livrer dans leur écriture quand par ailleurs certains les traitent de « crétins digitaux ».

Elle souligne également que les stéréotypes genrés continuent à peser, l’idée que « les hommes pensent, les femmes ressentent » reste encore dominante, mais de nombreuses filles tentent de dépasser cette assignation au ressenti émotionnel et à l’intime en développant une écriture féministe, engagée.

Évaluer le processus

Concernant l’école, Anne Cordier pense qu’il faudrait évaluer davantage les processus d’écriture que le produit fini, la note en particulier ne permettant pas de repérer finement ce qui va et ne va pas dans un texte. Il faudrait aussi utiliser plus souvent l’arme de l’humour (une enseignante évoque un travail sur Œdipe vu par des magazines à scandale…) et divers objets qui peuvent nourrir l’écriture.

Pierre Moinard, qui enseigne à l’Inspé de Poitiers, insiste sur les vertus de l’écriture collaborative qui est partage de processus, échanges, entraide et qui devrait aussi être pratiquée davantage à l’école. Une enseignante, Hella Feki, évoque des « cercles de scripteurs », mais aussi le recours à des textes d’écrivains et des citations, pour nourrir l’écriture personnelle.

L’inspecteur général Alain Brunn suggère qu’on pourrait s’appuyer davantage sur les allers-retours avec l’oral (avec par exemple recours aux commandes vocales) tandis qu’on évoquait l’utilisation fréquente d’outils numériques comme Notes sur le smartphone.

Diversifier les écrits

Anne Vibert, inspectrice générale honoraire, pose la question : « Où et comment l’écriture s’apprend-elle ? » Et observe, concernant notre école, des attentes pas assez explicites (par exemple, concernant la tension entre respect de normes et créativité) et aussi un accompagnement insuffisant. L’écriture continue à être évaluée à partir des « manques » et non des réussites. L’obsession de l’orthographe reste forte et les écrits pas assez diversifiés.

Et on a tendance à en rester à l’écriture en cours de lettres alors qu’elle se déploie dans toutes les disciplines. Apprend-on à écrire en histoire, en sciences ? Il faut plus que jamais mettre en place des apprentissages continus pour former des « scripteurs éclectiques et profonds » qui savent donc s’adapter à tel ou tel objectif (en maniant tantôt la fiction, la fantaisie, tantôt une écriture plus documentaire ou informationnelle), mais aussi produire de la réflexion sur leurs écrits.

Mais terminons sur une note positive pour l’école, en lisant les propos de Tatiana, 18 ans : « Je pense que je n’aurais pas eu de facilités à rédiger comme je sais le faire maintenant sans l’école, et je pense que si je n’avais pas été scolarisée, je n’aurais pas eu l’organisation avec les listes ou le fait de mettre les choses au clair. »

Jean-Michel Zakhartchouk

Pour en savoir plus :

Les résultats de l’enquête : https://injep.fr/wp-content/uploads/2023/11/rapport-2023-12-Ado_ecriture_Synthese.pdf

Replay du colloque disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=a0phsXLDZBs

Le site de Lecture jeunesse : https://www.lecturejeunesse.org/


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