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L’image, cet élément déclencheur en EMC
Présentation d’un travail sur les compétences civiques en EMC (enseignement moral et civique) liées à la liberté d’expression autour des médias vidéos et notamment à travers l’analyse de reportages.
« L’image n’enseigne rien par elle-même, mais le regard peut s’éduquer », nous dit Régis Debray1. Enseigner l’image dans une société saturée d’images ? Enseigner l’image, car nous vivons dans une société saturée d’images. En tant qu’enseignant, nous nous devons de participer à l’éducation au principe de réalité et l’image animée (celle des journaux télévisés notamment) offre alors un support pédagogique idéal autant qu’un objet de réflexion personnelle. La boucle est bouclée. Pour mettre en œuvre cette réflexion, j’ai organisé deux séquences d’éducation civique de 4e à partir de reportages télévisés visibles sur les sites web des chaines télévisées (Francetv info, MYTF1, chaine YouTube de BFMTV, etc.). L’utilisation de ces vidéos ne pose pas de problème juridique, puisqu’elle respecte l’accord sur l’utilisation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche. Ils ont servi de supports de connaissances, mais aussi de supports à la formation médiatique des élèves. L’évaluation sommative a pris, quant à elle, la forme de la production d’un reportage audiovisuel visant à mettre en pratique les connaissances civiques et médiatiques des élèves. Les programmes d’éducation civique de 4e et les ressources d’accompagnement insistent sur l’aspect pratique que doit recouvrir cet enseignement. Or, il semble évident que la vidéo (à la télévision ou sur le web) fait partie des pratiques culturelles courantes de nos élèves. Le cours sur « L’exercice des libertés » se doit d’aborder les notions de liberté de conscience, liberté d’expression, etc. et les ressources d’accompagnement invitent les enseignants à montrer l’évolution du droit à partir du cas du respect de la vie privée et du droit à l’image. Elles proposent également comme support les thèmes de l’internet et « un sujet en rapport avec l’actualité ». La convergence de ces textes officiels démontre la pertinence d’une étude reposant sur des reportages audiovisuels portant sur les libertés. Au fur et à mesure des séances, j’ai proposé aux élèves de compléter des questionnaires portant sur le contenu civique, mais aussi sur la forme médiatique de ces reportages.
Pour faciliter une progressive acquisition du langage audiovisuel, je me suis appuyé sur le fascicule Jeune journaliste reporter d’images proposé par le Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) de Bordeaux sur son site. Les élèves ont ainsi découvert la structure du reportage (lancement, alternance de séquences et d’interviews, pied), les concepts journalistiques de base (réponses aux questions essentielles, règle des lignes de force lors des interviews, charte de déontologie, etc.) et la grammaire de l’image animée (cadrage, angle et point de vue, temps de chaque plan, etc.). Formés aux pratiques journalistiques, les élèves ont ensuite produit en binôme un reportage portant sur une liberté. En s’initiant aux complexités de la production d’information, ils développent autonomie et esprit d’initiative. Objectif à long terme ? Que prospèrent des médias pluralistes de qualité pour le public exigeant de demain, formé aux pratiques journalistiques, à une actualité transformée par les pratiques numériques dans un esprit de citoyenneté actif et participatif , et exercée par les collégiens tout en exerçant directement leur propre liberté d’opinion, d’expression ou de presse ! Cette réalisation s’est déroulée sur plusieurs semaines, afin de permettre aux élèves une certaine souplesse d’organisation, avec un carnet de bord qu’ils ont défini au préalable à partir d’une structure que j’avais élaborée. De nombreuses compétences ont pu être évaluées, que ce soit dans la maitrise de la langue française (rédiger un texte bref, adapter son mode de lecture), dans la culture humaniste (mobiliser ses connaissances pour donner du sens à l’actualité, porter un regard critique sur un fait, etc.), la maitrise des techniques usuelles de l’information et de la communication (utiliser les logiciels et les services à disposition, traiter une image, un son, une vidéo, etc.), les compétences sociales et civiques (principaux droits de l’homme et du citoyen, fonctionnement et rôle des différents médias) ou l’autonomie et l’initiative.
J’ai procédé à un modeste sondage auprès des élèves des trois classes concernées (une soixantaine) et de la communauté éducative. Il en est ressorti que les bugs informatiques avaient été la principale cause de mécontentement. Le long temps de travail requis par rapport à un devoir classique et, parfois, les problèmes de répartition des tâches étaient, eux, largement compensés par le temps agréable passé ensemble et par l’acquisition de compétences informatiques réutilisables dans des projets personnels. En outre, les élèves soulignaient une meilleure appropriation des connaissances, des compétences, et disaient avoir apprécié de rencontrer les adultes de l’établissement dans un contexte différent. Les trois quarts des élèves ont répondu au questionnaire et ont demandé à l’unanimité de renouveler l’expérience. Les adultes sollicités par les apprentis journalistes (un journaliste et un journaliste reporter d’image, d’où l’organisation en binôme) pour répondre à leurs questions ont souligné, dans une grande majorité des cas, leur professionnalisme et leur prise d’initiative.
J’ai donc organisé la deuxième leçon d’éducation civique intitulée « Droit et justice en France » de la même façon. J’ai pris soin de ne pas multiplier les supports vidéos entretemps, afin d’éviter toute lassitude. Une fois encore, le programme incite à cette démarche d’éducation aux médias, en insistant sur l’utilisation d’exemples concrets, et le quatrième chapitre demande même aux enseignants « d’évoquer un évènement judiciaire d’actualité et sa couverture par des médias », le professeur devant proposer […] « l’étude d’extraits d’articles de journaux de l’année scolaire, de documents audiovisuels, de sites web, etc. ». Le but que je poursuivais alors était de vérifier l’acquisition, voire l’approfondissement des compétences évaluées préalablement (pour certains de les acquérir grâce à un certain recul et une meilleure visibilité des attentes) tout en complétant la démarche par une éducation à l’utilisation responsable d’internet. En effet, les reportages étant lus directement sur les sites des chaines, nous avons développé une réflexion portant sur la responsabilité juridique des producteurs, des diffuseurs-éditeurs et des hébergeurs de vidéos. Nous avons aussi vu comment le citoyen pouvait agir en dépassant le simple « j’aime »ou « j’aime pas » par des commentaires intéressants et un partage judicieux de vidéos, ou comment il pouvait se protéger (déposer une plainte pour non-respect de la vie privée). Nous avons également étudié le contexte de la vidéo, l’aspect multimédia et l’importance du lien hypertexte ainsi que l’économie des médias2.
L’activité a demandé une implication importante, les élèves étant très réceptifs au langage audiovisuel en classe et très demandeurs de précisions et de soutien lors de la réalisation des reportages (notamment lors des récréations). Elle oblige aussi une réflexion forcément intéressante sur sa pratique pédagogique et sur le travail en équipe (par exemple, mieux informer au préalable la communauté éducative tout en prenant en compte que la logique médiatique vise à obtenir le naturel lors des interviews, amélioration de la communication avec la vie scolaire pour encadrer le tournage dans la cour, etc.). Cette expérience visait plusieurs objectifs (civiques, médiatiques, numériques) mais, comme l’écrit Régis Debray3, elle était duale, car intégrant à la fois « un risque toujours possible : que le discours vienne tuer le plaisir ; un espoir : que le premier finisse par accroitre le second. » Les élèves ont tranché.
Accord sur l’utilisation des œuvres cinématographiques et audiovisuelles à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche
Signé entre le ministère de l’Éducation nationale et la Société des producteurs de cinéma et de télévision (Procirep) entre autres, cet accord, conclu pour la période 2009-2011 et pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction, stipule que « s’agissant du cinéma et de l’audiovisuel, est autorisée la représentation dans la classe, aux élèves ou aux étudiants, d’œuvres intégrales diffusées en mode hertzien, analogique ou numérique, par un service de communication audiovisuelle non payant. Dans les autres cas, seule l’utilisation d’extraits, dans les limites précisées par l’accord, est possible. Les reproductions temporaires d’œuvres intégrales ou d’extraits d’œuvres exclusivement destinées à la représentation en classe sont couvertes par les accords. […] L’œuvre est divulguée sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ». En outre, France Télévisions, notamment, fait partie du collectif d’une cinquantaine d’institutions militant pour faire de l’éducation au numérique des Français la grande cause nationale de 2014.
- Régis Debray, Le stupéfiant image, éditions Gallimard, 2013.
- une discussion sur le « big data » à partir des publicités placées à côté des vidéos et du visionnage de la vidéo nous a amené à une réflexion sur : « si c’est gratuit, c’est vous le produit », afin de mieux comprendre pourquoi tous les reportages vus en classe l’avaient été sans contreparties financières..
- Ibidem