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« L’usage d’un outil numérique suppose de s’exercer, de tenter, d’échouer pour refaire »
Sylvie Grau : Pour moi, c’est à la fois former à l’usage des outils et à une analyse réflexive de ce que ces outils modifient dans ma façon de vivre le monde. C’est-à-dire bien connaitre les possibilités offertes par l’outil, savoir même comment le détourner de sa fonction première pour l’adapter à mes besoins, mon contexte. Et prendre conscience de la plus-value apportée, comparée aux effets, au cout, aux contraintes. Et cela, à différents niveaux, pour moi en tant qu’individu, pour les organisations dont je fais partie, pour la société dans son ensemble.
Jean-Pierre Guédon : La question qui se pose est celle de la normalisation. Faut-il une éducation numérique imposée par le haut avec une norme garantissant une certaine égalité ? On s’aperçoit que dans les entreprises où cela se passe, il y a malgré tout, à terme, plus d’initiatives et d’autonomie ensuite que dans celle où rien n’est imposé au départ. Actuellement l’État n’impose pas grand-chose du point de vue de l’éducation numérique, en particulier au primaire.
John Kingston : Ce serait une prise de conscience, en effet. Le numérique qui entre vraiment dans la classe, c’est le digital dans la poche ou dans le sac. Globalement, les jeunes passent plus de temps sur leur téléphone et autres écrans qu’en classe. Avec une structure pyramidale du haut vers le bas et du sachant vers les élèves qui est remise en cause par ce numérique venu d’ailleurs, qui a modifié largement la façon d’être, de penser, de travailler. Géographie et vitesse de l’information ont changé, avec une intensité qui relève du « bazar », bien souvent : beaucoup d’informations ne servent à rien et détournent l’attention du besoin ou encore du travail à effectuer par des mécanismes psychologiques douteux. Par exemple, on s’appuie et on fait confiance à un outil de plus en plus sophistiqué, mais qui n’a pas forcément les mêmes objectifs que celui qui les utilise (avec des prescriptions fortes du monde socioéconomique et du monde privé).
S.G. : C’est possible à condition de ne pas devenir esclave du numérique, d’avoir encore la possibilité de choisir et de décider. Par une vraie décision, pas ce simple choix de bouton « accepter/refuser » qui s’affiche aujourd’hui sur chaque page internet visitée.
L’objectif de l’école est de développer cette capacité réflexive. Ce développement suppose d’amener chaque élève à mieux se connaitre et à avoir les connaissances suffisantes pour avoir un pouvoir d’agir et de décider. Cela ne passe pas par des formations individuelles à distance, car cela suppose des mises en débat et des confrontations avec les autres. L’usage d’un outil numérique se vit avec le corps, la posture, les expressions. Cela suppose aussi de s’exercer, de tenter, d’échouer pour refaire, sans une évaluation permanente. Un « tuto » ne permet pas de comprendre les astuces de chacun. C’est en comparant nos usages que l’on ouvre de nouveaux possibles.
J.K. : Si on prend les réseaux sociaux comme LinkedIn, on accède à des experts plus facilement et surtout plus rapidement qu’avant. On a aussi la notion de surplus cognitif que l’on retrouve avec Wikipedia, ça va vite, c’est pratique, c’est relativement confortable, ou encore le site de vulgarisation scientifique Science étonnante. Est-ce suffisant ? N’y a-t-il pas un biais ? Le phénomène de la bulle à filtre algorithmique, à travers les « likes » notamment, enferme les gens avec ceux qui pensent comme eux. Cet impact n’est pas encore bien mesuré. Cela revient à se demander si et éventuellement comment les relations humaines sont modifiées par le numérique.
S.G. : C’est ce qu’on espère, que ce soit pour penser la différenciation et l’inclusion, pour imaginer des nouveaux contextes pour travailler les savoirs disciplinaires, pour avoir des exemples d’analyses et prendre du recul, et donc s’autoriser à essayer. Les expérimentations peuvent être transposées, de même que la manière de questionner l’usage qu’on fait du numérique dans nos classes. Le dossier des Cahiers pédagogiques peut aussi être un bon support de réflexion pour les équipes dans les établissements. Il est plus que temps de penser des lieux de coconstruction collective d’un véritable parcours numérique pour nos élèves.
J.K. : Tout le monde n’a pas essayé tout ce qui est écrit dans le dossier, donc, par l’exemple, chacun pourra y puiser une idée ou une pratique nouvelle. L’enseignant est, en effet, assez isolé, c’est rafraichissant et rassurant de voir ce que l’autre fait derrière le mur. Cela donne le sentiment de faire partie d’une communauté de pratiques.
J.-P.G. : Le dossier donne de l’information à son tour, mais aussi met en relation !
J.-P.G. : Ce que j’ai appris, c’est la très grande diversité des essais d’enseignants pour vivre cet humanisme numérique dans leur école. Pour avoir vu cette montée du numérique dans différents types d’industries où il existe « un plan numérique », qui doit être le même pour tous de sorte que chacun partage les mêmes règles, c’est très différent dans l’éducation ! Ici, chacun essaie, partage, réussit ou rate. L’intérêt des Cahiers est de montrer cette diversité afin que d’autres copient ou inventent leur propre chemin numérique à partir du partage.
Seul point noir dans cette non-organisation : quel sera l’avenir donné à toute cette énergie ? Sera-t-elle juste perdue avec le temps ? Y aura-t-il un moment où l’institution prendra le relai ? Quelle « égalité des chances » numérique à venir, selon que l’on a des enseignants motivés par cette facette, qui ne rentre ni dans l’éducation des enseignants ni dans les règles de l’école, du collège ou du lycée ?
J.K. : Moi, j’ai surtout appris que je n’avais pas le temps de faire le travail de relecture que demande cette coordination ! On a eu beaucoup de propositions d’articles, ça prend un temps incommensurable. J’ai cependant gagné en confiance, je n’avais pas l’impression d’avoir grand-chose à dire au départ sur le sujet mais, au final, je réalise que j’avais deux ou trois remarques éventuellement utiles.
S.G. : Ce qui m’a surprise, c’est toute la richesse que le numérique peut apporter dans différents domaines, mais aussi l’incroyable prévisibilité de notre activité humaine. Je me demande si cette prévisibilité est une cause ou une conséquence de l’univers numérique qui nous entoure. En fait, derrière, c’est toujours la question de la norme qui m’intéresse !
J’ai aussi appris de mes compagnons, qui ont chacun des compétences incroyables, c’était une belle rencontre, comme à chaque dossier que j’ai coordonné.
Je suis convaincue que c’est l’écriture et même la coordination qui permet d’apprendre, plus que la lecture des dossiers ! Les Cahiers sont un rare espace d’écriture professionnelle collaborative, en fait, on apprend en écrivant à plusieurs.
Sur notre librairie :
N° 580 – Vers une éducation numérique
Coordonné par Sylvie Grau, Jean-Pierre Guédon et John Kingston
Un dossier pour explorer les mutations des apprentissages, des savoirs, des rapports au monde et des rapports humains en jeu dans l’enseignement par et au numérique. Quels savoirs et compétences pour un monde devenu numérique ? Comment éviter que l’école ne renforce la « machine à exclure » par sa mutation numérique ?