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Les réseaux d’établissements, enjeux à venir

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L’ouvrage de Richard Étienne conduit le lecteur, au fil du temps, vers des prospectives qui justifient le sous-titre de cet essai.

Si l’auteur initie son propos au début du XIXe siècle et le poursuit très vite jusqu’à l’émergence d’établissements publics locaux d’enseignement (EPLE), c’est pour mettre l’accent sur un centralisme républicain encore présent aujourd’hui. Que ce soient des réformes institutionnelles, telle le décret Berthoin de 1959 qui impose un allongement de l’instruction obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans puis l’instauration du collège unique (Haby, 1975) ou des initiatives laissant une plus grande part aux acteurs (colloque d’Amiens, 1968, posant la problématique de l’autonomie de l’établissement), rien, jusqu’à la fin des trente glorieuses, n’a permis aux établissements scolaires de suivre le développement sans précédent de la société française. Le changement politique de 1981 réalisera la rénovation pédagogique des collèges (1982) et les lois de décentralisation finaliseront l’idée d’autonomie de l’établissement secondaire en donnant un statut juridique en même temps qu’une dénomination nouvelle aux EPLE. Tel est l’objet de la première partie de l’ouvrage de R. Étienne, agréablement ponctuée d’inserts de textes de références qui appuient son argumentation.

Dans le chapitre suivant, il développe l’idée que les efforts politiques et la reconnaissance juridique de l’établissement ne suffisent pas à le fonder : il manque un élément fédérateur, le projet d’établissement, qu' »il a fallu une décennie pour imposer » précise l’auteur et « une [autre] pour déchanter à la suite des imperfections d’une démarche trop volontariste et insuffisamment suivie pour être efficace ».

Sur le modèle du management participatif qui, dans les entreprises, est instauré pour améliorer la production en passant par la responsabilité partagée des acteurs, le projet d’établissement a pour objectif de doubler la verticalité hiérarchique d’une horizontalité invitant les élèves, les enseignants, la classe, les élus, les parents et l’environnement à se retrouver au cœur de l’établissement. Il apparaît bien vite que les réalités de terrain offrent des lectures fort diverses de l’application de l’obligation légale (1989) de projet d’établissement. C’est plus souvent le chef d’établissement ou son adjoint qui rédige le projet que l’ensemble des participants pressentis. De multiples incohérences ou résistances voient le jour ; les enseignants se sentent démunis dans un établissement qui doit être à la fois lieu de vie et de travail scolaire. C’est « quand il [l’établissement] est le plus en proie au doute qu’il est censé aider à la prise d’assurance » remarque Richard Étienne.

La troisième partie tente de faire le point sur les défis qui attendent l’établissement scolaire en proie aux contradictions d’une société désorientée à la recherche de valeurs de références. C’est sans doute une des raisons qui ont présidé à l’entrée de l’orientation dans l’établissement. L’auteur relève, avec beaucoup de justesse, les difficultés des conseillers d’orientation psychologues (COP) qui ont pour mission d’éduquer entre 1 500 et 3 000 élèves à s’orienter dans cet univers scolaire et qui ne trouvent pas leur place au sein de l’équipe éducative de l’établissement. Autre défi à relever, l’éducation à la citoyenneté n’est pas le remplacement de l’éducation civique comme discipline mais plutôt une éducation à la démocratie : comment parler de démocratie quand les seuls signataires des règlements intérieurs sont les élèves et leurs parents ? Les dilemmes ne manquent pas et minent le système : l’établissement doit-il être un lieu d’enseignement pour des élèves triés sur le volet ou accepter les élèves tels qu’ils sont et les amener à en savoir plus ? Comment répondre à la commande faite aux établissements de devenir les lieux de l’intégration à la communauté nationale de populations entières dont l’espoir d’insertion est statistiquement improbable ? Richard Étienne multiplie les constats qui laissent l’établissement incapable de surmonter des difficultés inhérentes à la société et se demande si l’école est bloquée ou si elle dispose encore d’une faible marge de manœuvre.

Cette interrogation le conduit vers un chapitre qui ouvre de nouvelles pistes de réflexion : aux lourdeurs de l’administration, ne faudrait-il pas substituer la réactivité et la souplesse d’une organisation reposant sur des réseaux ?

Partant de la définition du terme autour de deux approches, une infrastructure qui quadrille un territoire et une façon de relier groupes et personnes, l’auteur insiste sur la complexité d’une telle organisation. La rupture avec le système en place pourrait déjà émerger de la notion de bassin éducatif importé du modèle économique de bassin d’emploi où seraient à articuler deux logiques, l’une économique privée et pragmatique et l’autre administrative et conceptuelle. Le passage des ZEP aux réseaux d’éducation prioritaire (REP) fournit un modèle et le rapport du recteur Pair « Responsabilité et démocratie », une réflexion pertinente sur la rénovation du service public de l’Éducation nationale. La notion de réseau, insiste Richard Étienne, s’oppose à une conception figée de l’ensemble, puisqu’il est en perpétuelle reconfiguration. Réorganiser l’ensemble des établissements d’un secteur géographique en lui confiant la gestion de sa population scolaire sous la surveillance d’une autorité de contrôle impose à tous les acteurs un rôle de responsabilité et le deuil d’une forme de protection qu’ils pensent trouver dans l’immobilisme actuel. Les événements de Seine-Saint-Denis en 1998, fournissent à l’auteur l’occasion de montrer que des solidarités se sont tissées entre acteurs (parents, élus, élèves, enseignants) et que, sous réserve de respecter certaines valeurs fondatrices de la République, de nouveaux réseaux seraient envisageables. N’existe-t-il pas déjà des réseaux d’échanges de savoirs (RES) ?

L’idéal démocratique, précise Richard Étienne, ne peut qu’être renforcé si le principe de subsidiarité est respecté (la décision au plus près du citoyen), si les enjeux, de locaux à mondiaux, concernant les décisions à prendre en matière d’éducation sont débattus lors de confrontations entre décideurs et acteurs, ce qui signifie que chacun d’entre eux, y compris l’usager, retrouve une place dans les procédures de décisions. Richard Étienne reconnaît le grand nombre d’obstacles à surmonter – il en énumère certains – pour que naisse un jour ce qui, aujourd’hui, apparaîtra pour beaucoup comme une utopie.

Mais cette idée, encore neuve dans la réflexion éducative actuelle, ne pourrait-elle pas s’épanouir dans le nouveau statut de l’école primaire tel qu’il est proposé par Claude Pair ?

Daniel Comte


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